Le Roi Arthur. La Légende d’Excalibur (King Arthur: Legend of the Sword) est un film américano-britanniquo-australien de Guy Ritchie, mai 2017. Avec Charlie Hunnam, Jude Law, Àstrid Bergès-Frisbey, Djimon Hounsou.
Thèmes
Mal, mission.
Sans surprise, Guy Ritchie nous impose une nouvelle fois son style vidéoclip : comme dans Sherlock Holmes (2009), sa suite Sherlock Holmes. Jeu d’ombres (2011) ou, à un moindre degré, Agents très spéciaux. Code UNCLE (2015), nous avons droit à la transposition d’une histoire mythique, un récit surdopé, une bande-son pléthorique, des ralentis et des accélérés intempestifs, une surenchère indigeste d’effets spéciaux, bref une saturation des sens (auditif et visuel) que certains apprécient peut-être mais que, pour ma part, j’estime éprouvant et lobotomisant.
Passons le croisement avec l’heroic fantasy, mélangeant l’univers de la légende arthurienne avec Le Seigneur des anneaux. Passons aussi cette détestable et anachronique manière de populariser son héros qui, dans l’invraisemblable dernière scène, se montre au peuple, couronne sur la tête et teeshirt sur le dos. Passons de même, le choix d’une étoile montante d’Hollywood qui (c’est un avis tout personnel) a autant d’expressions qu’une savonnette. Passons enfin la sempiternelle féminisation des figures traditionnelles : ici, la jeune femme que l’on se contente d’appeler le Mage (Àstrid Bergès-Frisbey) semble bien se substituer au personnage tutélaire de Merlin…
Si le spectateur réussit à sortir de la transe hypnotique induite par ce type de spectacle, il pourra faire travailler son cortex préfrontal sur quelques trouvailles qui méritent le détour. En effet, tout en respectant les codes très classiques du récit d’aventures et, plus encore, du parcours du héros (situation dramatique insoluble, prophétie d’un sauveur, appel, refus, épreuves qualifiantes, affrontement, échec, affrontement final et triomphe lui-même final), le cinéaste a su introduire au moins trois innovations.
Le méchant (plutôt bien campé par un Jude Law à contre-emploi, aussi torturé que torturant) n’est pas qu’un énième félon rongé par la jalousie d’un grand-frère solaire qui capte la gloire et l’amour. Il est une âme sombre qui s’est compromise : pour compenser sa faiblesse présente et sécuriser son angoisse de l’avenir, il passe un effroyable marché avec la pieuvre monstrueuse qui habite symboliquement la sombre grotte sous le château : en vue d’acquérir les deux ressources manquantes sous la forme de l’omnipotence et de l’omniscience, il doit offrir la vie de ses proches les plus chers, son épouse et sa fille aînée bien-aimées.
Ce profilage d’un méchant qui se pervertit en se compromettant presque irréversiblement calque avec un réalisme terrifique la manière dont certaines sociétés secrètes procèdent avec les membres parvenus au plus haut degré d’initiation : elles enferment l’âme dans la culpabilité d’un crime si atroce (souvent l’assassinat sordide de l’être innocent par excellence, l’enfant) que tout chemin rédempteur semble désormais interdit ; la personne ainsi pervertie ne peut plus survivre qu’en justifiant le crime initial par la multiplication des crimes ultérieurs.
Ce regard si réaliste sur le mal est confirmé par son antitype dans la scène qui confronte le jeune Bleu, son père et Vortigern. D’un côté, le père admirable qui sacrifie sa vie pour son enfant et l’enfant tout aussi exemplaire qui, malgré sa présence d’esprit, trahit son père parce qu’il trahit son amour ; de l’autre, le père indigne qui immole tout autre sur l’autel de son ambition et dont la perverse lucidité glaciale lui permet de deviner, au-delà des mots, cette affection réciproque et ainsi d’aviver leur souffrance.
Sans originalité, l’épreuve qualifiante d’Arthur consiste à affronter ses peurs intimes et donc conjurer l’amnésie qui lui a permis de s’en protéger (par exemple, L’Empire contre-attaque l’a donné à voir en détail et avec l’intensité dramatique que l’on sait). Du moins, la scène fondatrice de la mission est-elle riche d’un enseignement autant éthique que symbolique. D’une part, Arthur enfant fait preuve d’un authentique courage (il regarde l’affrontement sans pleurer ni crier ; surtout, avec un rare sang-froid, il redonne l’épée à son père) et d’une docile obéissance (il répond sans discuter et donc accepte de partir seul, lorsque son père lui ordonne de fuir). D’autre part, l’épée qui blesse ses mains et y laisse la cicatrice intrigante qui atteste le trauma initial et appelle le travail de mémoire, est celle qui transfixera le corps paternel. Or, non seulement Excalibur assurera la continuité de la transmission père-fils (on le verra mieux plus loin), mais elle se scellera dans le corps transformé en rocher : en croyant effacer toute mémoire par sa pétrification, Vortigern symbolise le roc de l’amour fondateur.
Surtout, et là réside le fait le plus inédit, cette rencontre avec le passé fontal et le don de la parole paternelle ne suffisent pas à assurer définitivement la mission d’Arthur. En effet, lors de l’assaut final, l’épreuve de la mort des siens affecte son âme sans compromission et le pousse à rejeter cette épée qui, dans une trajectoire là encore symbolique, s’enfonce dans le flot d’où elle a pourtant « voulu » s’extraire. Comment Arthur, désespéré et démuni de l’arme de la victoire, pourra-t-il à nouveau entendre son appel ? Si le passé comme le présent ont épuisé leurs ressources de conviction, la mission devra provenir de l’avenir. Tel sera le contenu de la parole du Mage. En contemplant les conséquences catastrophiques de son refus, Arthur formule enfin son « oui » définitif.
