L’amoureux est-il de bonne foi ? La vérité de l’amour

De prime abord, toute personne amoureuse est sincère. Demandez-lui si elle dit vrai, elle vous répondra ingénument par l’affirmative. Comment, en effet, nier l’expérience affective qu’elle vit, le bouleversement émotionnel qu’elle ressent en présence (et en l’absence) de l’être aimé ? Si elle est lucide ou simplement riche d’expériences antérieures, elle concèdera qu’elle s’aveugle sur telle ou telle perfection de l’aimé, que, en idéalisant, elle se focalise sur les lumières et est inattentive à ses ombres. Il demeure que, tout, chez elle, est tendu vers l’aimé et qu’elle ne saurait douter de sa passion amoureuse, ni de ce qu’elle exprime bien la totalté de ce qu’elle vit.

Pourtant, Jean-Paul Sartre a proposé une déconstruction en bonne et due forme de cette prétendue bonne foi de la personne amoureuse. Dans un chapitre portant justement sur « la mauvaise foi » et un paragraphe intitulé « les conduites de mauvaise foi », il analyse deux exemples célèbres dont le premier est celui d’une jeune femme amoureuse (et le second, encore plus fameux, est celui du garçon de café, que nous ne verrons pas ici).

1) Lecture

Voici le texte. Nous y introduisons des distinctions pour baliser la lecture d’un texte qui se déroule en continu sans retours à la ligne, et nous introduisons un commentaire en italique [1] :

a) Description de l’expérience

1’) Les paroles

 

Voici par exemple, une jeune femme qui s’est rendue à un premier rendez-vous. Elle sait fort bien les intentions que l’homme qui lui parle nourrit à son égard. Elle sait aussi qu’il lui faudra prendre tôt ou tard une décision. Mais elle n’en veut pas sentir l’urgence : elle s’attache seulement à ce qu’offre de respectueux et de discret l’attitude de son partenaire. Elle ne saisit pas cette conduite comme une tentative pour réaliser ce qu’on nomme « les premières approches » : elle borne ce comportement à ce qu’il est dans le présent, elle ne veut pas lire dans les phrases qu’on lui adresse autre chose que leur sens explicite, si on lui dit : « Je vous admire tant », elle désarme cette phrase de son arrière-fond sexuel, elle attache aux discours et à la conduite de son interlocuteur des significations immédiates qu’elle envisage comme des qualités objectives.

L’homme qui lui parle lui semble sincère et respectueux comme la table est ronde ou carrée, comme la tenture murale est bleue ou grise. Et les qualités attachées à la personne qu’elle écoute se sont ainsi figées dans une permanence chosiste qui n’est autre que la projection dans l’écoulement temporel de leur strict présent. C’est qu’elle n’est pas au fait de ce qu’elle souhaite : elle est profondément sensible au désir qu’elle inspire, mais le désir cru et nu l’humilierait et lui ferait horreur. Pourtant, elle ne trouverait aucun charme à un respect qui serait uniquement du respect. Il faut, pour la satisfaire, un sentiment qui s’adresse tout entier à sa personne, c’est-à-dire à sa liberté plénière et qui soit une reconnaissance de sa liberté. Mais il faut en même temps que ce sentiment soit tout entier désir, c’est-à-dire qu’il s’adresse à son corps en tant qu’objet. Cette fois donc, elle refuse de saisir le désir pour ce qu’il est, elle ne lui donne même pas de nom, elle ne le reconnaît que dans la mesure où il se transcende vers l’admiration, l’estime, le respect et où il s’absorbe tout entier dans les formes plus élevées qu’il produit, au point de n’y figurer plus que comme une sorte de chaleur et de densité.

2’) Le geste

Mais voici qu’on lui prend la main. Cet acte de son interlocuteur risque de changer la situation en appelant une décision immédiate : abandonner cette main, c’est consentir de soi-même au flirt, c’est s’engager. La retirer, c’est rompre cette harmonie trouble et instable qui fait le charme de l’heure. Il s’agit de reculer le plus possible l’instant de la décision. On sait ce qui se produit alors : la jeune femme abandonne sa main, mais ne s’aperçoit pas qu’elle l’abandonne. Elle ne s’en aperçoit pas parce qu’il se trouve par hasard qu’elle est, à ce moment, tout esprit. Elle entraîne son interlocuteur jusqu’aux régions les plus élevées de la spéculation sentimentale, elle parle de la vie, de sa vie, elle se montre sous son aspect essentiel : une personne, une conscience. Et pendant ce temps, le divorce du corps et de l’âme est accompli; la main repose inerte entre les mains chaudes de son partenaire : ni consentante ni résistante; une chose.

b) Analyse de l’expérience

Nous nous limiterons seulement au premier argument, qui est fondé sur l’être-en-soi, et ne développerons pas l’argument fondé sur l’être-pour-autrui.

