Le don à vue de nez : pour une ontologie de l’odorat 1/3

« Je vous sentirai sur la tête [I will smell thee on the head],

ceci est le plus grand signe de tendre amour [tender love] [1] ».

 

« On a beau respirer une fleur qui s’accorde avec l’odorat,

on ne peut en finir avec ce parfum dont la jouissance ranime le besoin [2] ».

 

Comme toujours, mon intention est de chercher en quoi la spécificité de l’odorat – comme chacun des cinq autres sens externes – s’éclaire à la lumière du don, dans le cadre d’une anthropologie de l’amour-don. Après un état des lieux, qui joint topique (1) et objections (2), je procèderai à une induction d’un certain nombre de données concernant l’odorat en son originalité (3-5), avant de les ressaisir de manière unifiée dans une détermination philosophique (6) et théologique (7) d’abord générale, puis ultimement centrée sur l’être comme amour-don (8) [3].

1) Topique philosophique

Cette topique porte sur le sens du sens, c’est-à-dire sur la signification humaine, voire métaphysique, de l’odorat.

La manière la plus simple de répartir les opinions sur l’odorat est d’opposer ceux qui le valorisent et ceux qui le dévalorisent. C’est ainsi que, dans son remarquable ouvrage de philosophie olfactive – le seul, actuellement en français, qui se refuse à une approche seulement historique –, Chantal Jaquet répartit les opinions relatives à la place de l’odorat en philosophie à partir des philosophes présocratiques, de manière peut-être un peu forcée, mais astucieuse. Sa classification pourrait être visualisée par une ligne qui va d’un pôle anosmique (représenté par Parménide d’Élée et Anaxagore de Clazomènes) à un pôle panosmique (Empédocle d’Agrigente), en passant par deux intermédiaires (Démocrite d’Abdère et Héraclite d’Éphèse) [4].

a) Dévalorisation de l’odorat

Nous renvoyons aux différentes objections que parcourra la deuxième partie, des philosophes seront passés en revue qui ont dévalorisé l’odorat. La raison est d’abord anthropologique : la dernière place occupe le dernier rang parmi les sens externes, en raison de son imperfection cognitive.

Mais la disqualification est aussi et encore plus éthique, autant chez les Anciens que chez les Modernes. Ainsi, pour Platon, la recherche des parfums est l’indice d’une vie luxueuse, dissolue et acédique, bref traduit-trahit une cité gonflée par les humeurs [5]. De même, Plaute affirme qu’« une femme sent bon lorsqu’elle ne sent rien [6] ». Et, franchissant de nombreux siècles, le chancelier Francis Bacon estime que les parfums ont plus besoin d’un censeur que d’un maître [7], alors que Bossuet dénonce

 

« les bonnes senteurs préparées pour affaiblir l’âme, l’attirer aux plaisirs des sens par quelque chose qui, ne semblant pas offenser la pudeur, s’y fait recevoir avec moins de crainte, la dispose néanmoins à se relâcher et à détourner son attention de ce qui doit faire son occupation naturelle [8] ».

b) Survalorisation de l’odorat

Tout au contraire, pour certains philosophes, l’odorat « est le trône de la future sagesse », selon le mot d’Apollinaire [9]. Chantal Jaquet en étudie trois : Lucrèce, qui fait du nez le lieu de la sagacité ; Condillac, qui, dans sa célèbre fiction de la statue [10], fait de l’odorat ce par quoi nous accédons à l’esprit ; Nietzsche, qui fait du flair le moyen universel du discernement. Disons un mot de ce dernier et adjoignons-lui, un de ses disciples actuels, à raison non pas de sa profondeur, mais de sa diffusion…

1’) Friedrich Nietzsche

Pour le philosophe et linguiste allemand, le nez est le sens par excellence du discernement. Il ne cesse de l’affirmer dans son œuvre : « On peut […] s’en remettre à son flair, on ne se trompera pas souvent [11] » ; « Tout mon génie est dans les narines [12] ». C’est avant tout une caractéristique personnelle, ainsi qu’il en fait l’aveu :

 

« Je me distingue par une sensibilité absolument déconcertante de l’instinct de propreté, de sorte que je perçois physiquement, ou que je flaire les approches – que dis-je ? – le cœur, l’intimité secrète, les ‘entrailles’ de toute âme […]. Cette sensibilité constitue chez moi de véritables antennes psychologiques qui me permttent de saisir et de palper tous les secrets : l’épaisse crasse cachée au fond de plus d’une nature [13] ».

 

Mais les raisons de cette préférence sont communes à tous les hommes. Tout d’abord, l’odorat est le plus affiné des cinq sens externes, ainsi que la médecine elle-même le montre :

 

« En nos sens, quels délicats instruments nous possédons ! Ce nez, par exemple, dont aucun philosophe n’a parlé avec respect et gratitude, est même pour l’instant l’instrument le plus fin dont nous disposions : il est capable de discerner des différences minimales de mouvement que le spectroscope ne distingue pas [14] ».

 

Ensuite, l’olfaction est même plus fine que la raison : « Toute bête, la bête philosophe comme les autres, […] déteste non moins instinctivement et avec un flair d’une finesse ‘supérieure à toute raison’ tous les trouble-fêtes et tous les obstacles qui surgissent ou pourraient surgir sur son chemin vers l’optimum [15] ».

Pour Nietzsche, cette sagacité s’exerce à l’égard du vrai, mais aussi à l’égard des erreurs et des mensonges. En effet, ceux-ci se caractérisent par la puanteur : « Ne flaires-tu pas déjà les abattoirs et les gargotes de l’esprit ? Ne suffoque cette ville sous la fumée de l’esprit qu’on équarrit [16] ? » Et ce discernement s’exerce singulièrement à l’égard de l’ennemi personnel de Nietzsche, le christianisme : « Il suffit de lire n’importe quel agitateur chrétien, saint Augustin par exemple, pour comprendre, pour saisir à plein nez quelles sortes de malpropres compères avaient à cette occasion pris le dessus [17] ! ».

 

Pour autant, le paradoxe vaut la peine d’être noté, ce primat constamment proclamé de l’odorat ne conduit pas à rapprocher l’homme de la terre, mais l’élève : « Qui sait respirer l’air de mes écrits sait que c’est un air des hauteurs [18] ». C’est ainsi que Zarathoustra le solitaire aspire à l’air des hauteurs – qu’il aspire à plein nez : « La liberté de la montagne, avec de béates narines, à nouveau je l’aspire ! De l’odeur de tout ce qui est humain, libre est enfin mon nez [19] ! »

2’) Michel Onfray

Aujourd’hui, notamment à la suite de Nietzsche, le matérialiste athée Michel Onfray accorde aussi à l’odorat la prime place. Mais, autant Nietzsche est un chercheur authentique, jusqu’à la mystique, autant Onfray fait figure de faiseur, à la limite de l’improbité. Un exemple emblématique de son manque de rigueur suffira à le montrer. Onfray voit en Démocrite « un philosophe emblématique des fanatiques du nez [20] ». Pour l’illustrer, il rapporte l’épisode suivant :

 

« L’odorat du philosophe était tellement exercé qu’il distinguait, par ses seules narines, les vapeurs de sperme qui volait dans les rues d’Abdère. Ainsi, il fut en mesure de saluer un soir une jeune fille qui passait par là en compagnie d’Hippocrate par un ‘bonjour mademoiselle’ qu’il transforma le lendemain en un tonitruant ‘bonjour madame’. Diogène Laërce qui rapporte le trait, précise pour éclaircir l’énigme : ‘Et de fait la jeune fille avait perdu la nuit sa virginité’ [21] ».

 

Lisons maintenant la source citée par le polémiste français :

 

« On dit aussi qu’Hippocrate était accompagné d’une jeune fille que Démocrite salua le premier jour d’un ‘bonjour mademoiselle’ et le lendemain d’un ‘bonjour madame’ ; et de fait la jeune fille avait perdu la nuit sa virginité [22] ».

 

La distance entre le récit et la source atteste le manque de rigueur d’Onfray et la tendance interprétative : Diogène Laërce n’attribue pas le diagnostic à l’odorat ; de fait, ce discernement peut d’autant plus provenir de la vue que les disciples d’Hippocrate se targuaient de repérer un écart de régime ou de conduite par l’observation de la seule apparence extérieure d’une personne [23] ; enfin, nulle déclaration « tonitruante » chez Démocrite sur lequel le provocateur actuel semble projeter sa tendance à la provocation…

2) Objections

Le philosophe – mais aussi le sens commun – adresse au moins cinq objections à l’odorat. On pourrait les répartir selon les transcendantaux – vrai, bon, être – qui, tout en étant éloignées de la philosophie de l’homme, leste ontologiquement l’olfaction – comme tous les sens, l’odorat montre, dit, donne indirectement l’être.

a) Objections ontologiques

1’) Arguments comportementaux
a’) Arguments synchroniques

De tous les sens, l’odorat reconduit l’homme à un état pré-civilisé (c’est-à-dire un état premier de l’humanité), voire préhumain (c’est-à-dire nous assimile à l’animal).

