La puissance transformante de la Parole de Dieu (11e dimanche du temps ordinaire, 16 juin 2024)

« Il en est du règne de Dieu comme d’un homme qui jette en terre la semence : nuit et jour, qu’il dorme ou qu’il se lève, la semence germe et grandit, il ne sait comment. D’elle-même, la terre produit d’abord l’herbe, puis l’épi, enfin du blé plein l’épi » (Mc 4,26-28).

Dans son exhortation Evangelii Gaudium, le pape François, qui a institué le troisième dimanche du temps ordinaire dimanche de la Parole de Dieu, commente ce passage du deuxième évangile en identifiant la semence à la Parole de Dieu :

 

« La parole a en soi un potentiel que nous ne pouvons pas prévoir. L’Évangile parle d’une semence qui, une fois semée, croît d’elle-même, y compris quand l’agriculteur dort (cf. Mc 4,26-29). L’Église doit accepter cette liberté insaisissable de la Parole, qui est efficace à sa manière, et sous des formes très diverses, telles qu’en nous échappant elle dépasse souvent nos prévisions et bouleverse nos schémas [1] ».

 

Cinq ans plus tard, dans une autre exhortation, le pape argentin, partant du psaume affirmant que la parole est une lampe sur nos pas, une lumière sur notre route (cfPs 119, 105), précise : « La Parole de Dieu n’est pas seulement une dévotion parmi tant d’autres, certes belle mais optionnelle ; elle appartient au cœur et à l’identité même de la vie chrétienne. La Parole a en elle-même le pouvoir de transformer les vies [2] ».

Comment comprendre le pouvoir transformant de la Parole divine ? Une analogie avec le langage humain [3] et un exemple emprunté à la vie de saint Jean-Paul II peuvent éclairer cette question [4]. Alors que la Pologne est écrasée sous le joug nazi, Karol Wojtyła décide, avec quelques amis, de faire du théâtre, et de s’y plonger avec passion : le futur Jean-Paul II « s’immergea dans le théatre comme il ne le ferait plus jamais [5] ». Pourquoi ? On pourrait d’ailleurs se poser la même question pour ses études en littérature à l’université Jagellon. N’y a-t-il pas plus urgent ? Ne devrait-il pas entrer en résistance ? Ce serait oublier la belle devise qui se trouve au-dessus de l’entrée de la grande Salle du Collegium Maius de cette université : « Plus ratio quam vis : la raison plutôt que la force ».

Mais, justement, se lancer dans le théâtre, c’est se préparer au mieux à la résistance, c’est déjà résister. En effet, le jeune Karol « opta sciemment pour le pouvoir de la résistance par le truchement de la culture, la force de la parole, la conviction que la parole (en termes chrétiens, le Verbe) est ce sur quoi se fonde le monde. Mettre en doute ce choix reviendrait à contester le pouvoir du Verbe et des mots [6] ». Ainsi, face au mensonge qui était le moyen habituel de gouverner des nazis (et le sera également pour le Parti communiste soviétique), « ‘la parole’ pouvait modifier ce que le monde du pouvoir considérait comme des faits inaltérables », à condition que, justement, cette parole soit vraie : « pour autant que les mots fussent proclamés clairement, honnêtement et avec suffisamment de force [7] ».

Nous ne sommes pas loin de la Parole de Dieu. En effet, pour Mieczysław Kotlarczyk (1908-1978), acteur, directeur de théâtre et critique littéraire polonais qui fut le mentor de Karol Wojtyła [8], « le drame » était « le moyen ‘de transmettre la Parole de Dieu’, Vérité sur la Vie », et « le langage […] prenait vie dans l’intimité créée entre celui qui parlait et celui qui écoutait. La tâche de l’acteur consistait à faire entrer le public dans cette intimité en minimisant son rôle au point que la vérité de la parole pût atteindre et toucher celui-ci ». Ainsi, « la fonction de l’acteur s’apparentait à celle d’un prêtre [9] » : analogiquement à la parole sacramentelle qui dit ce qu’elle fait, la parole de l’acteur dramatique qui a su s’effacer derrière elle lui permet d’agir avec force et vérité dans l’esprit de l’auditeur.

Si la parole humaine est aussi puissamment transformante, combien plus la Parole divine : en la recevant au plus intime de nous, comme Marie qui « symbolisait tous ces événements en son cœur » (Lc 2,51), la Parole divine verse donc en nos cœurs la Vie même de Dieu et « nous rend participants de la nature divine » (2 P 1,4). Et si nous apprenions un verset de l’évangile d’aujourd’hui et le redisions chaque jour de la semaine ?

Pascal Ide

[1] Pape François, Exhortation apostolique post-synodale Evangelii Gaudium sur l’annonce de l’Évangile dans le monde actuel, 24 novembre 2013, n. 22.

[2] Id., Exhortation apostolique Gaudete et exsultate sur l’appel à la sainteté dans le monde actuel, 19 mars 2018, n. 156.

[3] L’on aurait pu faire appel à la célèbre distinction opérée par le philosophe anglais John Langshaw Austin entre deux sortes d’énonciation : constative, autrement dit informative, dont le but est de dire le vrai et le faux (par exemple : « La voiture est en panne » ; « L’homme est né libre ») et performative dont le but est de faire quelque chose par l’acte de parole (par exemple, dans un testament : « Je lègue ma montre à mon frère ») (Quand dire, c’est faire, trad. Gilles Lane, Paris, Seuil, 1970 p. 40-41).

[4] Je l’emprunte au beau petit livre pédagogique de Benoît de Baenst, dont le sous-titre dit tout : La Parole de Dieu. Lumière pour se laisser transformer, coll. « Santissime », Paris, Éd. de l’Emmanuel, 2021, p. 15-18.

[5] George Weigel, Jean-Paul II : témoin de l’espérance, trad. Philippe Bonnet, Sabine Boulongne, Valérie Rosier, Floriane Vidal, Paris, Jean-Claude Lattès, 1999, p. 84.

[6] Ibid., p. 90.

[7] Ibid., p. 89.

[8] Cf. Ibid., p. 54-55.

[9] Ibid., p. 55.

15.6.2024
 

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