1’) Reprise de l’expérience

Nous dirons que cette femme est de mauvaise foi. Mais nous voyons aussitôt qu’elle use de différents procédés pour se maintenir dans cette mauvaise foi. Elle a désarmé les conduites de son partenaire en les réduisant à n’être que ce qu’elles sont, c’est-à-dire à exister sur le mode de l’en-soi. Mais elle se permet de jouir de son désir, dans la mesure où elle le saisira comme n’étant pas ce qu’il est, c’est-à-dire où elle en reconnaîtra la transcendance. Enfin, tout en sentant profondément la présence de son propre corps – au point d’être troublée peut-être –, elle se réalise comme n’étant pas son propre corps et elle le contemple de son haut comme un objet passif auquel des événements peuvent arriver, mais qui ne saurait ni les provoquer ni les éviter, parce quc tous ses possibles sont hors de lui.

2’) Relecture systématique

Quelle unité trouvons-nous dans ces différents aspects de la mauvaise foi ? C’est un certain art de former des concepts contradictoires, c’est­-à-dire qui unissent en eux une idée et la négation de cette idée. Le concept de base qui est ainsi engendré utilise la double propriété de l’être humain, d’être une facticité et une transcendance. Ces deux aspects de la réalité-humaine sont, à vrai dire, et doivent être susceptibles d’une coordination valable. Mais la mauvaise foi ne veut ni les coordonner ni les surmonter dans une synthèse. Il s’agit pour elle d’affirmer leur identité tout en conservant leurs différences. Il faut affirmer la facticité comme étant la transcendance et la transcen­dance comme étant la facticité, de façon qu’on puisse, dans l’instant où on saisit l’une, se trouver brusquement en face de J’autre. Le prototype des formules de mauvaise foi nous sera donné par certaines phrases célèbres qui ont été justement conçues, pour produire tout leur effet, dans un esprit de mauvaise foi. On connaît, par exemple, ce titre d’un ouvrage de Jacques Chardonne : « L’amour, c’est beaucoup plus que l’amour. » On voit comment ici se fait l’unité entre l’amour présent dans sa facticité, « contact de deux épidermes », sensualité, égoïsme, mécanisme proustien de la jalousie, lutte adlé­rienne des sexes, etc. – et l’amour comme transcendance, le « fleuve de feu mauriacien, l’appel de l’infini, l’éros platonicien, la sourde intuition cosmique de Lawrence, etc. Ici c’est de la facticité que l’on part, pour se trouver soudain, par delà le présent et la condition de fait de l’homme, par delà le psychologique, en pleine métaphysique. Au contraire, ce titre d’une pièce de Sarment : « Je suis trop grand pour moi », qui présente aussi les caractères de la mauvaise foi, nous jette d’abord en pleine transcendance poui nous emprisonner soudain dans les étroites limites de notre essence de fait. On retrouvera ces structures dans la phrase fameuse : « II est devenu ce qu’il était » ou dans son envers non moins fameux : « Tel qu’en lui-même enfin l’éternité le change ». Bien entendu, ces différentes formules n’ont que l’apparence de la mauvaise foi, elles ont été explicitement conçues sous cette forme paradoxale pour frapper l’esprit et le décontenancer par une énigme. Mais précisément c’est cette appa­ rence qui n ous importe. Ce qui compte ici, c’est qu’elles ne constituent pas des notions nouvelles et solidement structurées ; elles sont bâties au contraire de façon à rester en désagrégation perpétuelle et pour qu’un glissement perpétuel soit possible du présent naturaliste à la transcendance et inversement. On voit, en effet, l’usage que la mauvaise foi peut faire de ces jugements qui visent tous à établir que je ne suis pas ce que je suis. Si je n’étais que ce que je suis, je pourrais, par exemple, envisager sérieusement ce reproche qu’on me fait, m’interroger avec scrupule et peut-être serais-je contraint d’en reconnaître la vérité. Mais précisément par la transcendance, j’échappe à tout ce que je suis. Je n’ai même pas à discuter le bien­ fondé du reproche, au sens où Suzanne dit à Figaro : « Prouver que j’ai raison serait accorder que je puis avoir tort ». Je suis sur un plan où aucun reproche ne peut m’atteindre, puisque ce que je suis vraiment, c’est m a transcendance ; je m’enfuis, je m’échappe, je laisse ma guenille aux mains du sermonneur. Seulement, l’ambiguïté nécessaire à la mauvaise foi vient de ce qu’on affirme ici que je suis ma transcendance sur le mode d’être de la chose. Et c’est seulement ainsi, en effet, que je puis me sentir échapper à tous ces reproches. C’est en ce sens que notre jeune femme purifie le désir de ce qu’il a d’humiliant, en n’en voulant considérer que la pure transcendance qui lui évite même de le nommer. Mais inversement, le « je suis trop grand pour moi », en nous montrant la transcendance muée en facticité, est la source d’une infinité d’excuses pour nos échecs ou nos faiblesses. Pareillement la jeune coquette maintient la transcendance dans la mesure où le respect, l’estime manifestés par les conduites de son soupirant sont déjà sur le plan du transcendant. Mais elle arrête là cette transcendance, elle l’empâte de toute la facticité du présent : le respect n’est rien d’autre que du respect, il est un dépassement figé qui ne se dépasse plus vers rien ».

