Maléfique. Le Pouvoir du mal (Maleficent: Mistress of Evil), fantastique américain de Joachim Rønning, 2019. Avec Angelina Jolie, Michelle Pfeiffer et Elle Fanning.
Thèmes
Conversion, maternité.
Entre poésie et drame, le second opus de Maléfique conte une histoire simple, mais pas simpliste qui est celle d’une édifiante évolution.
Les petits (et peut-être même les grands) se laisseront séduire, voire envoûter par l’univers enchanté où excelle la maîtrise presque séculaire des studios Disney qui ne se dément pas en passant du film d’animation (ici La Belle au bois dormant) au film numérique (pas moins de 2 168 effets spéciaux !). Mondes végétal, animal et humain (ou du moins doué de raison) du royaume de la Lande rivalisent d’inventivité et de vivacité.
Mais le décor est pour le corps, comme la scène pour l’action et ses acteurs. L’intrigue, beaucoup plus linéaire et simple que le premier volet, surchargé par la réécriture, gagne aussi en légèreté et en lisibilité scénaristique, sans perdre en profondeur psychologique. Une heureuse inclusion le souligne. Dès la première scène, le Prince Philippe fait valoir que le mariage des époux est aussi celui des deux Royaumes (« Une union pour apporter harmonie et paix ») et la dernière scène atteste que l’objectif a été rempli (« ), d’après la grande loi prudentielle selon laquelle ce qui fut premier dans l’intention sera dernier dans l’exécution.
Passons de la forme au contenu. Pendant des siècles (et, dans le relai filmique, pendant des décennies), le bien commun (politique, mais aussi familial) fut parfois à ce point sacralisé qu’il en arrivait à instrumentaliser l’union matrimoniale et les personnes qui y étaient engagées – nous ne parlons pas du sacrifice héroïque du bien d’un conjoint au bien supérieur, par exemple, du pays. C’est donc sans surprise que nous avons assisté à un retournement encore plus calamiteux faisant de l’intérêt privé le seul motif susceptible de susciter l’abnégation du héros et l’attention du spectateur. J’en fixe la date à GoldenEye (Martin Campbell, 1995), le premier James Bond interprété par Pierce Brosnan, tout simplement parce que c’est alors que ce renversement m’a frappé. Au terme : tandis que l’espion de sa gracieuse Majesté tient la vie de son ami devenu ennemi, Alec Trevelyan (Sean Bean), littéralement dans ses mains, celui-ci lui demande ironiquement : « Pour l’Angleterre, James ? » Et il s’entend répondre cyniquement : « Non, pour moi… ». Comment, dès lors, ne pas se réjouir de ce que, dérogeant à ce double unilatéralisme, le film réussisse le rare exploit d’entrelacer les deux biens, unissant la maison familiale et les maisons dynastiques – le tout, d’ailleurs, sur fond de maison commune.
Le principal intérêt de Maléfique 2 réside toutefois encore ailleurs : dans le cheminement de l’héroïne principale, celle qui monopolise le titre du film – et le trompeur, voire incompréhensible, sous-titre. Cette évolution est d’abord suggérée par l’introduction d’un troisième personnage féminin, qui renouvelle du tout au tout l’affrontement bipolaire occupant le premier film de la franchise (Maléfique, Robert Stromberg, 2014). En effet, la géographie, tant physique qu’humaine (si je puis dire), paraît imposer une dialectique menacée de manichéisme entre deux mondes opposés terme à terme : Royaume d’Ulstead – Royaume de la Lande, êtres humains – créatures féeriques, ville – campagne, fer – fleur, compétition – coopération, domination – harmonie, « civilisé » – sauvage, cupidité et violence – désintéressement et harmonie, etc. On pourrait même adjoindre à ces catégories les transcendantaux : laideur – beauté, malice – bonté, mensonge – vérité, désunité – harmonie. Or, ces effets miroirs trop évidemment symétrisés sont heureusement brisés, déjà par la complexité des personnages, par exemple : l’humaine Aurore est appelée à régner sur les Landes ; inversement, Maléfique a dû contrarier sa nature pour élever sa fille adoptive ; même le peuple des fées noires n’ignore pas la malice en la personne de Borra (Ed Skrein). Mais ce qui est encore intrapersonnel va devenir plus manifeste par l’introduction d’une nouvelle personne qui oblige à passer du binaire au ternaire, donc à introduire une heureuse complexité et bientôt une historicité.
De fait, les personnages principaux se répartissent selon les trois pôles que Sergio Leone a contribué à rendre classiques : la bonne, en l’occurrence la douce princesse Aurore, de rose vêtue ; la méchante, en l’occurrence la reine Ingrith ; et, la « brutta » « the ugly » (mal traduite par « le truand ») qui, ambivalente, donc oscillante, est vouée à choisir son camp, donc à évoluer. En l’occurrence, Maléfique connaît la plus historique, la plus cosmique et la plus mythique des métamorphoses. Au point de départ, la froide et roide reine des Landes apparaît comme une tornade de colère qui fait trembler, voire s’envoler ceux qu’elle approche – notamment ceux ou plutôt celles que superficialité, voire comparaison et médisance ont moralement trop allégé. Mais, sous le vent impétueux sommeille l’eau, c’est-à-dire le cœur broyé jusqu’à être liquéfié, d’une femme tragiquement trahie dans son amour, qui projette son amertume même sur l’autre aimé. Mais, justement et plus profondément, cette projection est d’abord protection de l’être chéri et choyé, Aurore. Car, sous la pâle froideur anguleuse et osseuse brûle un cœur igné qui ne demande qu’à aimer jusqu’à l’extrême (nous y reviendrons). Or, nul ne peut aimer qui n’ait appris à s’aimer, c’est-à-dire prenne appui sur la solide terre de son identité. Mais celle dont le plus grand talent est la transformation et qui a choisi d’élever Aurore comme sa fille, sait-elle qui elle est ?
