HHhH (The Man With the Iron Heart) est un film historique français de Cédric Jimenez, 2017, adaptant le roman éponyme de Laurent Binet, couronné du prix Goncourt du premier roman. Avec Jason Clarke, Rosamund Pike, Jack O’Connell, Jack Reynor.
Thèmes
Mal, personnalité narcissique, suicide.
De quoi parle le film ? D’un côté, la structure narrative, de la manière la plus limpide, est duelle, à la limite de la juxtaposition : la première partie raconte la fulgurante ascension de Heydrich au sein du parti nazi ; la seconde la lente élaboration de l’attentat, son exécution le 27 mai 1942 et les suites. De l’autre, bien évidemment, le scénariste – à l’instar de l’écrivain – a voulu raconter une seule histoire et donc montrer que ces deux parties sont les deux volets d’un même récit. De fait, la scène de l’attentat qui, remarquablement montée, atteint un sommet dans la tension, noue les deux facettes de l’intrigue.
Comment toutefois ne pas souligner l’ambivalence ? D’une part, l’affiche et le titre (autant allemands, français qu’anglais) mettent en relief l’officier nazi. En effet, HHhH est l’acrostiche – d’ailleurs non explicité par le film – de Himmlers Hirn heisst Heydrich, ce qui signifie : « Le cerveau de Himmler s’appelle Heydrich ». D’autre part, le film commence et finit dans une lumière immaculée ; il débute dans la pureté conjuguée de la lumière solaire, de l’air, de l’eau et d’une course riante d’enfants innocents, et il s’achève dans la rencontre prometteuse qui s’épanouira dans la plus féconde des amitiés.
Surtout comment unifier ce que tout oppose ? L’on n’en finirait pas de multiplier les couples de contraires : avant toutes choses, bien entendu, le sacrifice de tout, y compris l’amour de la femme et des enfants (le fils doit parfaitement jouer du piano), au culte de l’ego versus le sacrifice de la totalité du moi, y compris un amour heureux et prometteur, pour le bien du tout qu’est la liberté du cher pays, la Tchécoslovaquie ; la solitude narcissique de cet homme mûr versus la communion des deux jeunes amis solidaires, depuis la première rencontre jusqu’à la mort synchrone ; l’insensibilité totale à la souffrance de l’autre, caractéristique de l’ancien officier de l’armée formé selon l’idéal prussien versus l’affection et l’affectivité frémissantes, entre angoisse et amour, de ces sensibles âmes slaves ; la bestialité pornographique (inutile voyeurisme) du « boucher de Prague » versus la tendresse aimante notamment de Jan et Anna ; le nationalisme idolâtrique, concentré dans le culte adorateur du diabolique Saroumane-Führer, et médiatisé par sa Langue de Serpent, Himmler, versus le patriotisme ajusté, qu’équilibre l’humble foi chrétienne (attestée lors de la salutation angélique récitée au moment de l’épreuve suprême : l’attentat) ; etc.
Le film ne se contente pas d’un manichéisme simpliste qui opposerait le bien et le mal, comme si les deux ne s’entrecroisaient pas. Pour ne donner que deux signes : Lina Heydrich prend peu à peu conscience du monstre à la naissance de qui elle n’a pas peu contribué et le film prend le temps d’exposer les raisons – qui expliquent sans pour autant absoudre – d’un choix aussi dramatique que son adhésion au parti nazi ; les héros ont aussi leur triste Judas, donc leur collaborateur, qui conduit à la mort atroce que l’on sait.
Toutefois, je suis sorti de ce film non sans un malaise. Certes, l’on peut parler, comme certains, de maladresse scénaristique, d’un relâchement du rythme. Voire, l’on est en droit d’interroger la pertinence du casting et la prestation des acteurs – sinon leur direction. Mais il y a plus : l’intrigue souffre d’une réelle dissymétrie. La première partie montre beaucoup plus qu’une ascension : la création ou la fabrication, comme on aime dire aujourd’hui, de ce monstre à sang froid qu’est Reinhard Heydrich. L’on pourrait distinguer plusieurs couches.
Il y a la blessure d’honneur, difficilement pardonnable, que la cour martiale inflige à cet officier, certes orgueilleux, certes luxurieux, mais par ailleurs méritant. La raideur de cet idéalisme stoïcien n’est-elle pas en partie responsable de l’amertume vindicative ? Comment ne pas comprendre que l’armée fait subir à l’un de ses hommes, cette humiliation invivable qu’elle-même vient de connaître au terme de la première Guerre mondiale ? Nous voyons ici en petit et au sein même de la fière Allemagne prussienne, la matrice qui accouchera cet enfant indigne et rebelle, le monstre nazi.
Une autre raison réside évidemment dans la stimulation particulièrement efficace de la future épouse d’Heinrich – dont on a vu que sa nostalgie de l’empire allemand n’est pas sans l’excuser partiellement –. Faut-il donc compléter l’adage classique : « Derrière tout grand homme, cherchez la grande femme », par la double expression « y compris grand dans le mal commis » ? C’est en Lina que « la Bête blonde » puisera l’énergie de ne pas s’affaisser de manière victimaire après son humiliation destructrice.