2) Commentaire

D’abord, écartons, comme Sartre, deux interprétations erronées de la mauvaise foi. La première est éthique : elle n’est pas un mensonge à l’autre. La seconde est psychanalytique : elle n’est pas un mécanisme inconscient. Contre la première, il affirme qu’elle est un « mensonge à soi [2] » ; contre la seconde qu’elle ne peut apparaître que dans la translucidité de la conscience [3] ».

a) Présupposés

En plein, l’amoureux se ment-il ? Pour comprendre la thèse et l’argumentation de Sartre, il faut remonter à la distinction première de son ontologie résumée dans le titre de son maître-ouvrage, L’être et le néant. En effet, loin d’être seulement abstraite, cette distinction correspond à l’opposition existant entre les choses et les personnes ou, comme l’on dirait aujourd’hui à la suite de Descola et Latour, les non-humains et les humains. Or, selon une bipartition commune depuis Descartes, ceux-ci se caractérisent par la conscience et ceux-là par leur corps. Mais, pour Sartre qui se fait ici autant disciple de Hegel que de Heidegger, ou plutôt de Heidegger qui est à l’école de Hegel, la conscience est puissance de négativité, d’un mot, néant, alors que la chose, elle, est positivité, facticité. On peut le comprendre à partir d’un autre couple, plus concret, le plein et le vide : la conscience est capacité de devenir tout ce dont elle est conscience, donc est vide, alors que la chose, elle, est elle-même, donc est pleine d’elle-même, mais est seulement elle-même. Plus précisément, comme l’homme est corps et en situation, il ne peut éviter de conjoindre l’être et le néant. Et là va s’enraciner la mauvaise foi de l’amour.

b) Application

Fort de ses présupposés, nous pouvons désormais comprendre le propos de Sartre et les termes techniques qu’il convoque. D’un mot, la femme amoureuse se focalise sur son ressenti amoureux, sur son désir de se sentir aimée. Et il lui semble rejoindre cette attention de l’homme aimant qui s’adresse à toute sa personne, par ses paroles (« Je vous admire tant ») et son geste (prendre la main). Or, l’homme qui lui parle et lui saisit la main est habité par une autre aspiration, à savoir un désir sexuel. Par conséquent, la femme ne considère qu’une des possibilités, celle qui la soulève et la rend amoureuse : être aimée pour elle-même, être l’objet d’« un sentiment qui s’adresse tout entier à sa personne, c’est-à-dire à sa liberté plénière ». Mais elle se ferme à l’autre possibilité, celle d’être désirée sexuellement, donc seulement pour son corps. Par conséquent, la femme opte pour la chose contre la conscience, pour l’être contre le néant. Or, en dernière instance, la mauvaise foi est le refus de soi-même, ce que Pascal appellerait divertissement et Heidegger l’inauthenticité.

