La prière est-elle un repos ?

La prière n’est-elle pas un repos ? C’est ce que Jésus lui-même promet : « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et moi je vous reposerai » (Mt 11,28) ; or, prier, c’est (re)venir à lui pour s’unir à lui. Disons-le avec les mots d’un des grands docteurs de l’Église médiévale, saint Anselme de Cantorbery, dans la prière ouvrant son Proslogion : « Fuis un moment tes occupations, cache-toi un peu de tes pensées tumultueuses. Rejette maintenant tes pesants soucis, et remets à plus tard tes tensions laborieuses. Vaque quelque peu à Dieu et repose-toi quelque peu en lui ». Le prieur de l’abbaye du Bec nomme avec précision les « tensions laborieuses [laboriosas distensiones] [1] », c’est-à-dire les crispations engendrées par le travail, et fait de la vacance (« vaque [vaca] ») « en Dieu », donc le loisir, ce qui « repose », donc ce qui détend de ces tensions. Ainsi, dans la prière, loisir et relâchement semblent heureusement coïncider.

Mais « attendons la fin », comme dit La Fontaine, et continuons à lire cette longue et belle prière ! Elle parle de la recherche intellectuelle propre au théologien, mais son propos peut s’étendre à toute quête de Dieu et à toute prière dont on ne sait pas assez combien elle est active (adoration n’est pas « dodoration » !) :

 

« Et maintenant, Toi Seigneur mon Dieu, enseigne à mon cœur où et comment te chercher, où et comment te trouver. […] Mais tu habites ‘la lumière inaccessible’ [1 Tm 6,16]. Où est la lumière inaccessible ? Ou bien comment accéderai-je à la lumière inaccessible ? Oui qui me conduira et introduira en elle pour qu’en elle je te voie ? […] Que fera ton serviteur, anxieux de ton amour et projeté loin de ‘ta face’ [Ps 50,13] ? Il s’essouffle pour te voir. […] Je cherchais le repos en mon secret, ‘j’ai trouvé tribulation et douleur’ en mon intime. […] Aie pitié de nos labeurs et de nos efforts vers toi [2] ».

 

Loin d’être délassante, cette quête de Dieu engendre de multiples questions qui initient autant d’actions, sources de fatigue. Il n’y a donc que pour le Dieu infatigable que l’action (qui est loisir) s’identifie au repos, et, pour nous les hommes, il n’y aura qu’au Ciel que, enfin, l’union à Dieu s’effectuera sans travail, donc sans lassitude, donc sans besoin de détente.

Voilà pourquoi la prière n’est pleinement fructueuse que si l’orant y entre non pour se délasser, mais parce qu’il est déjà délassé. Voilà pourquoi il est déconseillé de prendre un temps de retraite spirituelle au début de ses vacances d’été alors que nous avons d’abord besoin de nous détendre de l’année.

Pascal Ide

[1] Anselme de Cantorbery, Monologion, chap. 1, dans L’œuvre d’Anselme de Cantorbery. Tome 1. Monologion. Proslogion, trad. Michel Corbin, Paris, Le Cerf, 1986, p. 236-237.

[2] Ibid., p. 238-241.

13.12.2025
 

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