L’on retrouve la première opinion dans une nouvelle d’Italo Calvino. L’homme préhistorique se caractéristique par l’hyperosmie et l’homme moderne par l’anosmie. Jadis, « tout ce qu’il nous fallait comprendre, nous le comprenions par le nez avant que par les yeux [24] ». Donc, l’olfaction nous fait régresser à un état préhistorique.

L’on retrouve la seconde opinion déjà chez Aristote : « Nous disposons d’un odorat nettement inférieur à celui des autres animaux [25] ». Aussi, pour le Stagirite, l’olfaction est-elle le plus bas dans la hiérarchie des cinq sens externes. Un argument est le suivant. L’odorat ne peut fonctionner que de près ou près du sol. Or, la première attitude incommode l’autre et la seconde assimile l’homme à l’animal.

Une confirmation en est donnée par les « enfants-loups ». Ce sont des états embryonnaires d’humanité. Or, ces enfants sauvages ont surdéveloppé leur odorat. Tel est le cas de Jean de Liège [26], d’Amala et Kamala ou de Victor de l’Aveyron [27]. Par exemple, lorsqu’Amala meurt d’une néphrite en septembre 1921, sa sœur Kamala l’a cherchée pendant dix jours, « quêtant la moindre odeur que celle-ci aurait laissée [28] ». Et Jean Itard notait que l’odorat de Victor « était d’une délicatesse qui le mettait au-dessus de tout perfectionnement [29] ».

Une autre confirmation vient des « sauvages », ce que l’on appelle aujourd’hui les peuples premiers : « On dit – écrit Rousseau – que les sauvages du Canada se rendent dès leur jeunesse l’odorat si subtil que, quoiqu’ils aient des chiens, ils ne daignent pas s’en servir à la chasse, et se servent de chiens à eux-mêmes [30] ».

b’) Arguments diachroniques

Un autre argument comportemental est le suivant. L’enfant est hyperosmique. De fait, de nombreuses études montrent combien il est doué pour reconnaître l’odeur de sa mère : il est capable de repérer l’odeur du sein maternel quelques instants après la naissance. La raison (cause formelle) en est que les sécrétions du sein et du liquide amniotique ont même profil chimique et donc même odeur [31]. Mais l’accès à l’âge l’adulte déclasse l’odorat au profit de la vue et de l’ouïe. Or, l’enfant est à l’adulte ce que la puissance est à l’acte. Donc, l’odorat caractérise un état imparfait du développement humain.

Une confirmation en est que, dans le sein utérin, le sens de l’odorat est mis en place très tôt, alors que la vue se développe plus tardivement : « À la quatorzième semaine de gestation, des cellules sensorielles et morphologiquement matures apparaissent », explique une spécialiste de la relation olfactive mère-enfant ; voire, « lorsqu’il [l’embryon] commence à avaler de manière épisodique à la douzième semaine de grossesse, la composition chimique du liquide amniotique stimule très rapidement ses récepteurs gustatifs et olfactifs [32] ». Or, ce qui est premier dans la génération est dernier dans la perfection. Donc, l’odorat est le plus imparfait des sens.

Ce qui est vrai de l’ontogenèse l’est aussi de la phylogenèse. De tous les sens, la vue est celle qui se développe le plus tardivement à l’échelle de l’évolution des espèces animales. Les oiseaux mis à part (mais pour des raisons accidentelles, liées à leur écosystème), la vision n’acquiert clairement sa prééminence que chez les grands singes – et Yves Coppens en a offert une théorisation qui est demeurée célèbre sous le nom de l’East side story [33], même si la base expérimentale est désormais plus que fragilisée. Inversement, le sens de l’odorat se développe bien antérieurement. Donc, là encore, l’olfaction est un sens inférieur. « Quand l’animalité s’élève, il y a une prédominance de la vue sur l’odorat [34] ».

c’) Évaluation critique

Le déclin de l’olfaction chez l’homme est un mythe [35].

En fait, il faut dire plus. L’enfant ne fait pas que reconnaître le sein maternel, mais, par la médiation de l’odeur de ce sein, c’est sa mère elle-même qu’il reconnaît. Lors d’une expérience, le chercheur a disposé de chaque côté de l’enfant nouveau-né un tampon de gaze, le premier imprégné par l’odeur du sein de sa mère, l’autre étant soit inodore, soit imprégné de l’odeur du sein d’une autre femme ayant un enfant du même âge. Les résultats montrent que, les tout premiers jours, l’enfant se tourne spontanément bien davantage vers le premier tampon [36]. Confirmation en est apportée par une autre enquête : dès le troisième jour, le nourrisson se calme lorsqu’on lui présente un coton imprégné de l’odeur de sa mère et s’agite lorsqu’on lui présente un coton imprégné de l’odeur d’une autre mère [37].

De plus, nos compétences olfactives ne sont pas moindres que celles de l’animal.

 

« L’appareil olfactif humain – explique Pierre-Marie Lledo – s’est développé de manière à avoir des capacités uniques par rapport à celui de tous les vertébrés. Nous sommes les seuls à pouvoir mettre un objet alimentaire dans la bouche, à le réchauffer et à avoir ensuite, par voie rétronasale, une stimulation de l’appareil olfactif. Tous les dégustateurs savent bien au fond que tout vient du nez [38] ».

 

En revanche, nos compétences sont plus acquises qu’innées. Alors qu’un petit enfant ne sait discerner que quelques odeurs, il n’en est plus de même chez un homme entraîné. C’est ainsi que, dans la formation traditionnelle des nez à Grasse, l’apprenti doit mémoriser l’odeur de quatre cents matières premières en quatre mois, alors qu’un parfumeur entraîné – ce que l’on appelle un « nez » – sait reconnaître jusqu’à trois mille produits.

De ce point de vue, si le flair du « sauvage » est plus délié et plus dominant, il est moins affiné dans sa capacité de discernement. D’abord, il distingue peu bonnes et mauvaises odeurs. Ainsi, pour Gaspar Hauser, « toute odeur est désagréable, exception faite de celle du pain, de l’anis ou du cumel [39] ». De même, quoique quantitativement très délicat, l’odorat de Victor est qualitativement grossier, ainsi que le même Jean Itard le note : « l’odorat était si peu développé qu’il recevait avec la même indifférence l’odeur des parfums et l’exhalaison fétide des odeurs dont sa couche était pleine [40] ». De même, remarque Bernardin de Saint-Pierre, « l’odorat si subtil du chien est indifférent à une multitude de parfums auxquels l’homme est très sensible [41] ». Et déjà Aristote : « L’homme est, pour ainsi dire, le seul animal à sentir les odeurs de fleurs et autres odeurs semblables et à en tirer satisfaction [42] ».

d’) Confirmation. Argument en faveur de l’inhibition

Le psychiatre Oliver Sachs rapporte la stupéfiante histoire suivante :

 

Stephen D., 22 ans, étudiant en médecine, se drogue à la cocaïne, au PCP, un anesthésique d’usage vétérinaire, et surtout aux amphétamines jusqu’à ce qu’il vive une expérience unique. Une nuit, « il rêva qu’il était un chien, évoluant dans un univers olfactif incroyablement riche et évocateur ». Or, à son éveil, le rêve devient réalité. En fait, ce sont tous les sens qui sont extrêmement aiguisés. Par exemple le sens de la vue : « Je distinguais des douzaines de bruns là où auparavant je n’en voyais qu’un seul. Mes livres reliés en cuir, qui paraissaient tous identiques, avaient maintenant des nuances tout à fait distinctes ». De même, sa mémoire visuelle s’amplifie considérablement : « Avant, j’étais incapable de dessiner […]. Je suis brusquement capable de tracer les dessins anatomiques les plus précis ». Mais c’est le sens de l’odorat qui est le plus exalté de tous, d’autant que l’olfaction s’accompagne d’une émotion troublante, la nostalgie d’un monde perdu. « Je suis entré dans une parfumerie. Je n’avais jamais eu tellement de nez pour les odeurs, et maintenant je les distinguais toutes les unes des autres – et je trouvais chacune unique, évoquant à elle seule tout un monde ». Désormais toute réalité est marquée d’une empreinte olfactive, au point que Stephen peut reconnaître infailliblement chaque rue, chaque boutique, à son odeur, et ainsi tracer son chemin dans New York. Voire il peut repérer au seul nez non seulement les choses mais les personnes : « J’entrais dans la clinique, je reniflais comme un chien et reconnaissais, avant de les voir, les vingt patients qui se trouvaient là. Chacun d’entre eux avait sa propre physionomie olfactive, beaucoup plus forte et évocatrice que n’importe quelle physionomie visuelle ».

