Sale temps à l’hôtel El Royale (Bad Times at the El Royale), thriller américain écrit et réalisé par Drew Goddard, 2018. Avec Jeff Bridges, Cynthia Erivo, Jon Hamm, Dakota Johnson.
Thèmes
Salut, Triangle dramatique de Karpman.
Sale temps à l’hôtel El Royale ne fait pas qu’opiner vers Tarentino, il ébauche une méditation sur le sauvetage, voire le salut.
Comment ne pas constater les multiples clins d’œil en direction d’un modèle qui n’a plus rien d’un maître ? La fascination pour l’ambivalence ; la surenchère de violence apparemment gratuite ; le huit clos concentrant une pléiade d’acteurs connus en un lieu et en un temps ; le scénario insolite, la narration non linéaire et la construction millimétrée (il suffit de suivre la chronologie sur l’horloge de l’hôtel !) ; le chapitrage doublé d’un surtitrage ; le style hésitant entre ironie et drame ; etc.
Toutefois, là où le réalisateur de Reservoir Dogs oscille entre dérision, vengeance et absurde, celui de El Royale (qui est aussi scénariste) offre, dans cette très improbable convergence-coïncidence du pire des années 1970, une recherche sur le sauvegage. Certes, avant tout, nous assistons à une mise en scène déformante du triangle dramatique de Karpman. En petit : la sauveteuse, Emily Summerspring ; la victime, sa sœur Rose ; le bourreau, Billy Lee. En grand : le persécuteur, Richard Nixon et sa calamiteuse administration ; les multiples victimes, à commencer par le sniper devenu serial killer, Miles Miller ; le sauveteur défaillant, Laramie Seymour Sullivan, et son équipe de bras cassés.
Mais le film est encore plus intéressant quand il conteste cette approche au vitriol et atteste, au moins en creux, la nécessité d’un autre remède. Ce dont le bourreau qui n’a pas dissous sa perversion-compulsion dans son narcissisme, c’est-à-dire justifié son hyperviolence par ses conditionnements, a le plus besoin est un authentique salut. Vladimir Volkoff avait mis en scène dans un de ses romans un meurtrier addict au meurtre qui subissait sa dépendance. Or, le remords éthique est infiniment plus profond que la seule culpabilité psychologique. Mais ce salut ne peut pas venir uniquement de Dieu ; il doit s’incarner dans une médiation visible : le sacrement de la confession. Les autres morts du film n’ont pas besoin de rédemption, faute de responsabilité (Jon), ou n’en veulent pas, faute de contrition (Emily). Le concierge, lui, est et pécheur et conscient de son péché. Voilà pourquoi, même sacramentellement illicite, l’absolution du pseudo-Père peut recevoir du « Père riche en miséricorde », une mystérieuse efficacité…
Pascal Ide
En 1959, un homme cache son butin dans le plancher de la chambre de son hôtel. Dix ans plus tard, en 1969, plusieurs voyageurs se retrouvent au El Royale, un hôtel esseulé sur les rives du lac Tahoe, situé au milieu de la frontière entre la Californie et le Nevada. Il y a le Père Daniel Flynn – Dock O’Kelly (Jeff Bridges), la chanteuse afro-américaine Darlene Sweet (Cynthia Erivo), le vendeur Laramie Seymour Sullivan (Jon Hamm), ainsi que l’étrange Emily Summerspring (Dakota Johnson) aux allures de hippie. Ils sont tous accueillis par le seul employé restant dans cet immense établissement, Miles Miller (Lewis Pullman). Le El Royale était jadis un endroit très fréquenté par les amateurs de jeux d’argent. Tous les résidents intègrent alors leurs chambres respectives. L’on découvre alors qu’ils ont tous quelque chose à cacher. Par exemple, Emily a capturé sa sœur Rose (Cailee Spaeny), afin de l’affranchir de la drogue et, plus encore, d’un affreux à l’identité mystérieuse. Surtout, en fouinant avec un instinct digne du détective, Laramie découvre que, beaucoup plus qu’elle ne dissimule un secret, chaque chambre ne peut le retenir. En effet, au fond, elle contient un miroir sans tain donnant sur un couloir d’observation. Pourquoi ? Quelle raison a donc poussé tous ces personnages à l’histoire trouble de se retrouver dans ce paisible hôtel ? Et quand la tempête va se déchaîner, elle va faire venir avec elle bien plus inquiétant : Billy Lee (Chris Hemsworth) et sa bande. Et si, pourtant, le pire ne s’était pas encore éveillé ?