Voilà pourquoi, et ce sera le point de départ de sa radicale métamorphose, Maléfique devra à Conall (Chiwetel Ejiofor), du peuple des fées à cornes, beaucoup plus que son sauvetage corporel, à savoir son salut intérieur : la découverte de son identité celée et scellée. Elle appartient depuis toujours au peuple persécuté des fées noires ; plus encore, elle en est la source toujours renaissante. Toutefois, si décisive soit cette révélation, elle ne dit que le socle du moi, son identité. Mais identité n’est pas ipséité, qui requiert une mission. Agere sequitur esse, autant que esse sequitur agere : la leçon du réformé Karl Barth, relayée par le très catholique Balthasar, est le complément indispensable de la leçon scolastique de saint Thomas qui, elle, en est le fondement obligé.
Or, cette mission se résume dans le mot qui fait basculer définitivement Maléfique dans la voie de la bonté. En effet, et cela nous vaut un suspense intense, rien ne semble capable, dans la bataille finale du château d’Ulstead, de l’inciter à renoncer à anéantir une ennemie si perverse et exercer une justice si légitime, même pas l’admirable geste pacifique du prince Philippe. Il faudra attendre et entendre la parole de la princesse Aurore : « Vous êtes ma mère », pour que Maléfique soit touchée au plus intime de son âme. En effet, et nous retrouvons la précieuse distinction entre identité et ipséité, Maléfique s’oppose à Aurore non pas tant à cause de leur différence d’essence (féerique et humaine) qu’à cause du dilemme qui la déchire : « Suis-je, oui ou non, une bonne mère ? ». Face à la belle-mère indigne, c’est la godmother qui incarne la véritable figure maternelle. Celle qui n’a jamais pu enfanter dans sa chair a engendré en esprit (« prius in mente… ») celle qui, en retour, lui rend ce si beau témoignage : « Vous êtes ma mère ». Et ainsi donne sens à toute son existence. Voilà pourquoi la toute dernière image montre Maléfique en train d’apprendre aux enfants du peuple des fées à voler et trembler à la moindre de leurs défaillances.
Un seul regret, et de taille : la massive féminisation non pas des profils, mais des héros (jusqu’à étendre l’attribut de « fée » à des hommes…), face à l’inconsistance des personnages masculins, inconsistance d’autant plus affolante, qu’ils occupent tous deux les plus hauts postes de pouvoir : le roi et le prince héritier. Ce brouillage des identités sexuées prolonge celui des orientations sexuelles, dont on sait combien il tente les studios Disney (La Belle et la Bête, Bill CONDON, 2017). Mais ne boudons pas notre joie qui est autant celle des yeux que celle de l’esprit – voire celle du cœur. Comment ne pas se réjouir d’entendre l’injustement dénommée et justement réhabilitée Maléfique promettre qu’elle reviendra non pas pour la naissance, mais pour le « baptême », et, plus encore, d’entendre celui-ci appelé non pas à partir de son acte, « baptism » (baptizein, en grec, signifie « plonger », en l’occurrence dans l’eau lustrale), mais à partir de son essence et but : « christening », littéralement « devenir chrétien » ?
Pascal Ide
Cinq années après la conjuration de la malédiction qui pesait sur elle depuis son plus jeune âge, la Princesse Aurore (Elle Fanning), qui règne sur le merveilleux royaume de la Lande et le peuple des fées – notamment le trio hilarant Knotgrass ou Hortense (Imelda Staunton), Flittle ou Florette (Lesley Manville) et Thistlewit ou Capucine (Juno Temple) –, voit sa main demandée par le Prince Philippe (Harris Dickinson). Par cet acte, celui-ci souhaite non seulement lui dire tout l’amour qui l’unit à elle, mais unir leurs deux royaumes. Mais la marraine d’Aurore, la fée Maléfique (Angelina Jolie), qui a toujours veillé sur Aurore, surgit, accompagnée de son fidèle serviteur, corbeau à l’apparence humaine, Diaval (Sam Riley), et s’oppose à cette union parce que, selon elle, « les histoires d’amour finissent toujours mal ». Aurore refuse et demande à Maléfique de la laisser lui prouver le contraire. Une rencontre est organisée entre d’un côté, Maléfique et Aurore et, de l’autre, la famille du Prince Philippe, le roi (Robert Lindsay) et la reine Ingrith (Michelle Pfeiffer). Alors que Maléfique se prépare pour être la plus bienveillante, pendant le dîner, la reine la provoque de manière toujours plus blessante. Si bien qu’une altercation s’en suit au décours de laquelle, furieuse, Maléfique use de magie. Grièvement atteint, le roi sombre dans le coma et, ne reconnaissant pas sa marraine tant aimée, la Princesse Aurore prend parti pour son futur époux. La future belle-mère la recueille avec joie et se présente comme la mère de substitution d’Aurore. Ses intentions sont-elles si… bénéfiques que Maléfique semble l’être ? Pire encore, à l’insu de tous, une flèche de métal vise et abat Maléfique en plein vol, l’assurant d’une mort certaine…