Au bout de trois semaines, Stephen quitte ce monde de pure sensorialité, qui est celui de la vie animale, pour retrouver son monde humain, passablement anesthésié. Voilà comment il résume son expérience : « Je suis content d’en sortir, mais, en même temps, c’est une perte terrible. Je sais maintenant à quoi nous renonçons en étant civilisés et humains ». Son propos n’a pas changé, seize ans plus tard, alors qu’il est devenu un jeune médecin de renom : « Ce monde olfactif […] si intense, si réel ! On aurait dit que je visitais un autre monde, un univers de perception pure, riche, vivant, autonome, pleine. Si seulement je pouvais revenir en arrière et redevenir un chien [43] ! »

 

Retenons de cette expérience peu commune la différence entre l’odorat dont nous faisons tous les jours un usage réduit, limité, et l’odorat qui reviendrait à son ouverture maximale. Faut-il regretter, comme Stephen, de ne pas exercer notre olfaction comme le fait un chien ? Son inhibition permet l’exercice des autres facultés, notamment l’intelligence et la volonté. Surtout, eu égard à notre problématique, relevons que la potentialité olfactive demeure présente en nous en toute sa largeur et qu’en certaines circonstances (ici la drogue, avec tout son risque destructeur), elle peut se déployer. Il existe donc en l’homme un champ de potentialités beaucoup plus large que celui qu’il exploite usuellement. La ressource est le retour à ces possibles en germe. Des études très sérieuses montrent que les chiens peuvent détecter des cancers de la peau, des poumons ou du sein [44], et être entraînés à discerner le cancer de la vessie [45]. Partant de ces études, le médecin Thierry Janssen se demande si « dans certains états de conscience, l’être humain perçoi[t] des informations habituellement inaccessibles à ses sens, inhibés par l’activité constante de son cortex cérébral [46] ? »

2’) Arguments organiques
a’) Exposé

Un argument organique peut s’adjoindre à ces arguments comportementaux : l’anatomie comparée montre que les zones du cerveau consacrées à l’olfaction déclinent avec l’évolution ; or, celle-ci peut être lue comme un processus de complexification et donc de progrès. De plus, d’un point de vue ontogénétique, des cinq sens, la partie du cortex dévolue à l’odorat est la plus petite (nous y reviendrons) ; or, non seulement les sens externes ont besoin d’un support organique pour s’exercer, mais, plus une fonction est importante, plus elle mobilise le cortex. Donc, une nouvelle fois, l’odorat est le moindre des sens externes. De là, à affirmer qu’il est méprisable…

b’) Évaluation critique

Primo, cette évaluation pèche quant à l’observation. En effet, Linda R. Buck et Richard Axel, prix Nobel 2004 de physiologie et de médecine, ont établi que les neurones connectés aux récepteurs olfactifs se distinguent des autres cellules nerveuses sensorielles en ce qu’ils ne sont pas regroupés topographiquement [47].

De plus, ces chercheurs ont découvert que, chez les vertébrés, la famille des gènes présidant à la synthèse de ces récepteurs est, de loin, plus importante que les gènes concernant les autres sens ! C’est ainsi qu’ils ont décrit un millier de gènes associés aux récepteurs olfactifs chez les rongeurs (soit environ 3 % de leur génome) et 300 chez l’homme (soit environ 1 % de leur génome). Ainsi, cette famille de gènes est, comparativement, « supérieure en nombre à celle des récepteurs du système immunitaire » lui-même. On peut en déduire que « loin d’être une fonction en régression au cours de l’évolution, l’olfaction occupe une place prépondérante [48] ».

En outre, le bulbe olfactif, organe cérébral de l’odorat, est l’une des régions du cerveau les plus richement dotées en cellules souches. Or, celles-ci sont les cellules ressources qui permettent le renouvellement. Aussi, Pierre-Marie Lledo affirme-t-il que « tout le monde est intimement persuadé que les concepts qui doivent émerger dans les années à venir tiendront à l’olfaction plutôt qu’à la vision ou l’audition [49] ».

Secundo, cet argument pèche quant à son principe philosophique. En effet, l’on est en droit de s’interroger, de manière plus générale, sur la pertinence d’une réflexion sur la hiérarchie des sens – omniprésente dès l’Antiquité. D’ailleurs, le schème holistique ne doit-il pas doubler, compléter le schème hiérarchique ? Voire, une relecture à l’aune de l’être-don transforme la supériorité, la hiérarchie en service et la relation unilatérale de communication en relation bilatérale de communion.

b) Objections épistémologiques

L’odorat est aussi critiqué au nom de la vérité. Deux raisons sont avancées : l’olfaction est trompeuse et, même si elle ne l’est pas, elle demeure subjective, c’est-à-dire bornée au sujet.

1’) L’odorat trompeur
a’) Exposé

L’odorat n’est pas un sens fiable. L’illustration peut-être la plus célèbre est l’analyse cartésienne du morceau de cire ou plutôt de son évolution [50]. Résumé à son ossature logique, l’argumentation des Méditations métaphysiques est la suivante. Un morceau de cire possède différentes caractéristiques sensibles, notamment odorante, à l’état solide ; mais toutes ces notes sensibles changent lorsqu’il passe à l’état liquide. Or, il s’agit du même morceau de cire, de la même substance. Par conséquent, les sens nous trompent quant à l’essence des choses. L’odeur d’une chose, par exemple, n’est pas une qualité intrinsèque des corps, mais une espèce de vêtement [51]. Plus généralement, « des sentiments tels que sont ceux qu’on nomme goût, odeur, son, chaleur, froid, lumière, couleur, et autres semblables, […] véritablement ne nous représentent rien qui existe hors de notre pensée [52] ».

John Locke systématisera l’argument en distinguant qualités premières et qualités secondes [53].

b’) Évaluation critique

La réfutation est exposée en philosophie de la connaissance, précisément dans le chapitre consacré à l’empirisme et au rationalisme.

2’) L’odorat est subjectif
a’) Exposé

Les sens sont des fenêtres ouvertes sur le monde, sur la réalité qui existe hors de nous, autrement dit qui nous en offrent l’objectivité. Or, l’odorat est un sens subjectif. Autrement dit, selon le mot de saint Bernard, « odoratus impedit cogitationem ».

On trouve chez un autre empiriste, Thomas Hobbes, une formulation un peu différente du même argument. La vérité est universelle ; or, la sensation olfactive est éminemment singulière ; donc, elle ne permet pas d’accéder à la vérité.

 

« Il sera facile de s’apercevoir que l’odeur et la saveur d’une même substance ne sont pas les mêmes pour tous les hommes, et nous en conclurons qu’elles ne résident point dans la substance que l’on sent ou que l’on goûte, mais dans les organes [54] ».

 

Un autre argument vient d’une expérience propre à l’olfaction, relevée par le même philosophe écossais :

 

« L’expérience de chaque homme démontre que les mêmes odeurs quand elles paraissent provenir des autres, nous offensent, bien qu’elles émanente de nous ; tandis qu’au contraire, quand nous croyons qu’elles émanent de nous, elles ne nous déplaisent pas, lors même qu’elles émanent des autres [55] ».

b’) Évaluation critique

La réfutation relève du même chapitre de l’épistémologie.

Répondons au second argument de Hobbes. La différence observée ne peut provenir que de la représentation imaginative. Donc, ce n’est pas le sens externe, mais le sens interne, qui est subjectif.

Hobbes, quant à lui, répond ainsi : « Le déplaisir que nous éprouvons dans ce cas naît de la conception ou de l’idée que ces odeurs peuvent nous nuire ou sont malsaines, et par conséquent ce déplaisir est une conception d’un mal à venir et non présent [56] ». Une nouvelle fois, la représentation ne vient pas de la sensation externe, mais d’un acte interne, ici de l’affectivité – précisément, elle provient de la crainte [57], dont on sait le pouvoir projectif. Donc, l’erreur, redoublée, ne relève pas de la puissance olfactive.

c) Objections éthiques

L’olfaction est ensuite dévalorisée pour des raisons éthiques.

