La joie, signature du don de soi :
La joie est la conséquence nécessaire du don de soi. Elle est bien le signe que vous vous accomplissez et que vous vous donnez. Ça ne trompe pas car le don de soi est vraiment l’accomplissement le plus profond de notre être. Oui, vous n’aurez la joie qu’en vous donnant et cette joie est aussi le signe d’un accomplissement de vous-mêmes. Y-a-t-il, ici, parmi vous, une seule personne qui n’a pas fait l’expérience que lorsqu’elle se donne de façon sincère, elle ne ressent pas au fond d’elle-même trouvé la joie ? Je ne peux pas croire que, après s’être donné, on ressente après un goût de cendre dans la bouche. Imaginons que vous passez trois jours avec des amis en vacances et que vous revenez amers : c’est alors le signe que vous ne vous êtes pas donnés. Secrètement, vous vous êtes cherchés et vous n’avez pas trouvé ce que vous avez cherché. Si véritablement vous avez pris du temps pour vous donner, par exemple, si vous vous êtes assis à côté de quelqu’un qui est un peu seul, et que vous avez cherché à l’écouter gratuitement, il est impossible que même, si après le week-end, vous vous retrouvez seuls et que vous êtes tristes, qu’il ne vous reste pas au minimum le souvenir d’avoir donné et, plus profondément que la tristesse de la solitude, la joie très réelle qui en est la conséquence.
Le secret du don de soi :
Comment se caractérise le don de soi ? Je pense que la caractéristique la plus profonde du don de soi, c’est le secret. Je dirais : le secret du don, c’est le don du secret. Rappelez-vous ce passage merveilleux de l’Écriture où Jésus, entouré de ses disciples, regarde les personnes qui déposent leur obole pour le Temple (Mc 12,41-44). Il est déjà intéressant de voir comment Jésus regarde. Il regarde non pas l’apparence, mais la qualité du don, comment chacun donne. C’est alors qu’il voit cette veuve qui s’approche et donne, donne tout ce qu’elle possède, c’est-à-dire plus que le superflus, tout le nécessaire. Jésus appelle alors ses disciples et les invitent à regarder comme lui regarde, sous-entendu : « Vous, vous n’y voyez goutte, parce que vous êtes pris dans vos querelles de pouvoir . Venez apprendre de moi comment il faut regarder et ce qu’il faut regarder. » Il est aussi intéressant de noter que Jésus appelle. Les hellénisants savent qu’en grec « appeler », ça se dit « kalein ». Or, le verbe « kalein » est la racine de « ekklésia » : « assemblée chrétienne, église ». L’église, c’est le rassemblement de ceux que Jésus appelle à lui. Autrement dit, quand Jésus appelle ses disciples, il en fait une Église. Donc, Jésus appelle et fait Église lorsqu’il fait rentrer les autres dans son regard. Nous faisons partie de l’Église du Christ quand nous regardons avec les yeux de Jésus. Lui s’émerveille de cette dame qui donne tout. Et la merveille des merveilles, c’est que cette veuve non seulement donne tout, mais qu’elle n’a absolument pas vu que Jésus la voit. Elle donne dans le secret. Jésus fait donc du don secret le modèle même du don. D’ailleurs, ceux qui connaissent un peu l’Écriture savent que, dans l’Évangile de Luc, cet épisode-là se situe à la charnière, c’est-à-dire au moment où Jésus va quitter la Galilée pour aller en Judée, pour monter à Jérusalem où il va vivre sa Passion et sa Résurrection. Comme pour nous dire que cet épisode résume toute la vie de Jésus. Comme si Jésus, à travers cette vieille femme qui donne tout et donne tout dans le secret, montrait l’exemple même de ce que doit être l’Église.
Oui, le secret du don, c’est le don en secret. Mes amis, si vous voulez vivre ce don, c’est très simple : chaque matin, quand vous vous levez, demandez au Seigneur de prendre la résolution d’un petit don, tout simple, que personne ne connaîtra, sauf votre Père des cieux qui vous le revaudra (cf. Mt 6, 1-18). Prenez la résolution de poser un petit acte de don, je dis bien dont personne n’aura connaissance. Il y a une façon de se payer, vous savez, en faisant juste allusion à une personne, en faisant comprendre à l’autre que… Pas de chance, dit Jésus, nous avons déjà touché notre récompense ! Non, accomplissez un don que personne ne sait. Louis-Marie Grignon de Montfort disait de la Vierge que les anges se penchaient du haut du ciel, en se disant, mais qui est la Vierge Marie, qui est celle-là ? Elle est tellement cachée, secrète que personne ne savait ce qu’elle faisait. L’essentiel, c’est que le bon Dieu, le Dieu bon sache et lui seul. Donnez et ne cherchez surtout pas à recevoir ici bas. Si vous faites ainsi, je vous garantis que cela vaut toutes les estimes de la terre. C’est ainsi que véritablement vous donnerez, que vous rentrerez dans la véritable dynamique du don de soi.
Conclusion :
Je terminerai par une anecdote. Je me rappelle une vieille dame qui, à la fin d’une conférence sur le corps humain, vient me voir et me dit : « Mon père, l’autre jour, mon petit fils m’a fait un compliment assez étonnant. Il m’a dit : « Grand-mère, tu as les rides dans le bon sens » ». Alors j’ai commencé à regarder cette grand-mère attentivement, et qu’est-ce que j’ai vu ? Elle avait des rides en cercles concentriques, un petit peu comme si il y avait un caillou qui était tombé au milieu. Mais comment est fait-on pour avoir des rides comme cela ? Il n’y avait qu’une seule manière : cette vieille dame avait dû passer sa vie à sourire. Mes amis, sourire, c’est se donner. Je vous souhaite à chacun de se donner en souriant, sans oublier de recevoir le sourire de l’autre !
Pascal Ide