Disons-le avec les catégories sartriennes, désormais transparentes. L’être humain, affirme le texte, est « facticité » et « transcendance [4] ». En d’autres termes, « il s’agit de constituer la réalité humaine comme un etre qui est ce qu’il n’est pas et qui n’est pas ce qu’il est [5] ». Le philosophe ne fait que reprendre avec d’autres mots, plus techniques, ce qu’il a déjà dit : la première est à la seconde ce que l’être (l’en-soi) est au néant (le pour-soi). Appliquées à l’amour, ces deux catégories deviennent : « l’amour présent dans sa facticité » est « ’contact de deux épidermes’, sensualité, égoïsme, mécanisme proustien de la jalousie, lutte adlérienne des sexes, etc. » et « l’amour comme transcendance » devient « le ‘fleuve de feu’ mauracien, l’appel de l’infini, l’éros platonicien, la sourde intuition cosmique de Lawrence, etc. [6] ». L’on observera que l’amour n’est pas la jonction symétrique de la facticité et de la transcendance, mais « présence » de la seconde dans la première.

Or, dans l’expérience amoureuse, la femme habite la transcendance, tout en la réduisant à cette facticité. Sartre montre son propos à partir de propos ou de titres empruntés à des pièces de théâtre : L’amour, c’est beaucoup plus que l’amour » (Chardonne) ; « Je suis trop grand pour moi » (Sarment) ; « Il est devenu ce qu’il était » ; « Tel qu’en lui-même enfin l’éternité le change [7] ». Or, dans chaque affirmation, « on affirme ici que je suis ma transcendance sur le monde d’être de la chose [8] », donc de la facticité : « la jeune coquette […] empâte [la transcendance] de toute la facticité du présent », de sorte que ce « dépassement » caractéristique de la transcendance se fige et « ne dépasse plus vers rien [9] ».

Sartre ajoute même un argument qu’il ne développe pas ici et qui renvoie à l’une des catégories les plus centrales de son ontologie, la honte : « notre jeune femme purifie le désir de ce qu’il a d’humiliant, en n’en voulant considérer que la pure transcendance, ce qui lui évite même de le nommer [10] ». Or, selon le philosophe qui, à l’instar de Heidegger, fait de la Stimmung un existential révélateur de l’être, le sentiment de honte naît lorsque l’homme abandonne son être-en-soi (sa conscience) pour son être-pour-soi (sa facticité), donc nie sa transcendance. La phénoménologie de la pudeur confirme donc la mauvaise foi. [11]

c) Conclusion

Quoi qu’il en soit, comprenons bien cette conclusion en écartant les erreurs d’interprétation déjà pointées. Tout d’abord, il ne s’agit pas de dire que la femme se trompe à son insu. Grand ennemi de la psychanalyse qu’il critique pour avoir fait migrer l’homme de la conscience (et donc de la liberté responsable) vers son inconscient, Sartre se refuse à cette excuse facile : s’il y a aveuglement, il y a aveuglement volontaire, donc ce qu’il a appelé mensonge à soi. Ensuite et pour la même raison, il ne s’agit pas de réduire l’attitude de l’amoureux à un biais cognitif que, pour l’occasion, on qualifierait d’amoureux (les chercheurs ont-ils parlé d’un biais amoureux ?). Car les distorsions cognitives sont involontaires, elles nous aveuglent à notre insu. Or, redisons-le, le mensonge à soi est une démission de son être pour soi, c’est-à-dire de son identité humaine d’être de conscience.

3) Détermination

Alors, l’amoureux est-il ou non de mauvaise foi ? Se ment-il à lui-même ? Sans entrer dans tout le détail de la question capitale posée par la vérité de l’amour, nous répondrons en convoquant les catégories de fini et d’infini, qui sont toujours présentes au discours de ce cartésien qu’est Sartre. Surtout, nous réconcilierons les deux pôles de la pensée sartrienne, l’être et le néant, que sous-tend la « bifurcation » (Whitehead) moderne de la matière et l’esprit.

On pourrait dire que l’amoureux vit dans l’illusion de l’infini : saturé par l’autre, comblé en lui-même, il croit qu’il a enfin trouvé l’être qui va accomplir son désir (su ou insu) d’infini.

Sartre vise à dégriser l’amoureux en lui révélant qu’il « empâte » ou « fige » cet infini (le néant de la conscience, vide de tout) dans un fini (la facticité chosale), que ce soit l’autre ou le corps de l’autre ou sa propre jouissance. Et telle est l’essence de la mauvaise foi.

Ainsi formulé, le dilemme de l’amour ou de l’état amoureux se présente différemment : l’illusoire infini ou le triste fini, l’homme ne quittant le ciel inauthentique de l’infini que pour chuter sur la terre authentique du fini.