1’) L’odorat favorise le rejet
a’) Exposé

La relation veut la présence et la relation intime la proximité ; or, la proximité rend l’odeur d’autrui perceptible ; plus encore, alors qu’il est possible d’éviter une couleur en détournant le regard ou en fermant les paupières, et un son en se bouchant les oreilles, il est impossible d’échapper au remugle qui nous envahit de toute part ; mais certaines odeurs d’autrui sont insupportables ; donc, l’odorat peut contrarier la relation – et, avec elle, un besoin fondamental, puisque l’homme est « naturellemente sociable ». Ainsi « l’odorat semble le sens insociable par excellence [58] ».

Kant, qui reproche à l’odorat d’être plus désagréable qu’agréable [59], va jusqu’à dire que cette anti-urbanité s’étend même au parfum. Traitant des désagréments de la musique qui, contrairement aux arts plastiques ne s’imposant qu’aux yeux, s’imposent au voisinage (à l’opposé de ce qu’a prétendu le précédent argument), il prend l’analogie « du plaisir d’un parfum qui se répand au loin. Celui qui tire de sa poche son mouchoir parfumé régale tous ceux qui se trouvent autour et à côté de lui contre leur gré et les oblige, s’ils veulent respirer, à jouir aussi de ce plaisir [60] ».

b’) Évaluation critique

Le conditionnement culturel est ici considérable. Dans nombre de civilisations, la proximité olfactive est valorisée. Cela est particulièrement vrai dans les civilisations arabes qui sont à la fois, côté objet, odorophiles et, côté sujet, hyperosmiques. C’est ainsi que, au xiiie siècle, un prince d’Alep, Ibn Al Adîm, affirmait que « se parfumer les habits et le corps est un moyen de se rapprocher de ceux et de celles que l’on aime, et cette raison impose à ceux qui s’habillent, mangent et boivent de se les parfumer convenablement [61] ». Chez un certain nombre de peuples esquimaux, samoates ou polynésiens, comme les Maoris ou les Tongas en Polynésie, l’on pratique le baiser esquimau qui consiste à se frotter le museau. Or, les « baisers de nez sont des baisers d’odeurs [62] », autrement dit la finalité du baiser est de « se flairer l’un l’autre [63] ».

De plus, le caractère insupportable de l’odeur est beaucoup plus conditionné et surmontable qu’on ne le croit.

2’) L’odorat favorise l’exclusion
a’) Exposé

Dans l’histoire et encore aujourd’hui, l’odorat fut utilisé pour disqualifier l’autre, voire pour l’exclure. Une simple revue du vocabulaire l’atteste. Beaucoup d’expressions haineuses, dans le langage courant, familier, voire argotique, empruntent au registre olfactif : « Je l’ai dans le nez », « Je ne peux pas le sentir (balirer, piffer) », ce type est « puant », « pourri », « un charognard », « une ordure », « une saleté », « une sous-merde », etc. D’ailleurs, l’expression faciale qui accompagne ces paroles est la même que celle adoptée en face d’un remugle pestilentiel, d’un relent nauséabond. Or, en soi et aujourd’hui plus qu’avant, l’exclusion est une attitude profondément répréhensible. Donc, l’odorat doit être prohibé.

L’exclusion est l’attitude qui consiste à exclure une partie de l’humanité au nom de sa malfaisance. Or, l’unique humanité peut se répartir en différentes catégories selon la perspective considérée : l’ethnie, la race, le sexe, l’identité nationale, l’appartenance politique. Par ailleurs, les sensations olfactives se répartissent d’abord et avant tout en fonction de leur caractère agréable et désagréable, autrement dit à partir de l’opposition bien-mal. Mais notre vocabulaire, surtout affectif, est volontiers symbolique, c’est-à-dire emprunte au registre sensoriel. Voilà pourquoi le lexique de l’exclusion est riche en termes olfactifs.

Mais il y a plus : c’est au nom de son odeur qu’on disqualifie l’autre. On peut le montrer inductivement en parcourant les différentes espèces d’exclusions : ethnique, raciale, sexiste, politico-nationaliste.

  1. Ethnique, dont la première (la plus importante en sa signification et la plus grave en ses conséquences) est l’antisémitisme. En effet, le discours antisémite s’est nourri d’une justification olfactive, la puanteur juive, le « foetor judaïcus », depuis le Moyen Âge jusqu’à nos jours et jusque dans les traités de médecine : « Aussi est-ce cette puanteur et leur ordure dans laquelle ils sont tous les jours plongés en leurs maisons, comme un pourceau dans son auge [64]». C’est ainsi que Léon Blum, juif qui fut chef du Front Populaire en France, fut traité de « tas d’immondices », « paquet de pourriture », « chameau puant » qui « sue cette espèce de vapeur orientale qu’exhalent tous ses congénères, ce suin laineux si caractéristique » [65].
  2. Raciste. En effet, dans la littérature coloniale, le racisme s’accompagne souvent d’un préjugé olfactif selon lequel par exemple le « nègre » sue et pue. On pourrait multiplier les illustrations. Dans son fameux Essai sur l’inégalité des races, Gobineau affirme que le Noir, indifférent aux relents, se complait dans la puanteur… Même le naturaliste par ailleurs rigoureux qu’est Buffon n’hésite pas à écrire que les noirs angolais et capverdiens « sentent si mauvais lorsqu’ils sont échauffés que l’air des endroits par où ils sont passés en est infecté pendant plus d’un quart d’heure [66]». Si l’on me permet un souvenir personnel, mon grand-père, qui avait dû embaucher des « nègres » dans son entreprise, aimait affirmer qu’ils « puaient le cadavre ». D’ailleurs, entre la couleur et l’odeur, c’est bien la seconde qui est la moins supportable [67].
  3. Sexiste. Distinguons l’orientation de l’identité. Or, au nom de son odeur insupportable, l’autre est exclu, que ce soit à cause de son orientation, notamment homosexuelle [68], ou au nom de son sexe, notamment féminin. Ainsi, l’un des pires termes de mépris à l’égard de la femme est celui de « putain » (puttana en italien, puta en espagnol ou en portugais) ; or, il dérive du latin putere, « puer, sentir mauvais ». De même, le terme infamant « salope », dont l’origine est incertaine, renvoie à la saleté ; or, celle-ci est connotée négativement notamment à cause des odeurs véhiculées. D’ailleurs, de manière archaïque, le corps féminin est souvent asocié à impur, malodorant, à cause d’une représentation puante du vagin et des menstruations [69].
  4. Haine nationale. Pour diaboliser l’ennemi, l’une des plus sûres tactiques est de lui associer un remugle repoussant. « Tous les cœurs (comme dit la Bible) – affirme Valéry – sont endurcis ou plutôt durcissent dans l’instant même, à peine soupçonnent-ils, flairent-ils le fumet de l’adversaire [70]». Cette loi s’est particulièrement vérifiée pendant la Grande Guerre. En effet, le Français attribuait à l’Allemand une odeur pestilentielle. Pour le justifier, un certain Bérillon, avec la tranquille et contagieuse (sic !) conviction du savant, invente une pseudo-discipline, l’ethnochimie, et élabore la théorie selon laquelle « l’odeur des boches » est due à une maladie ethnique, la bromidrose. « Plusieurs aviateurs m’ont affirmé que, lorsqu’ils arrivent au-dessus d’agglomérations allemandes, ils en sont avertis par une odeur dont les narines sont affectées même lorsqu’ils survolent à une grande hauteur [71]». L’explication avancée est la suivante :

 

« L’Allemand, qui n’a pas développé le contrôle de ses impulsions instinctives, n’a pas cultivé davantage la maîtrise de ses réactions vasomotrices. Par là, il se rapprocherait de ces espèces animales, chez lesquelles la peur ou la colère ont pour effet de provoquer l’activité exagérée de glandes à sécrétion odorante [72] ».