Ce faisant, il confirme en retour que ce Fiat se reçoit de plus haut que lui. En effet, si l’on peut toujours suspecter l’appel initial, en reconduisant la prétendue mémoire à une invention a posteriori de l’imagination, en revanche, nul n’est maître de son avenir. Jésus le savait qui a jalonné son Heure de prophéties inaccessibles à la déconstruction : « Je vous ai dit ces choses maintenant, avant qu’elles n’arrivent ; ainsi, lorsqu’elles arriveront, vous croirez » (Jn 14,29). Dieu qui est maître de la contingence future est dès lors en droit de demander sa confiance et son engagement, même héroïque, à celui qu’il appelle.
Enfin, le combat final mérite lui aussi de retenir notre attention. Nous sommes trop habitués à ces luttes en deux moments où le héros est d’abord écrasé, voire anéanti par le « méchant » triomphant avec arrogance, puis se relève et terrasse son adversaire qui a ainsi confirmé sa présomption. Nous ne mesurons plus la nouveauté et le sens de cette narration polémique (de polémos, « guerre ») à deux temps. Assurément, certains relèvements participent à l’antique deus ex machina, voire confinent à l’absurde, tant le héros abattu a été dévitalisé. Il ne s’agit pas non plus d’une ruse stratégique, invitant l’adversaire qui, se réjouissant de manière prématurée, abaisse la garde et révèle une faille dont le rusé protagoniste profite. Cette pulsation n’emprunte pas enfin au retournement dialectique dont Hegel a révélé le ressort secret qu’est le redoublement de la négation (qui est plus qu’une règle des signes). A rebours de ces logiques immanentes, qui accordent trop de puissance à la personne ultimement victorieuse, le cœur pulsatile de cette lutte en deux temps n’est rien moins que la dynamique du mystère pascal. Ce passage de la mort à la résurrection, ou plutôt cette transformation (admirabile commercium) de celle-là en celle-ci, est résumée dans la parole du Christ : « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit » (Jn 12,24). Seul l’humble amour qui s’abaisse, l’amour crucifié, peut triompher définitivement de l’orgueil qui abaisse et crucifie.
C’est ce dont Arthur témoigne dans cette parole décisive à Vortigern : « C’est toi qui m’as créé ». Loin d’être ironique, elle s’accompagne d’un acte exprès de gratitude, donc d’humilité par lequel il se reçoit paradoxalement de son pire ennemi : « Pour cela, je te rends grâces ». En effet, tout au long du film, Arthur ne cesse de fuir sa mission ; s’il est droit, il ne vit que pour lui-même, et ses compagnons. Comment, par exemple, ne pas s’étonner que, dans une intrigue qui cherche tant à plaire au grand public, nulle belle ne croise le regard du héros ? Ainsi, à son corps défendant, Vortigern a permis au « roi-né » de renaître.
L’on objectera que la création part de rien (ex nihilo). En affirmant « Tu m’as créé », Arthur ne sombrerait-il pas dans le même orgueil titanesque que son oncle ? D’abord, le verbe « créer » peut s’appliquer à la création du mythe (la légende d’Arthur) dont la longue scène finale ébauchera la genèse. Ensuite et surtout, tout le contexte témoigne que cette création est un enfantement autant qu’une transmission : Arthur Pendragon reçoit Excalibur des mains même d’Uther Pendragon (« Elle est tienne »). L’épée qui transperça le corps aimé et plus encore les âmes en suscitant toutes les convoitises, cesse de tomber et faire tomber pour enfin être saisie dans les mains du roi-sauveur, élevée et ainsi offrir la victoire.
L’on objectera que ces paroles, « C’est toi qui m’as créé » et « Pour cela, je te rends grâces » furent prononcées par le pervers Vortigern. Mais la parole ne vaut que par l’intention du cœur qui la profère (verbum cordis, « verbe du cœur », disait saint Thomas). En reprenant les mêmes formules, à nouveau, Arthur permet cette mutation salvatrice qui transforme la violence destructrice – non pas en amour (nous demeurons dans une relecture plus païenne que chrétienne du mythe séminal), mais – en justice réparatrice.
Une donnée le confirme. Vortigern s’étonne de ce que l’épée apparaisse au moment où son pouvoir est au zénit. Son miroir maléfique, mais véridique lui en explique la raison qui est une variation de la loi pascale : le renforcement du mal s’accompagne aussi de la montée, spirituelle et symbolique (l’épée) du bien. Non pas que l’ivraie soit cause du bon grain, mais parce que les deux se dramatisent. Hölderlin l’avait résumé en une phrase célèbre : « Là où croît le danger, croît aussi le salut ».
Pascal Ide
Assassiné par son frère, Vortigern (Jude Law), qui brigue la Couronne, Uther Pendragon (Éric Bana) confie son fils Arthur à la Tamise. Elle le mène au cœur de Londinium (Londres), où il est recueilli par des prostituées au grand cœur et apprend les arts martiaux auprès de Kung-Fu George. Nous retrouvons Arthur (Charlie Hunnam) devenu adulte vivant avec sa bande et ses amis, Tristan dit « Bâton mouillé » (Kingsley Ben-Adir) et Fesse d’huître (Neil Maskell) et ignorant l’immense destin qui l’attend. Jusqu’au jour où il s’empare d’Excalibur dont il peut maîtriser le pouvoir. Il est aussitôt fait prisonnier par son oncle. Mais, plus encore que ce parent infâme et tyrannique, Arthur doit s’affronter à ses démons intérieurs. Comment le pourrait-il, livré à ses seules forces ?