Le psaume de la paix du coeur

Le psaume 130 (131, dans la numérotation hébraïque) est le psaume de la paix du cœur. Non pas la paix qui s’arrache à la peur et à la honte, mais la paix qui jaillit de l’humilité. Non pas la paix déjà là, mais la paix en devenir. Arpentons ce chemin. Le chemin pour accéder à la paix intérieure écarte le mal et accomplit le bien.

1) Éviter le mal (v. 1)

« Seigneur, je n’ai pas le cœur fier ni le regard ambitieux » (v. 1a).

La paix s’acquiert en écartant le mal présent. Celui-ci est double, intérieur et extérieur. Le mal intérieur qui se trouve dans le « cœur » est la fierté ou l’orgueil. En effet, la paix est l’unité et la concorde ; or, par l’orgueil, je me centre sur moi-même, me gonfle démesurément et exclut l’autre. Donc, l’orgueil mine la communion et trouble la paix des profondeurs.

De même que le cœur s’exprime à l’extérieur par le visage ou dans le regard qui est le centre de ce visage, de même le mal intérieur se traduit au dehors dans la manière de regarder. Voilà pourquoi le cœur orgueilleux se manifeste dans « le regard ambitieux ».

« Je ne poursuis ni grands desseins,
ni merveilles qui me dépassent » (v. 1b).

La paix s’acquiert aussi en écartant le mal à venir. Là de même, double est ce mal futur. Les « desseins » caractérisent davantage le bien poursuivi par la volonté ; or, trop « grands », ces desseins me débordent et me font perdre, avec ma place, la paix qui naît de l’harmonie.

Les « merveilles » caractérisent davantage la beauté qui est la splendeur de la vérité ; or, elles aussi démesurées, les merveilles dépassent mon intelligence et lui font perdre la paix.

2) Accomplir le bien (v. 2 et 3)

La paix s’obtient en accomplissant le bien, précisément, un triple bien, présent, passé ou plutôt originaire et à venir ou plutôt espéré.

 « Non, mais je tiens mon âme égale et silencieuse » (v. 2a).

Ce bien présent d’où découle la paix est décrit dans un verset qui est le centre topographique autant que spirituel autour duquel tout le psaume vrille. Il consiste en un acte à poser (« je tiens ») et un acte intérieur (« mon âme ») qui se dédouble selon les deux pôles de l’intériorité, l’affectivité et la connaissance.

L’âme affectivement paisible est une âme « égale » à elle-même. Le français joint même les deux mots du psaume dans une unique parole, qu’affectionnait singulièrement saint François de Sales : l’équanimité, étymologiquement « qualité de l’âme égale » d’humeur.

L’affect suit la connaissance. Ainsi, l’égalité intérieure suit une âme « silencieuse », c’est-à-dire non pas une âme qui se tait (non seulement, il est impossible de ne pas être traversé en permanence par des flux involontaires de représentations, d’émotions et d’incitations, mais ce flux est un fleuve de vie), mais une âme qui, au lieu d’être agitée, est centrée. Sur quoi ? C’est ce qu’explicite la phrase suivante.

« Mon âme est en moi comme un enfant, comme un petit enfant contre sa mère » (v. 2b).

Nous sommes trop contingents et trop fragiles pour trouver la paix en nous seuls. Cette équanimité silencieuse qu’est la paix survient dans une âme si celle-ci est abouchée à son Origine qui est son commencement passé, mais plus encore son fondement présent. Or, exprimée en termes concrets, l’arrimage s’appelle l’enfance et ce passé fondateur non seulement de la mère, mais la mère sécurisante, qui est la mère toute proche (« contre sa mère »). Et cette mère renvoie à Dieu dont l’hébreu (rahamim) nous rappelle qu’il a des entrailles maternelles, c’est-à-dire des entrailles de miséricorde. De fait, l’on a souvent interprété ce psaume comme celui de l’enfance spirituelle. C’est ainsi que la Bible liturgique, dont nous suivons la traduction (fidèle à l’hébreu), l’intitule : « Comme un petit enfant ». Et la petite Thérèse l’affectionnait particulièrement.

Mais, à souligner cet enracinement dans l’Origine divine, ne nie-t-on pas la possession présente (« je tiens ») ? Nullement ! En soulignant « en moi », c’est-à-dire mon intériorité actuelle, le psalmiste montre que cette fondation n’est pas une aliénation.

« Attends le Seigneur, Israël, maintenant et à jamais » (v. 3).

Mais l’enracinement dans l’origine fondatrice ne suffit pas à asseoir durablement la paix, car la menace contre elle provient du mal à venir. Or, l’attitude qui conjure la crainte du péril est l’espérance : espérer, c’est attendre Dieu, plus encore c’est attendre Dieu (comme fin) de Dieu (comme source). La troisième source de la paix intérieure réside donc dans la vertu de l’avenir qu’est la vertu théologale d’espérance, dont l’acte est l’abandon.

Et cette espérance est doublement englobante. Temporellement, puisqu’elle couvre la totalité du temps : « maintenant et à jamais ». Autrement dit, la paix naît de l’espérance pratiquée instant après instant. Spatialement, puisqu’elle convoque le peuple élu. En effet, admirablement construit, le psaume qui commence en interpellant le Seigneur s’achève en l’invoquant à nouveau. Mais ici, et pour la première fois, le psalmiste prie non plus pour lui seul, mais pour son peuple. Le « je » s’élargit en « nous ». Autrement dit, la paix naît de l’espérance pratiquée pour tous…

 

Ce psaume des montées égrène les trois moments classiques de la vie spirituelle : la vie purgative ou la lutte contre le mal (v. 1), la vie illuminative ou la pratique des vertus (v. 2) et la vie unitive ou l’abandon aux dons (v. 3).

Le psaume 130 est l’un des plus brefs du psautier, si bref qu’il peut très aisément se mémoriser. Croyez-moi, sa répétition attentive transforme le cœur et l’installe dans cette paix imprenable dont parle un autre psaume : « Évite le mal, fais ce qui est bien, poursuis la paix, recherche-la » (Ps 33 [34],15).

Pascal Ide

31.12.2018
 

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