 

  1. Haine sociale. Les stigmatisations sociales passent aussi par la médiation de l’odorat. C’est ainsi que, au xixe siècle, toute une rhétorique de la hiérarchisation civile passait par l’opposition entre le parfum discret du bourgeois et la puanteur des classes ouvrières. L’auteur de Salammbô s’en fait lui-même l’écho : « J’ai fait un excellent retour, à part la puanteur qu’exhalaient mes voisins de l’impériale, les prolétaires que vous avez vus au moment de mon départ. J’en ai à peine dormi de la nuit [73]». Voire, lorsque le parvenu se hisse hors de la vulgarité typique de sa précédente classe sociale et se met à se parfumer, le parfum lui-même devient un argument qui se retourne contre le parvenu, trop ou mal parfumé. C’est ainsi que Gaev, l’héritier de la Cerisaie, constate avec une morgue toute aristocratique dirigée contre Lopakhine, moujik hier, riche marchand aujourd’hui : « Il y a ici une odeur de patchouli [74]». D’ailleurs, le psychologue John Dollard montre que l’usage du parfum a renforcé les préjugés racistes au lieu de les abolir, selon une argumentation non-réfutable : « Si les Noirs se parfumaient tant, c’était justement parce qu’ils sentaient mauvais [75] ! »

C’est à cause du caractère si excluant – spontanément et presque obligatoirement excluant – de l’odorat, que l’écrivain engagé Gilbert Cesbron affirmait : « Dieu n’a pas le nez sensible ».

b’) Évaluation critique

Là encore, tout réduire à une construction sociale, voire à une manipulation, ne suffit pas. Lorsqu’il arrive sur le site du bidonville de Bondy (vérifier), le père Joseph Wresinski, premier prêtre lui-même issu de la misère, a dit qu’il a été envahi jusqu’à suffoquer par l’odeur de la misère qui le frappait en plein nez et lui évoquait toute son enfance. De même, Arnold Toynbee affirme que, pour les japonais végétariens, les occidentaux carnivores dégagent une « odeur fétide et rance », voire une odeur de fromage et de beurre, au point qu’ils les désignent par un surnom : bata kusai, « pue-le-beurre » [76]. Or, le botaniste Francis Hallé remarque que les excréments des plantes (le fumier) sont beaucoup plus agréables à l’odeur que ceux des animaux [77]… Donc, la hiérarchisation des odeurs selon les mœurs alimentaires n’est pas dénuée de fondement organique.

Ensuite, ce que cette effarante et effrayante induction démontre, c’est non pas la vérité de la découpe de l’humanité en bons et en méchants groupes, mais celle des objets olfactifs entre bons et mauvais, donc sa portée symboliquement éthique, sur laquelle il faudra revenir.

Enfin, nous verrons que l’odeur est aussi médiatrice d’amour et de bonté. Elle ne sert pas seulement, ni même d’abord, à séparer les brebis des boucs, mais à nous porter vers l’aimé.

3’) L’odorat interdit la liberté
a’) Exposé

Un agir moral est un agir autonome, donc maître de soi. Or, la (mauvaise) odeur conduit à des actes involontaires. Donc, l’olfaction peut contrarier un agir humanisé, libre. Concrètement, et nous l’avons vu avec le cas de l’étudiant en médecine, l’odeur émise par l’autre peut jeter le trouble. De plus et plus radicalement, le pauvre a moins accès à l’hygiène, matériellement et même psychologiquement ; or, la saleté a une odeur et un coût qui est l’exclusion.

 

« La propreté est tout ensemble et un moyen de conservation et un signe qui annonce l’esprit d’ordre et de conservation ; on s’afflige de voir à quel point elle est inconnue à la plupart des indigents et c’est un triste symptôme de la maladie morale dont ils sont atteints [78] ».

 

L’ordre moral est à l’âme ce que l’ordre hygiénique est au corps. Les hygiénistes du xixe siècle corrélaient ainsi la propreté des mains et la propreté de la conscience morale. Ainsi Moléon, rapporteur du conseil de salubrité, affirmait : « Un peuple ami de la propreté l’est bientôt de l’ordre et de la discipline [79] ». Les propos des hygiénistes sont aidés par la puissance symbolique de la pureté [80] – l’on se souvient du songe d’Hamlet, ayant tué son oncle. De fait, les sociétés tyranniques ou taboutisantes émettent toujours un onzième commandement : « Tu ne pueras point » [81] !

b’) Évaluation critique

Ultimement, la question posée est la suivante : existe-t-il des odeurs qui sont, en soi, repoussantes ? Autrement dit, la distinction entre bonne et mauvaise odeur est-elle une pure construction sociale ou repose-t-elle sur un donné, par exemple physiologique ?

Certains fondent la distinction des odeurs dans celle des objets. Tel était en partie le cas d’Aristote. J’ajoute en partie car, dans le Traité du sensible et de la sensation, il accorde une place importante à la distinction de l’odorant par soi et de l’odorant par accident.

D’autres, à l’inverse, optent résolument pour l’option constructiviste, sociale. Tel est le cas de Freud qui se fonde sur l’expérience de l’enfant. Celui-ci, en effet, éprouve des plaisirs coprophiles ; or, tout le monde (adulte) réprouve l’odeur des excréments, c’est-à-dire la considère comme mauvaise. « En dépit de tous les progrès accomplis par l’homme au cours de son développement, l’odeur de ses excréments ne les choque guère alors que seule le choque celle des excréments d’autrui [82] ».

Telle était déjà, avant le constructivisme, l’opinion du rationaliste Spinoza pour qui l’opposition entre sensation agréable et désagréable est, pour les ignorants, une différence objective et, pour les sages, une différence subjective provenant de l’imagination. En effet, les objets

 

« qui émeuvent le sens par les narines, ils [les hommes] les appellent parfumés ou fétides, par la langue, doux ou amers, savoureux ou fades, etc. Et quand c’est par le tact, durs ou mous, rugueux ou lisses, etc. Et ceux enfin qui émeuvent les oreilles sont dits produire du bruit, du son ou de l’harmonie, laquelle a fait perdre la tête aux hommes jusqu’à leur faire croire que Dieu, lui aussi, trouve du charme à l’harmonie. […] Tout cela montre assez que chacun a jugé des choses d’après la disposition de son cerveau, ou plutôt a pris pour les choses les affections de son imagination [83] ».

 

Ainsi, l’argument de Spinoza est « qu’une seule et même chose peut être en même temps bonne et mauvaise, et également indifférente [84] ».

En outre, l’appréciation de la mauvaise odeur est toute relative. Qui ignore la réflexion fort distinguée de Bonaparte à sa première épouse, Joséphine : « Ne te lave pas. J’accours, et dans huit jours, je suis là [85] » ? De fait, l’impératrice est demeurée célèbre pour ses parfums corsés, fleurant le musc, l’ambre et la civette, au point que, selon Charles Léonard Pfeiffer, son boudoir de la Malmaison conserva son parfum soixante ans après sa mort.

Pour ma part, j’opte pour une posture plus médiane et intégrée. En effet, pour tous les actes des sens externes, il faut distinguer sensation et perception ; or, autant la première est donnée, autant la seconde est construite, introduisant notamment des objets sensibles par accident. Par ailleurs, l’on sait la proximité entre le goût et l’odorat ; or, des quatre goûts fondamentaux, l’un d’eux, l’amer est subjectivement éprouvé comme désagréable et objectivement un marqueur de poisons, c’est-à-dire de produits réellement dangereux pour l’organisme – contrairement au sucré, au salé ou à l’acide, pris en proportions mesurées. Pour reprendre un exemple royal, à la mort de Louis XIV, la reine laissa s’échapper un soupir : « Que mon époux ». De fait, habité par la conviction hygiéniste selon laquelle l’eau est périlleuse pour la santé, le monarque ne se lavait pas, de sorte que, sur son passage, on ouvrait largement les fenêtres, même en plein hiver. Le rayonnement du Roi-Soleil n’était pas olfactif…

d) Objections anthropologiques

Un dernier groupe de difficultés sont anthropologiques – l’adjectif étant entendu au sens philosophique et non pas scientifique. Les objections se subdivisent selon les deux pôles de l’acte de connaissance, objet connu et sujet connaissant. J’ajoute le fondement métaphysique.

1’) Problèmes du côté de l’objet
a’) Exposé

L’odeur semble en grave déficit d’intelligibilité.

L’on sait aujourd’hui classifier les objets des différents sens externes, du point de vue de la connaissance commune et du point de vue de la connaissance scientifique. Or, l’odorat résiste : aujourd’hui, nulle classification ne réussit complètement à faire l’unanimité. Par exemple, face à la typologie de René Cerbelaud qui distingue cinq types principaux de parfums – les fleuris ou éthérés, les fruités, les boisés, les fauves (cuirs et chairs) et les épicés – [86], d’autres n’admettent que quatre séries de produits naturels – florales, boisées, animales et balsamiques – [87], alors que le comité français du parfum classe celui-ci en sept familles fondamentales – hespéridée, florale, fougère, chypre, boisée, ambrée et cuir. Voire, indépendamment du consensus, ces typologies ressemblent fort à des inventaires à la Prévert…

De plus, tous les sensibles externes se répartissent en fonction d’opposés : blanc-noir, lumineux-sombre, aigu-grave, mou-dur, humide-sec, acide-base, sucré-salé. Seule l’odeur résiste : un parfum n’est le contraire d’aucun autre. Or, la contrariété est une propriété de la qualité et même l’une des propriétés premières : elle signifie que l’on connaît ou approche l’essence de la qualité au sein de laquelle elle institue une opposition. Donc, une nouvelle fois, l’odeur semble déjouer nos tentatives de conceptualisation.

