La paix au cinéma

« La paix est tranquillité de l’ordre », écrivait saint Augustin dans La cité de Dieu. Elle se conquiert donc contre tous les facteurs, internes et externes, de division. Le cinéma, art complet du récit, a conté bien des itinéraires de pacification qui sont d’unification.

Will Hunting (Matt Damon), le héros du film éponyme de Gus Van Sant (1998), mène une triple vie : le jour, balayeur ; le soir, mauvais garçon, buveur et bagarreur ; la nuit, mathématicien de génie résolvant des problèmes résistant aux chercheurs de plus haut niveau. Trois rencontres vont saluer son génie et refuser qu’il soit gâché : un professeur, Médaille Fields, une jeune étudiante, amoureuse de lui. Mais, s’épanouir dans un travail à la hauteur de ses dons et construire une relation juste, Will ne le peut qu’en acceptant de faire la paix avec lui. Or, il est trop intelligent pour ne pas savoir qu’il gâche son talent et trop culpabilisé pour se laisser aider par un psychologue. Jusqu’au jour où il croise Sean (Robin Williams). Au brio de Will, il oppose sa vulnérabilité, à sa conviction d’être mal-aimé, un amour inconditionnel et à l’auto-destruction de son talent, la déculpabilisation. Dans une scène superbe, Sean répète à Will « Ce n’est pas ta faute » à dix reprises. Toute résistance vaincue, le jeune homme s’effondre en larmes dans les bras de ce « psy » pas comme les autres. Réconcilié avec lui-même, il peut maintenant s’ouvrir à une véritable fécondité.

Les pires démons intérieurs ne sont pas ceux que l’on subit (comme la culpabilité), mais ceux que l’on entretient. L’un des plus beaux westerns de John Ford, La prisonnière du désert (1955), raconte l’histoire d’un soldat, Ethan (John Wayne), revenant à la fin de la guerre de Sécession chez son frère, son épouse et ses deux filles, Debbie et Lucy. Une bande de Comanches, commandée par Scar, écume la région. Alors qu’Ethan est absent, le chef Comanche tue le couple et enlève les deux enfants. Pire encore, il apprend que Debbie est devenue son épouse Fou de rage, Ethan décide de tout mettre en œuvre pour tuer Scar, ainsi que sa nièce. Après sept ans de traque, Scar est tué. Arrive la scène décisive. La jeune femme devenue une belle squaw fuit devant Ethan qui la poursuit. Il la rattrape. Terrorisée, elle pense mourir. En plein désert. La solitude du désert symbolise la solitude du héros, la solitude de la décision. Or, contre toute attente, Ethan prend sa nièce dans ses bras et lui murmure doucement : « Let’s go home, Debbie ». Libéré de son désir de vengeance sanguinaire, le soldat pacifié retourne vers le symbole fordien de la paix par excellence : la maison familiale.

La paix intérieure est la racine de la paix extérieure ou concorde. La maison du lac, film de Mark Rydell, qui fut d’abord une pièce d’Ernst Thomson (1981), met en scène la réconciliation entre un père et sa fille. Ethel et Norman, un couple soudé et aimant, passent leur vacances d’été dans leur résidence secondaire près d’un lac en Nouvelle Angleterre. Leur fille unique, Chelsea, vient leur rendre visite avec son nouveau fiancé et son jeune fils, Billy. Les tensions entre père et fille, tous deux aussi sensibles qu’entêtés, ne tardent pas à se révéler. Chelsea laisse Billy à ses parents pour un mois. Contre toute attente, l’adolescent plutôt difficile se lie d’une sincère amitié avec Norman. Quand Chelsea revient, elle découvre que Billy vit avec son père la relation dont elle a toujours rêvé. Comment va-t-elle réagir ? Là encore, une scène est décisive. Ayant toujours voulu avoir un garçon, Norman redit involontairement sa déception d’avoir eu « sa grosse fifille ». Alors, prenant son courage à deux mains, Chelsea tente un plongeon avec saut périlleux arrière… et le réussit. Le courage de Chelsea suscite et l’admiration de Norman et son amour, toujours latent mais jamais exprimé, peut enfin se dire. La réconciliation est d’autant plus poignante que Chelsea est jouée par Jane Fonda et Norman par son père Henry, qui mourra six mois plus tard ; or son dernier film fut l’occasion de retrouvailles avec sa fille. Où le cinéma non seulement rejoint, mais porte la réalité.

Il demeure que la paix par excellence naît de la réconciliation avec Dieu. Andrei Roublev de Tarkovski (1969) invente l’itinéraire, autant spirituel qu’artistique, du moine et peintre russe du même nom. La première partie du film s’achève en 1408, lorsque Roublev cherche à exécuter les fresques de la cathédrale de la Dormition, mais y renonce. Dans la seconde intitulée « la passion selon Andréi », les Tatars envahissent la ville de Vladimir, massacrent et violent. Pour sauver une jeune sourde-muette, Andrei tue un soldat. Alors, afin d’expier son crime, il renonce à parler et même à peindre. Retrouvera-t-il la paix intérieure et la source de son inspiration ? En 1424, tandis que la peste ravage le pays, un jeune garçon dont le père fondeur est mort accepte de fondre à son tour une cloche pour le Grand Duc de Moscovie. Saisi par son exemple, Roublev sort de son silence et se remet à peindre. Dans l’épilogue du film, la photographie, quittant le noir et blanc pour la couleur, effleure, longuement, des icônes de Roublev – dont la célébrissime Trinité –, pour se terminer par la vision de chevaux en liberté sous la pluie. La paix véritable, comme la fécondité artistique, advient en épousant le cheminement pascal – mort et résurrection, impuissance et créativité – de Celui qui est « notre Paix » (Ep 2,14).

Pascal Ide

9.2.2018
 

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