Il faudrait longuement insister sur les manipulations du terrifiant Himmler, les ravages de l’idéologie nazie, et tous les mécanismes détaillés notamment par Hannah Arendt, avec la rigueur d’une philosophe et l’empathie d’un cœur féminin, dans les Origines du totalitarisme.
Mais Heinrich demeure avant tout une personnalité exceptionnellement narcissique et perverse – ce qui va de pair avec de hautes capacités de commander et organiser, la passion pour la musique, un certain souci de sa famille –. Depuis sa mise en présence, lors du combat d’escrime, nous voyons non pas un homme doué d’une belle énergie mise au service de la victoire, mais une bête féroce qui, lorsqu’elle est humiliée par l’échec, est incapable de l’assumer et devient la proie d’une rage dominatrice et irrémissible que rien n’arrêtera avant l’anéantissement de l’adversaire devenu ennemi mortel – jusqu’à l’exigence d’obéissance absolue imposée à sa femme, qui n’est que le sacrifice total d’elle-même non pas à la cause nazie, mais à un ego cancéreux conduit uniquement par son ambition démesurée. Si profondes soient les blessures psychiques, orgueil et égoïsme, ici portées à incandescence, sont avant tout les causes qui ont engendré celui que Hitler lui-même appelait « l’homme au cœur de fer ».
Or, face à cette compréhension, effrayante autant que fascinée, de celui qui allait devenir l’une des pires créatures du nazisme, il a manqué une empathie symétrique de la générosité admirablement altruiste et du courage indomptable des résistants (les Trois Rois et surtout les deux soldats). Pourquoi le réalisateur n’a-t-il pas cherché à montrer, en quelques scènes discrètes, mais touchantes, combien l’héroïsme du sacrifice final, loin de provenir d’une décision ponctuelle et de la seule générosité typique de la jeunesse (le martyre du père Maximilien Kolbe l’atteste), est le fruit d’une maturation patiente (ce qui ne veut pas dire acquise sur la très longue durée) et vertueuse où toujours le sens du bien de l’autre et du bien commun ont primé coûteusement sur la seule recherche de sa sécurité et de son confort ?
Enfin, en Nota bene, je ne peux m’empêcher d’épingler une caractéristique de la vulgate ambiante qui jamais ne critique ou n’interroge le suicide (cf. ma note sur Alliés) – vulgate par exemple illustrée par la critique de Corinne Renou-Nativel dans le quotidien La Croix (mercredi 7 juin 2017, p. 19). Certes, ce suicide peut s’interpréter comme un acte de prudence (en connaissance des bourreaux nazis horriblement zélés et efficaces) et d’humilité, donc de tempérance (comment être assuré de ma vertu au point de croire que je ne trahirai pas ?). Mais, pour en demeurer à la seule évaluation par les vertus cardinales (ici infuses, donc surnaturelles), c’est aussi un acte qui n’est ni juste (la vie que j’ai reçue, je ne peux me l’ôter), ni fort (l’acte suprême de la bravoure n’est-il pas celui du martyre qui consiste non point à s’enlever la vie, mais à l’offrir ?)
Pascal Ide
Reinhard Heydrich est un officier de la marine allemande (Reichsmarine), puni par la cour martiale pour des problèmes de mœurs. Devinant le potentiel de cet homme ambitieux, sa future femme, Lina (Rosamund Pike), le convainc d’entrer dans le nazisme par idéalisme : rétablir la grandeur passée de l’Allemagne. Dans les années 1930, il devient le bras droit de Heinrich Himmler (Stephen Graham), qui en fait le responsable de son service secret de renseignements, puis le chef de la Gestapo qui mettra en œuvre la nuit des longs couteaux, les Einsatzgruppen (unités chargées des tueries de masse). Adolf Hitler le nomme alors au protectorat de Bohême-Moravie en Tchécoslovaquie, avec pour mission de définir un plan d’extermination définitif des Juifs d’Europe – ce que l’on appellera la solution finale.
En décembre 1941, le Tchèque Jan Kubiš (Jack O’Connell) et le Slovaque Jozef Gabčík (Jack Reynor) sont engagés au côté de la Résistance, pour libérer leur pays de l’occupation allemande. Après un entraînement à Londres, les deux jeunes soldats se portent volontaires pour la mission Anthropoid, aussi secrète et importante que risquée : éliminer Heydrich à Prague – qui doit avoir lieu le 27 mai 1942. Or, au cours de leur infiltration, Jan tombe amoureux d’Anna Novak (Mia Wasikowska) et rêve avec elle d’un avenir heureux en Europe ou aux États-Unis : fera-t-il passer son amour avant sa cause ? Quoi qu’il en soit, Heydrich peut-il être assassiné ? En effet, depuis le début de la guerre, aucun haut dignitaire nazi n’a été tué…