On ne peut nier que Sartre formule de manière pertinente une expérience commune. Un film actuellement sur les écrans, Challengers [12], dont nous donnerons bientôt la critique, illustre cette illusion amoureuse – mais en semble dupe… Toutefois, l’expérience de la jeune femme décrit-elle l’essence de l’amour ? Ne le limite-t-elle pas à la passion amoureuse, donc à l’amour-attrait dans son excès ? Elle ne saurait s’appliquer à l’amour-don. Surtout, la formulation de l’aporie contient en elle-même la réponse : il s’agit de trouver l’infini dans le fini [13]. La fractalité nous a appris à découvrir, dans l’ordre des corps (pour parler comme Pascal), que le tout se dissimule dans la partie [14]. De même, dans l’ordre de l’esprit, et plus encore de la charité, l’infinité inverse l’espace, vient se lover dans la finitude de la relation à un autre unique.

Disons-le dans d’autres catégories : l’infinité extensive que propose ma transcendance ne se vit jamais que dans l’infinité intensive (et intense) que m’impose mon incarnation (ma facticité) et, plus encore, mon libre engagement. Il s’agit donc de troquer le mauvais infini de l’indéfini pour le véritable infini. Or, la bonne nouvelle est que, en montant dans l’échelle des êtres, contenant et contenu s’inverse, selon la formule fameuse de Hölderlin (commentée sur le site) : « N’être contenu par rien de plus grand et accepter d’être contenu par le plus petit, cela est divin ». C’est ce qu’atteste, de manière sommitale, l’Incarnation : en vivant à plein une brève existence d’homme, dans un lieu et un temps situés, donc finis, le Verbe fait chair a touché et rédimé l’infinité (potentielle) de l’humanité (et même du cosmos).

Disons-le surtout concrètement. La véritable mauvaise foi est, une fois marié, de continuer à rêver à tous les possibles manqués et à ne pas vivre pleinement l’amour qui rend service, est patient, pardonne tout et espère tout. En regard, la bonne foi consiste à s’engager irréversiblement, irrévocablement, dans une des deux voies institutionnelles du don de soi, la consécration ou le mariage, c’est-à-dire de vivre une aventure (ce qui est très différent de : vivre des aventures !) qui conduira vers plus grand qu’on ne saurait penser… Au fait, ce que j’appelle engagement, n’est-ce pas ce que Sartre appelle projet, c’est-à-dire la liberté qui s’incarne dans la facticité de la situation [15] ?

Pascal Ide

[1] Jean-Paul Sartre, L’Être et le néant. Essai d’ontologie phénoménologique, Partie I, chap. II, § II, coll. « Tel » n° 1, Paris, Gallimard, 1943, p. 91-93. Souligné dans le texte.

[2] Ibid., p. 84. Souligné dans le texte.

[3] Ibid., p. 90.

[4] Ibid., p. 92. Souligné dans le texte.

[5] Ibid., p. 94.

[6] Ibid., p. 92. Souligné dans le texte.

[7] Ibid., p. 92-93.

[8] Ibid., p. 93. Souligné dans le texte.

[9] Ibid.

[10] Ibid.

[11] Pourrait-on dire que la femme est plus menacée de fuir dans la transcendance, c’est-à-dire de confondre cette facticité avec la transcendance, alors que l’homme, plus proche de la facticité, a pour angle mort de négliger la transcendance ? Sartre qui n’est pas, comme sa compagne (Simone de Beauvoir), habité par la question féministe, ne parle pas de cette différence homme-femme.

[12] Drame américain de Luca Guadagnino, 2024.

[13] Cf. Pascal Ide, « ‘L’immense océan du Beau’. Le don de l’infinité divine », Philippe Quentin (éd.), L’infini, colloque de l’ICES, La Roche-sur-Yon, 21 et 22 avril 2016, Annales de l’ICES, La Roche-sur-Yon, Presses universitaires de l’ICES, 5 (juin 2018), p. 21-52.

[14] Cf. Id., « Le tout est (dans) la partie. La loi holographique, contrepoint à l’émergence », Philippe Quentin (éd.), Émergence, colloque de l’ICES, La Roche-sur-Yon, 19 et 20 mars 2019, coll. « Colloques », La Roche-sur-Yon, Presses Universitaires de l’ICES, 2021, p. 52-112.

[15] Cf. Jean-Paul Sartre, L’Être et le néant, Partie IV, chap. I.

2.5.2024
 

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