Ensuite, existe un décalage entre la perception et l’identification opérée par les individus, comme l’atteste une intéressante enquête du National Geographic : par exemple, « 70,5 % des femmes et 62,8 % des hommes perçoivent l’androstérone, mais seulement 26 % et 24,2 % (respectivement) identifient cette odeur [88] ».

Enfin, le mot est le signe du concept ; or, nous ne disposons pas de vocabulaire pour dire l’objet de l’odorat ut sic. Déjà, en français, le verbe qui désigne l’acte de l’olfaction ne lui est pas propre. Alors que l’anglais distingue to feel (qui est commun à tous les sens, voire à l’affectivité) et to smell (qui est propre à l’odorat), sentir est un terme à la fois spécifique et générique. Voire, les objets sentis sont eux-mêmes spontanément désignés par des comparaisons, c’est-à-dire par une connexion avec des objets appartenant à d’autres registres. Ainsi, la plupart des hommes identifient les odeurs en faisant appel à des métaphores, faute d’un langage approprié – ce qui conduit Joël Candau à conclure que le « codage verbal [de l’odeur] est médiocre [89] ». Or, cette manière de dénommer relève de ce que l’on appelle le sensible par accident ; mais le sensible n’est désigné en propre que par ce qui est par soi.

Certes, il peut arriver que l’on désigne une odeur en propre : « C’est l’odeur de la banane ». Mais d’abord, on nomme ainsi la substance odoriférante et non pas l’odeur (c’est comme si l’on affirmait que le jaune est la couleur de la banane). Ensuite, on désigne ici le singulier ou l’espèce ultime (species infima) ; or, une classification requiert de regrouper les odeurs en classes, c’est-à-dire en genres.

Ainsi, le lexique olfactif se caractérise par une grande indigence, non sans une grande diversité selon les langues. Ainsi, le français tient une position intermédiaire : avec une cinquantaine de noms communs exprimant le registre de l’odorat, il est beaucoup plus riche que le latin et le grec (« à peine cinq » de ces vocables français ont « un équivalent en grec et en latin [90] ») et beaucoup moins que l’arabe [91].

b’) Confirmation

Nous avons considéré l’objet sensible du point de vue de la connaissance commune. Considérons le maintenant du point de vue de la connaissance scientifique.

D’abord, les propriétés physiques du son ou de la couleur sont directement corrélées à la sensation. Or, la structure chimique qui cause l’odeur ne l’est pas. Cette nouvelle différence met l’odorat à part et en interdit la compréhension.

Ensuite, tout se passe comme si la sensation olfactive résiste à la quantification. Constamment, le chercheur doit doubler ses mesures avec des questionnaires portant sur les réponses verbales de l’homme ou sur les comportements de l’animal.

Enfin, nous savons aujourd’hui que la plupart des odeurs de la vie quotidienne, a fortiori les parfums, sont composés non pas de quelques molécules élémentaires, mais de centaines. Or, aucun nez, même celui d’un animal particulièrement performant, n’est à même de décomposer les particules. Donc, l’olfaction est une sensation synthétique et non pas analytique. Or, connaître, c’est résoudre dans les principes. Donc, nous ne connaissons pas véritablement les odeurs. Comparativement, une bonne oreille sait, dans un son, distinguer la fondamentale et les différentes harmoniques qui y résonnent [92].

c’) Évaluation critique

Cette résistance à une connaissance essentielle, qualitative et quantitative, signe-t-elle un défaut d’intelligibilité ou un excès ? Par ailleurs, cette incapacité à cerner une distinction claire, transmissible, exprime-t-elle une impuissance de la méthodologie ?

De plus, l’on ne peut pas ne pas prendre en compte le déficit occidental en matière olfactive. Peut-être l’odorat est-il aussi le sens le plus éduquable, le plus susceptible d’acquérir des dispositions (sinon des vertus, puisque la finalité ne semble pas ici moralement bonne, mais seulement neutre). Or, cette plasticité désigne plus une proximité du spirituel qu’un éloignement.

Enfin, l’odorat n’est pas faible, mais affaibli. Ainsi que le rappelle un défenseur de notre sensorialité, David Hume :

 

« Un jour deux de mes parents furent requis de dire leur sentiment sur une barrique de vin, ce vin étant vieux et d’une bonne année devait être exquis. Le premier le goûte, le considère et après mûre réflexion prononce que le vin est très bon à cela près qu’il lui trouve un petit goût de cuir. Le second, après avoir usé des mêmes précautions, décide en faveur du vin à la réserve d’un goût de fer… La barrique étant vidée, on trouve au fond une vieille clé, attachée à une courroie [93] ».

2’) Problèmes du côté du sujet
a’) Exposé

Les différents sens posent des actes clairement cognitifs. Or, le sens de l’odorat est presque systématiquement lié à une évaluation affective. En effet, les odeurs se répartissent spontanément en bonnes ou mauvaises. Cette ambivalence est confirmée par les noms des parfums qui en jouent : aux noms qui font rêver (Dior, Channel, etc.) se joignent aujourd’hui des noms inquiétants et pourtant sensés être attirants. Autrefois : « Obsession », « Sortilège » ; aujourd’hui, encore plus osés : « Opium », « Addict », voire « Poison ». Donc, l’odorat n’est pas un sens comme les autres, voire n’est pas véritablement un sens externe.

b’) Évaluation critique

Quelle que soit l’évaluation présente dans l’acte d’olfaction, elle présuppose toujours l’information cognitive. En effet, avant d’apparaître comme bonne ou mauvaise, l’odeur doit tout simplement apparaître et donc se donner à connaître.

Maintenant, cette connexion est significative d’une spécificité de ce sens : du point de vue du connaissant, une connexion particulière à l’affectivité (et, par celle-ci, à la mémoire qui enregistre en priorité les événements présentant une valence, une charge émotionnelle) ; du point de vue du connu, une connexion singulière à la personne, voire à la personne aimée (ou détestée).

3’) Problèmes du côté du fondement
a’) Exposé

Selon la représentation usuelle rapportée par Ludwig Feuerbach, « le toucher, l’odorat, le goût sont des matérialistes, sont chair ; la vue et l’ouïe sont des idéalistes, sont esprit [94] ». En effet, Chantal Jaquet corrèle nettement olfactologie philosophique et matérialisme. Plus précisément, sa thèse est qu’une philosophie de l’odorat requiert de valoriser, côté sujet, la sensibilité sensorielle, voire la sensualité, versus le rationalisme qui disqualifie le sens, et, côté objet, le devenir, le multiple et la matière, versus l’être, l’un et l’esprit. L’atteste l’anosmie parménidienne qui révèle

 

« en premier lieu qu’une philosophie, qui affirme le primat de l’Un et de l’être et qui disqualifie le multiple et le devenir, ne saurait accorder une place de choix à l’odeur et lui conférer un statut ontologique privilégié. Il montre en second lieu qu’une philosophie, qui se détourne du sensible au seul profit de l’intelligible et qui se fonde sur la raison à l’exclusion des sens, refusera tout crédit à l’odorat. Une philosophie olfactive devrait donc être cherchée du côté des philosophies du devenir, du multiple, des philosophies sensualistes – ou des philosophies rationalistes qui n’excluent pas l’intervention des sens dans le processus cognitif [95] ».

b’) Évaluation critique

Dont acte ! ??? Retenons la leçon : pour penser l’odorat et pour que l’odorat donne à penser, il faut une philosophie résolument arrimée non seulement au corps, mais à la multiplicité changeante. Toutefois, l’incise finale montre que le sensualiste matérialiste n’est exclusif que du dualisme spiritualiste, non d’une posture uni-duelle. De fait, l’élaboration proposée par Chantal Jaquet semble plus aller dans le sens d’une « unité de l’esprit et du nez [96] » que de celui d’une profession matérialiste – à preuve la charge contre Onfray.

