Harry Potter a-t-il vécu une expérience de mort imminente ?

En acronyme : HP a-t-il ou non fait une EMI (expérience de mort imminente) dans le chapitre antépénultième du dernier volume de la saga [1] ? Certains l’affirment [2]. Pourtant, Harry ne parle pas du fameux tunnel qui débouche sur la lumière ; il n’a pas eu d’arrêt cardiaque, son cerveau n’a pas subi une ischémie critique ; surtout, à la dernière question de Harry : « Est-ce que tout cela est réel ? Ou bien est-ce dans ma tête que ça se passe ? », Dumbledore répond : « Bien sûr que tout ça se passe dans ta tête, Harry, mais pourquoi donc faudrait-il en conclure que ce n’est pas réel [3] ? »

 

Centrons-nous sur les faits signifiants de la surprenante expérience faite par l’ennemi juré de Voldemort.

Harry se retrouve dans un lieu inconnu et vide, un « décor environnant [qui] sembl[e] se créer de lui-même [4] » quand il se tourne.

De même que l’espace est inusuel, plus, incomparable (au sens propre), le temps s’écoule différemment du temps éprouvé dans la vie réelle : « Il était difficile, dans cet endroit, d’avoir une idée précise du temps [5] ».

Harry ne porte plus de lunettes (« Ses lunettes avaient disparu [6] ») et ne paraît pas en avoir besoin, ce qui signifie que ses capacités visuelles sont revedenues intactes, que son corps s’est régénéré. C’est ce que confirme le fait suivant.

En perdant la cicatrice en forme d’éclair (« Elle semblait ne plus être là [7] »), le corps de Harry non seulement ne souffre plus, mais il retrouve lui aussi son intégrité. Il faut dire davantage, cette cicatrice est la signature du mal (incarné et causé par Voldemort). Sa disparition signale donc que Harry est dans un lieu où la violence, omniprésente dans la franchise HP, n’a plus place.

Harry est doué de pouvoirs que même sa magie ne peut obtenir. En effet, celle-ci passe par des formules exprimées à haute voix ; or, lorsqu’il formule « dans sa tête » le souhait d’avoir des vêtements, « une robe de sorcier » se matérialise aussitôt « tout près de lui [8] »

Harry rencontre une personne décédée à laquelle il est très particulièrement attaché, Albus Dumbledore, et a un long échange avec lui : « Mais vous êtes mort, dit Harry. – Oh oui, répondit Dumbledore [9] »).

Tout l’épisode baigne dans un climat serein qui joint la vérité (Dumbledore fait d’humbles et touchants aveux ; Harry découvre son impuissance vis-à-vis des morts qui souffrent à cause de leur responsabilité coupable : « N’aie pas pitié des morts, Harry [10] ») et l’amour (dans le dialogue, il est question de don de soi, de pardon et d’abandon) : « Cet endroit » est « chaud, lumineux, paisible [11] »

Au terme de son voyage, Harry revient dans le monde ordinaire. Et il le décide : « Il faut que j’y retourne, n’est-ce pas ? – C’est à toi de décider. – J’ai le choix ? – Oh, oui [12] ».

Cette expérience transforme Harry et le rend capable d’affronter Voldemort, même s’il n’en rend pas explicitement témoignage dans les deux derniers chapitres.

La mort apparente de Harry n’est pas une mort réelle. À sa question : « Moi aussi, je suis mort ? » Dumbledore répond : « Dans l’ensemble, mon cher Harry, je crois que non [13] ».

Or, tous ces faits (et peut-être d’autres que je n’ai pas relevés), qui ne peuvent advenir dans la vie réelle, sont significatifs d’une EMI. On doit donc en conclure que le plus célèbre sorcier de Poudlard a vécu une expérience aux frontières de la mort.

 

Venons-en aux trois objections [14]. Primo, contrairement à ce que dit la doxa commune, en grande partie façonnée par le best-seller si marquant de Raymond Moody, le sombre tunnel et la lumière étincelante au bout de celui-ci, sont rares dans les EMI (un cas sur douze) et même inexistants dans certaines cultures [15]. Secundo, les chercheurs se divisent entre ceux qui distinguent les EMI vraies (avec atteinte organique) et fausses (sans altération corporelle) et ceux les étendant aux expérienceurs qui « frôlent la mort » sans que leur corps soit affecté ; or, Harry rentre dans ce deuxième cadre, puisqu’il a lui-même décidé de donner sa vie pour que Voldemort disparaisse. Tertio, la question posée par HP résume tout le débat concernant les EMI : sont-elles des fabrications du cerveau et/ou du psychisme humain, ou bien renvoient-elles à un événement objectif, quoique surréel, n’appartenant pas à ce monde ? Et la réponse de Dumbledore, qui a considérablement marqué les lecteurs de la saga [16], atteste que Rowling opine vers le second membre de l’alternative. Elle est précédée par une autre parole qui est une affirmation à peine voilée de la vie après la mort : « Disons-nous au revoir pour l’instant [17] ».

Pascal Ide

[1] Joan K. Rowling, Harry Potter et les Reliques de la Mort, trad. Jean-François Ménard, Paris, Gallimard, 2007, chap. 35 : « King’s Cross ».

[2] Cf., par exemple, Élisabeth Laneyrie, La mort à l’école de Harry Potter, coll. « Essais », s. l., Éd. Maïa, 2020, p. 73 et 75 ; Renaud Évrard, avec la coll. de Ronald Beurms, Expériences de mort imminente, Paris, Albin Michel, 2024.

[3] Harry Potter et les Reliques de la Mort, p. 772.

[4] Ibid., p. 754.

[5] Ibid., p. 760.

[6] Ibid., p. 754.

[7] Ibid.

[8] Ibid.

[9] Ibid., p. 755.

[10] Ibid., p. 771. La protestante Rowling ne croit pas au Purgatoire…

[11] Ibid.

[12] Ibid., p. 771.

[13] Ibid., p. 755.

[14] Pour le détail des références, nous renvoyons à un prochain ouvrage sur ce sujet, à paraître chez DDB.

[15] Cf. Susan Blackmore, « Near-death experiences in India. They have tunnels too », Journal of Near-Death studies, 11 (1993) n° 4, p. 205-217 ; Allan Kellehear, Ian Stevenson, Satwant Pasricha & Emily Cook, « The Absence of Tunnel Sensations in Near-Death Experiences from India », Journal of Near-Death studies, 13 (1994) n° 2, p. 109-113. En ligne.

[16] Cf., par exemple, les différentes interprétations, le plus souvent psychologiques et éthiques, le site consulté le 15 avril 2025 : https://www.reddit.com/r/harrypotter/comments/g7fa1p/of_course_its_happening_inside_your_head_harry/?tl=fr

[17] Harry Potter et les Reliques de la Mort, p. 771.

23.7.2025
 

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