L’angoisse après la trahison d’un ami. Le psaume 54, une démarche quasi-clinique

Les psaumes sont le grand traité de purification et d’intégration des affects dans la vie spirituelle. Il serait trop analytique, trop occidental d’attribuer telle passion à tel psaume. En revanche, certains d’entre eux décrivent les émotions ressenties après un événement. Par exemple, le psaume 54 (55 en hébreu) se présente comme une prière après la trahison d’un ami. Il déploie une démarche presque clinique, couvrant signes (diagnostic symptomatique), causes (diagnostic étiologique) et remèdes (thérapeutique) de la crainte [1].

1) Les signes

Le psalmiste est « troublé » (v. 4). Or, son trouble s’identifie principalement à l’inquiétude (v. 3), donc une crainte qui prend la forme de « la peur de la mort ». Cette crainte d’un mal à venir et du plus grand des maux qu’est la mort entraîne aussi une souffrance au présent, qu’il décrit avec un réalisme tragique : « Mon cœur se tord en moi » (v. 5). Or, la peur dispose à la fuite (le fameux flight des behavioristes) et à la recherche d’une sécurité. Donc, cette crainte et cette souffrance poussent l’auteur du pasume à s’enfuir dans un « lieu sûr », à « chercher asile au désert » (v. 7 et 8).

2) Les causes

Nous apprenons progressivement les causes de tout ce trouble. À la périphérie, l’on trouve « les cris de l’ennemi » (v. 4), « dans la ville discorde et violence », « crimes et malheurs », « fraude et brutalité » (v. 10-12). La raison profonde est autrement plus grave et intime : il s’agit de la trahison d’un « homme de mon rang, mon familier, mon intime » avec qui non seulement l’« entente était bonne », mais avec qui « nous allions d’un même pas dans la maison de Dieu » (v. 14-15). Plus grave, nous apprenons que ce pseudo-ami n’est pas seulement un « traître », mais un séducteur et un manipulateur : « Il montre un visage séduisant, mais son cœur fait la guerre » (v. 22). La faute de trahison se double d’une faute de mensonge. Et le psalmiste ressent cette trahison à l’intime de lui au point que, spontanément et intérieurement, il interpelle cet ami devenu ennemi, il se met à lui parler à la seconde personne du singulier, passant du « nous » au « tu » : « Mais toi » (v. 14).

3) Les remèdes

N’y a-t-il pas de remède face à un tel trouble, lui-même suscité par une telle trahison ?

Dès le début, le psalmiste se tourne vers Dieu (v. 2 et 3), avec la certitude que donne l’espérance : « le Seigneur me sauvera » (v. 17). Pourquoi ? Car la réponse ne se fait pas attendre : « Dieu a entendu ma voix » (v. 18). Mais comment en être certain ? Avant tout, par un signe est du même ordre que le trouble, mais de sens contraire : « Il m’apporte la paix ». (v. 19)

Pour autant, les choses sont-elles rentrées dans l’ordre à l’extérieur ? Il ne semble pas. Le psalmiste en a la certitude, mais au futur : « ces hommes qui tuent et qui mentent, ils s’en iront dans la force de l’âge ! » (v. 24). Mais la paix ne trouve pas sa source dans ces changements extérieurs où le psalmiste projette plus sa violence qu’il ne parle de l’action de Dieu. Cette paix intérieure naît de la confiance inébranlable dans le Seigneur qui « jamais il ne permettra que le juste s’écroule ». (v. 23) Au terme, le « tu » que le psalmiste interpelle n’est plus son ennemi, mais Dieu lui-même. Plus intime que tout traître qui s’approche pour le perdre, est le Dieu toujours fidèle qui le sauve : « Moi, je m’appuie sur toi ! » (v. 24)

Le psaume 54 nous montre ainsi que le remède au trouble, surtout celui de la crainte et que la source assurée de la paix sont la confiance inconditionnelle en Dieu. La crainte, affect né d’un mal menaçant, est guérie par l’espérance, assurance du Bien en Personne qui s’approche, plus, qui est déjà là.

Pascal Ide

[1] Nous ne parlerons pas ici de la crainte comme don du Saint-Esprit et l’identifierons à la peur comme affect ou émotion.

11.2.2025
 

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