Pour notre part, nous puisons dans la philosophie de l’odorat une capacité d’intégration bienvenue : du côté du sujet sentant, ce sens permet d’équilibrer la tendance spiritualisante et distanciatrice de la vue (et de l’ouïe) et la tendance matérialisante et rapprochante du toucher (et du goût) ; du côté de l’objet senti, l’odeur introduit une heureuse et même indispensable médiation entre corps et esprit, par le biais de la loi de pneumatisation dont il sera traité plus bas.

D’ailleurs, de la vaste et généreuse quête qui convoque autant les acquis de la littérature, de l’art, des sciences (surtout humaines) et de la philosophie, où nous puisons à l’envi, Chantal Jaquet est loin d’extraire toutes les pépites ; or, parmi celles-ci, l’on rencontre bien des matériaux pour élaborer une olfactologie intégrative (accomplissante !) au soleil de l’être-amour.

e) Conclusion

L’odorat ne semble pouvoir fonctionner que de près ou près du sol. Or, la première attitude incommode l’autre et la seconde assimile l’homme à l’animal. Pourtant, nous avons noté que cette prime appréciation doit être critiquée.

Pascal Ide

[1] Texte védique cité par Johann Jakob Meyer, Sexual Life in Ancient India, Delhi, Banarsidass, 1971, p. 183.

[2] Paul Valéry, « Variété. Théorie poétique et esthétique, Notion générale de l’art », Œuvres, éd. Jean Hytier, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », Paris, Gallimard, 1957, 2 vol., tome 1, p. 1049.

[3] J’aurais pu ouvrir une entrée à part sur ce que nous apprend la littérature, mais j’ai préféré l’intégrer dans le développement comme une illustration d’un thème. J’aurais d’ailleurs pu faire de même pour les données relatives aux différentes sciences, mais je m’y suis refusé pour accéder à la détermination par la médiation d’une induction.

[4] Cf. Chantal Jaquet, Philosophie de l’odorat, Paris, p.u.f., 2010, p. 318-350.

[5] Cf. Platon, La République, L. II, 373 a ; L. IX, 573 a.

[6] Plaute, La mostellaria, I, iii, 273.

[7] Cf. Francis Bacon, De augmentis, IV : De la dignité et de l’accroissement des sciences, trad. Francis-Marie Riaux, París, Charpentier, Poitiers, A. Dupré, 1852, p. 211.

[8] Jacques Bénigne Bossuet, Traité de la concupiscence, coll. « Les Textes français », Paris, Éd. Fernand Roches, 1930, p. 8.

[9] Guillaume Apollinaire, La mandoline, l’œillet et le bambou, Calligramme de la série « Étendards », vers 1915-1917.

[10] Sur cette expérience de pensée avant la lettre, cf. Étienne Bonnot de Condillac, Traité des sensations, dans Œuvres philosophiques de Condillac, Paris, p.u.f., 1947, chap. 1, § 1 et s.

[11] Frédéric Nietzsche, Par-delà le bien et le mal, V, 190.

[12] Frédéric Nietzsche, Ecce homo (1888), trad. Jean-Claude Hémery, Œuvres philosophiques complètes, Giorgio Colli et Mazzino Montinari (éds.), Paris, Gallimard, tome VIII, 1971, p. 333.

[13] Ibid., « Pourquoi je suis si sage », n. 8, p. 255.

[14] Frédéric Nietzsche, « La raison dans la philosophie », Crépuscule des idoles, tome VIII, p. 76.

[15] Frédéric Nietzsche, Généalogie de la morale, III, § 7, tome VII, p. 297.

[16] Frédéric Nietzsche, « De passer outre », Ainsi parlait Zarathoustra, III, tome VI, p. 197.

[17] Frédéric Nietzsche, L’Antéchrist, 59, tome VIII, p. 230.

[18] Frédéric Nietzsche, Ecce homo, tome VIII, p. 240.

[19] Frédéric Nietzsche, « Le retour au pays », Ainsi parlait Zarathoustra, III, tome VI, p. 207.

[20] Michel Onfray, L’art de jouir. Les contempteurs du nez, Paris, Le Livre de poche, 1991, p. 97.

[21] Ibid.

[22] Diogène Laërce, Vie des philosophes illustres, L. IX, 41, cité dans Les présocratiques, Jean-Paul Dumont éd., coll. « Bibliothèque de la Pléiade », Paris, Gallimard, 1988.

[23] Cf. Jean Salem, La légende de Démocrite, Paris, Kimé, 1996, p. 75-76. L’auteur s’appuie sur Louis Bourgey, Observation et expérience chez les médecins de la Collection hippocratique. Paris, Vrin, 1953.

[24] Italo Calvino, « Le nom, le nez », Sous le soleil jaguar, trad. Jean-Paul Manganaro, Paris, Seuil, 1990, p. 13.

[25] Aristote, De la sensation et des sensibles, 440 b 31, dans Petits traités d’histoire naturelle, trad. Pierre-Marie Morel, Paris, GF-Flammarion, 2000, p. 79.

[26] Cf. Lucien Malson, Les enfants sauvages, Paris, 10/18, 1964, p. 55.

[27] Cf. Ibid., p. 137.

[28] Ibid., p. 86.

[29] Ibid., p. 204.

[30] Jean-Jacques Rousseau, Émile, II, Paris, Garnier-Flammarion, 1966, p. 201.

[31] Cf. Richard H. Porter & Jan Winberg, « Unique salience of maternal breast odors for newborn infants », Neuroscience Biobehavioral Reviews, 23 (1999) n° 3, p. 439-449.

[32] Danielle Malmberg, « D’amours et d’odeurs, la relation ofactive mère-enfant », Pascal Lardellier (éd.), À fleur de peau. Corps, odeurs et parfums, Paris, Belin, 2003, p. 27-45, ici p. 33.

[33] Cf. Yves Coppens, Le singe, l’Afrique et l’homme, coll. « Le temps des sciences », Paris, Fayard, 1985.

[34] Frères Goncourt, Journal, tome 4, 1896, cité dans Frédéric Walter, Extraits de parfums. Une anthologie de Platon à Colette, Paris, Éd. du regard, 2003, p. 27.

[35] Cf. Annick Le Guérer, « Le déclin de l’olfactif : mythe ou réalité ? », Anthropologie et sociétés, Paris, 1990, p. 115-121.

[36] Cf. Aidan Macfarlane, « Olfaction in the development of social preferences in the human neonate », Ciba Foundations Symposium, 33 (1975), p. 103-113.

[37] Cf. Benoist Schaal et al., « Les stimulations olfactives dans les relations entre l’enfant et la mère », Reproduction, Nutrition, Développement, 20 (1980), p. 843-858. Cf. Hubert Montagner, L’attachement, les débuts de la tendresse, Paris, Odile Jacob, 1998.

[38] Pierre-Marie Lledo, Le Monde, 6 octobre 2004, p. 23.

[39] Lucien Malson, Les enfants sauvages, p. 80.

[40] Ibid., p. 134.

[41] Harmonies de la nature, dans Frédéric Walter, Extraits de parfums, p. 35.

[42] Aristote, De la sensation et des sensibles, 444 a 30, p. 88.

[43] L’exemple est rapporté par Oliver Sachs, « Une vie de chien », L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau, trad. Édith de La Héronnière, coll. « La couleur des idées », Paris, Seuil, 1988. Le neurologue anglais rapporte d’autres histoires de ce type dans ce livre et d’autres, où il cherche à montrer que les troubles neurologiques, certes, sont des maladies, mais déploient des « richesses seulement potentielles chez l’homme normal » (Id., Un anthropologue sur Mars. Sept histoires paradoxales, trad. Christian Cler, même coll., 1996, 4e de couverture).

[44] Cf. Hywel Williams & Anders Pembroke, « Sniffer dogs in the melanoma clinic ? », Lancet, 333 (1989) n° 8640, 1, p. 734 ; John Church & Hywel Williams, « Another sniffer dog for the clinic ? », Lancet, 358 (2001) n° 9285, p. 930 ; Michael Phillips, Kevin Gleeson, J Michael B Hughes, Joel Greenberg, Renee N Cataneo, Leigh Baker & W Patrick McVay, « Volatile compounds in breath as a marker of lung cancer : a cross-sectional study », Lancet, 353 (1999) n° 9168, p. 1930-1933.

[45] Cf. Carolyn M. Willis, Susannah M. Church, Claire M. Guest, W. Andrew Cook,  Noel McCarthy, Anthea J. Bransbury, Martin R. T. Church & John R. T. Church, « Olfactory detection of human bladder cancer by dogs : proof of principle study », British Medical Journal, 329 (2004) n° 7468, p. 712-715.

[46] Thierry Janssen, La solution intérieure, p. 316.

