« Fructifiez »

Souvent, ce qui est le plus important est tellement évident que nous finissons par l’oublier ! Le thème peut-être le plus central des Saintes Écritures est notre fructification : Dieu veut que nous portions du fruit. Avec les mots de Jésus : « La gloire de mon Père, c’est que vous portiez beaucoup de fruit » (Jn 15,8).

Avisez plutôt. Quelle est donc la toute première parole que Dieu adresse à l’homme ? « Soyez féconds et multipliez-vous » (Gn 1,28). En fait, le terme hébreu ne parle pas de fécondité, mais de fruit, celui que l’arbre porte. Il faudrait donc traduire : « Fructifiez ».

Quelle est la première comparaison apparaissant dans le premier psaume, donc la première prière que l’homme adresse à Dieu, prière qui d’ailleurs parle du bonheur de l’homme (« Heureux l’homme… ») ? L’homme qui « se plaît dans la loi [ou l’enseignement : la Torah] du Seigneur et murmure sa loi [ou enseignement] jour et nuit […] est comme un arbre planté près d’un ruisseau, qui donne du fruit en son temps » (Ps 1,2-3).

Quelle est la toute première parabole que fait entendre le Nouveau Testament, en l’occurrence, par la bouche du Baptiste ? « Produisez donc un fruit digne de la conversion. […] Tout arbre qui ne produit pas de bons fruits va être coupé et jeté au feu » (Mt 3,8.10).

Quelle est la toute première parabole de Jésus ? Celle du semeur dont il est dit : « Du grain est tombé aussi dans les ronces, les ronces ont poussé, l’ont étouffé, et il n’a pas donné de fruit. Mais d’autres grains sont tombés dans la bonne terre ; ils ont donné du fruit en poussant et en se développant, et ils ont produit trente, soixante, cent, pour un. » (Mc 4,7-8). De même, dans le discours sur la montagne, l’une des toutes premières paraboles de Jésus est : « Tout arbre bon donne de beaux fruits » (Mt 7,17).

Et l’on pourrait continuer. Quelle est la toute dernière parabole de Jésus, celle qu’il réserve à ses Apôtres, lors du Jeudi Saint, où il dévoile sa vie intime avec son Père ? Celle de la vigne : « Tout sarment qui est en moi, mais qui ne porte pas de fruit, mon Père l’enlève ; tout sarment qui porte du fruit, il le purifie en le taillant, pour qu’il en porte davantage » (Jn 15,2). Et quelle est la toute dernière image de l’Apocalypse ? Celle de « l’arbre de la vie » (Ap 22,14).

 

Cette douce et puissante image du fruit n’est pas seulement rustique et romantique ! Elle est théologique et mystique. Plus large que la fécondité qui s’applique à la vie d’abord biologique, la fructification s’étend analogiquement à tout bien, matériel ou spirituel, que nous faisons. En outre, la parole-parabole du fruit est la plus à même de dire notre « communion » avec Dieu (cf. 1 Jn 1,1-3) : pour le dire en termes techniques, si la cause seconde est réellement efficace de son effet, celui-ci atteste encore davantage la causalité de la Causalité première ; pour le dire avec le langage même de l’image, si le fruit provient réellement du sarment, il provient encore davantage du cep. En même temps, la puissance incomparable de la Cause première se dissimule humblement dans celle, toute relative (en relation), mais seule visible, de la cause seconde ; de même la fructification du sarment pourrait faire oublier qu’elle surgit du cep. Enfin, cette métaphore de la fructification va jusqu’à enraciner notre action dans la vie trinitaire : la sève qui s’écoule de Dieu ou plutôt du Christ-Tête en chacun de nous, les membres de son Corps, et qui nous fait accomplir des œuvres « encore plus grandes » que Lui (Jn 14,12), est la même Sainte Sève qu’est l’Esprit-Saint qui s’écoule, si je puis dire, depuis « le sein du Père » (Jn 1,18) jusque dans « le côté » du Fils (Jn 19,34) qui est aussi son sein infiniment fructueux de l’Esprit (cf. Jn 7,37-39).

En cette neuvaine où, comme Jésus, nous désirons « l’Esprit de vérité » (Jn 14,17) et « d’amour » (cf. Rm 5,5) d’un « grand désir » (Lc 22,15), demandons-Lui de fructifier pour une plus grande gloire du Père.

Pascal Ide

19.5.2023
 

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