[47] Cf. Linda R. Buck et Richard Axel, « A novel multigene family may encode odorant receptors: a molecular basis for odor recognition », Cell, 65 (1991) n° 1, p. 175-87.

[48] Jean-Yves Nau, Le Monde, 6 octobre 2004, p. 23.

[49] Pierre-Marie Lledo, Le Monde, 6 octobre 2004, p. 23.

[50] René Descartes, Méditations métaphysiques, II, AT, IX, p. 24 s.

[51] Cf. Ibid., p. 25.

[52] René Descartes, Principes de la philosophie, I, § 71. C’est moi qui souligne.

[53] John Locke, Essai philosophique concernant l’entendement humain, L. II, chap. 8, § 9.

[54] Thomas Hobbes, De la nature humaine, chap. 2, § 9, trad. baron d’Holbach, coll. « Bibliothèque des textes philosophiques », Paris, Vrin, 1981, p. 15.

[55] Ibid., chap. 8, § 2.

[56] Cf. Ibid., chap. 8, § 2.

[57] Cf. Ibid., chap. 8, § 3.

[58] Chantal Jaquet, Philosophie de l’odorat, Paris, p.u.f., 2010, p. 46.

[59] « Les objets de dégoût qu’il peut procurer (surtout dans les endroits populeux) sont plus nombreux que les objets de plaisir » (Emmanuel Kant, Anthropologie d’un point de vue pragmatique, § 22, trad. Michel Foucault, coll. « Bibliothèque des textes philosophiques », Paris, Vrin, 1979, p. 40).

[60] Emmanuel Kant, Critique de la faculté de juger, § 53, trad. Alexis Philonenko, coll. « Bibliothèque des textes philosophiques », Paris, Vrin, 1974, p. 157.

[61] Cité par Françoise Aubaile-Sallenave, « Le souffle des parfums : un essai de classification des odeurs chez les arabo-musulmans », Danielle Musset et Claire Fabre-Vassas (éds.), Odeurs et parfums, Paris, Éd. du CTHS, 1999, p. 99.

[62] Serge Chaumier, « L’odeur du baiser », Pascal Lardellier (éd.), À fleur de peau, p. 77-95, ici p. 83.

[63] Françoise Aubaile-Sallenave, « Le souffle des parfums… », p. 98.

[64] Claire Fabre-Vassas, La bête singulière. Les juifs, les chrétiens et le cochon, Paris, Gallimard, 1994, p. 120.

[65] Ces injures sont citées par David Le Breton, « Les mises en scènes olfactives de l’autre », Pascal Lardellier (éd.), À fleur de peau, p. 115-128, ici p. 123 et s.

[66] Georges Louis Leclerc, comte de Buffon, Histoire naturelle générale et particulière, Paris, Imprimerie royale, 1803, tome 3, p. 306.

[67] Cf. Jean-Pierre Jardel, « De la couleur et de l’odeur de l’Autre dans la littérature para-anthropologique : représentation de l’altérité antillaise et idéologie raciale », Danielle Musset et Claire Fabre-Vassas (éds.), Odeurs et parfums, p. 83-91.

[68] Cf. Serge Simon, Homophobie, 2004, France, coll. « Documents », Lormont, Le Bord de l’Eau, 2004, par exemple p. 57. Les quatre mille messages injurieux lancés à la tête de Noël Mamère, maire de Bègles, qui a célébré le « mariage » de deux personnes homosexuelles, relèvent en grande part du registre sadique-anal et mobilisent un imaginaire olfactif excrémentiel.

[69] Cf. Laurence Moulinier, « Le corps des jeunes filles dans les traités médicaux du Moyen Âge », Louise Bruit Zaidman, Gabrielle Houbre, Christiane Klapisch-Zuber et Pauline Schmitt Pantel (éds.), Le corps des jeunes filles de l’Antiquité à nos jours, Paris, Perrin, 2001, p. 96-97. Plus précisément sur le sang menstruel, cf. Yvonne Verdier, Façons de dire, façons de faire, Paris, Gallimard, 1979 ; Véronique Moulinié, La chirurgie des âges. Corps, sexualité et représentations du sang, Paris, Éd. de la maison des sciences de l’homme, 1998.

[70] Paul Valéry, « Humanités », III, Œuvres, tome 1, p. 288. Souligné par moi.

[71] Edgar Bérillon, La bromidrose fétide de la race allemande, Paris, Maloine, 1918, p. 3. Cf. l’analyse de David Le Breton, « Les mises en scènes olfactives de l’autre », p. 124-128.

[72] Ibid., p. 5-6.

[73] Gustave Flaubert, Lettre à Mme Bonenfant, 2 mai 1842. Cf. Alain Corbin, Le miasme et la jonquille. L’odorat et l’imaginaire social, xviiie-xixe siècles, Paris, Flammarion, 1982, coll. « Champs » n° 165, 1986, 3e partie, chap. 1 : « La puanteur du pauvre ».

[74] Anton Tchékhov, La Cerisaie, acte I, Œuvres, trad. Madeleine Durand, Édouard Parayre, André Radiguet et Elsa Triolet, révisé par Lily Denis, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », Paris, Gallimard, 19, p. 509.

[75] John Dollard, « Casts and Class in a Southern Twon », American Journal of Sociology, 43 (1938) n° 5, p. 838-840. Cité par Annick Le Guérer, Les pouvoirs de l’odeur, Paris, Odile Jacob, 2002, p. 45. Cf. chap. 2 : « L’odeur et la discrimination ».

[76] Arnold Toynbee, A Study of History, London, Oxford University Press for the Royal Institute of International Affairs, 1934-1954. Cité par David Le Breton, « Les mises en scènes olfactives de l’autre », p. 124.

[77] Cf. Francis Hallé, Éloge de la plante. Pour une nouvelle biologie, Paris, Seuil, 1999.

[78] Joseph-Marie De Gérando, baron de l’Empire, Le visiteur du pauvre, cité par Alain Corbin, Le miasme et la jonquille, p. 227.

[79] Cité par Alain Corbin, Le miasme et la jonquille, p. 185.

[80] Cf. l’ouvrage important de Mary Douglas, Purity and Danger, London, Routledge and Kegan, 1966 : De la souillure. Essai sur les notions de pollution et de tabou, trad. Anne Guérin, Paris Maspero 1971.

[81] Cf. l’ouvrage instructif de Dominique Laporte, Histoire de la merde, Paris, Christian Bourgois, 1993, 22003.

[82] Sigmund Freud, Malaise dans la civilisation, trad. Bernard Lortholary, Paris, p.u.f., 1970, p. 52.

[83] Baruch de Spinoza, Éthique, L. I, Appendice, trad. Bernard Pautrat, Paris, Seuil, 1998, p. 89.

[84] Ibid., L. IV, Préface, p. 341.

[85] Napoléon, Lettres d’amour à Joséphine, réunies par Chantal de Tourtier-Bonazzi, éd. Jean Tulard et Jean Favier, Paris, Fayard, 1981, p. 155.

[86] Cité par Paul Faure, Parfums et aromates de l’Antiquité, Paris, Fayard, 1987, p. 12.

[87] Marcel Billot & Frederick V. Wells, Parfumery, Technology, Art, Science, Industry, Horwood Books, Chichester, 1981. Cf. Paul Faure, Parfums et aromates de l’Antiquité, p. 304, note 6.

[88] Joël Candau, Mémoire et expériences olfactives, coll. « Sociologie aujourd’hui », Paris, p.u.f., 2000, p. 29, note 2.

[89] Ibid., p. 29. Sur cette difficulté à nommer et les moyens mis en place pour la contourner, cf. chap. 3 et 4.

[90] Paul Faure, Parfums et aromates de l’Antiquité, p. 12.

[91] Cf., par exemple, Françoise Aubaile-Sallenave, « Le souffle des parfums… », p. 100.

[92] J’en ai vu un exemple particulièrement frappant chez Olivier Messiaen qui, après avoir frappé la touche d’un piano, tous les étouffoirs levés, discerne les différentes harmoniques au fur et à mesure où elles retentissent.

[93] David Hume, Dissertation sur la règle du goût, in Œuvres complètes, 1759, tome 4, p. 109 et 110, cité par François Dagognet, p. 49.

[94] Contre le dualisme du corps et de l’âme, de la chair et de l’esprit. Cité par Chantal Jaquet, Philosophie de l’odorat, p. 325.

[95] Chantal Jaquet, Philosophie de l’odorat, p. 321-322. Même propos, distinguant ces deux présupposés, objectif et subjectif, p. 346.

[96] Ibid., p. 310.

3.5.2018
 

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