En eaux troubles (The Meg), science-fiction américano-chinois de Jon Turteltaub, 2018. Adapté de l’ouvrage de Steve Alten, Meg: A Novel of Deep Terror, 1997. Avec Jason Statham, Li Bingbing.
Thèmes
Peur, Trifonctionnalité (Dumézil).
Le genre bien balisé du film à monstre marin se doit de faire plusieurs choix afin de cadrer sa créativité sans la brider ni la briser.
Première bifurcation : réel ou fiction ? Ce que la réalité perd en cause objective de terreur (taille du monstre, etc.), elle le gagne en certitude horrifique et fait souvent basculer le film vers le survival – l’exemple type en est The Reef (Andrew Traucki, 2010) –. Ici, l’intrigue a clairement choisi la fiction, avec la conséquence : l’alien animal doit être aussi crédible que monstrueux. De ce point de vue, mission accomplie : non seulement il est démesuré, mais l’explication de sa taille est, sinon vraie ou vraisemblable, du moins originale et symbolique : surgissant d’un passé préhistorique, le titan surgit des profondeurs, en l’occurrence d’une hypothétique sous-thermocline de la fosse des Philippines.
Un seul regret : le titre américain (The Meg, abrégé de Mégalodon) a été banni au profit d’une trouble titulature française aussi insipide que recyclée : pourquoi chercher à intriguer le chaland, alors que l’affiche dit déjà tout ?
La deuxième option concerne le nombre (des monstres, bien sûr) : entre l’unicité, illustrée par le requin blanc solitaire de Jaws (Les Dents de la mer, Steven Spielberg, 1975. Cf. critique sur le site) et la multitude, illustrée par le grouillement des piranhas (Piranha, de Joe Dante, 1978). Soit dit en passant, si le Spielberg demeure l’analogum princeps, c’est-à-dire le paradigme, du film d’épouvante centré sur un monstre marin, le Dante en est peut-être le meilleur concurrent – transcendant sans difficulté les deux séries de trois produits dérivés tirés des deux films). Ici, le scénario s’est accordé la (trop) grande facilité de révéler que le Meg n’était pas unique, mais double, pour relancer l’histoire à peu de frais. Ce faisant, il a dangereusement fragilisé l’intrigue. En effet, rien ne permet auparavant de le deviner, même rétrospectivement, et rien ne permet après d’en comprendre la raison ; la conséquence en est que, désormais, toute multiplication devient possible. Et pourquoi pas un troisième requin géant, voire un mutant encore plus horrifique ? À l’image des franchises aussi incertaines scénaristiquement que certaines économiquement.
Une troisième décision d’importance concerne l’adversaire du « vilain », en l’occurrence, les adversaires, car il s’agit toujours d’une équipe de sauveurs. Or, celle-ci émarge à une structure implicite. J’émets l’hypothèse qu’elle peut être calquée sur la trifonctionnalité dont Georges Dumézil, anthropologue spécialiste des cultures et religions indo-européennes, a élaboré la théorie. Récits et sociétés s’organisent à partir de trois fonctions : la fonction du sacré qui est aussi celle de la souveraineté, la fonction guerrière et la fonction de production qui est aussi celle de la reproduction. Puisqu’un récit narre une action qui sera sélectionnée dans les mythes fondateurs si elle est efficace, les films d’aventure se structureraient (synchroniquement) donc souvent en faisant appel à ces trois fonctions. Une illustration emblématique en est le film de science-fiction à succès Independence Day (Roland Emmerich, 1996. Cf. critique sur le site) : l’alien surpuissant n’est vaincu que par l’action convergente des trois fonctions incarnées dans trois figures différentes ; en retour, cette tripartition n’éclairerait-elle pas partiellement la réussite du film ? Nous retrouvons bien ici la triple puissance, guerrière – se concentrant en Jonas qui, d’ailleurs au rebours du héros du roman, multiplie les actes de bravoure –, intellectuelle – comme Jaxx Herd, ingénieur et pirate informatique (Ruby Rose) –, et financière, le milliardaire Jack Morris (Rainn Wilson). En réalité, les figures composant l’équipe sauveteuse se multiplient jusqu’à l’inutilité (par exemple, la figure de la scientifique qui, de plus, est prétendante au statut de la Belle, se dédouble entre l’ex-épouse et la concurrente, Suyin Zhang (Li Bingbing). Il n’est pas jusqu’au méchant qui oscille vaguement entre le squale démesuré et Morris, le propriétaire du projet.
Un quatrième choix concerne la victime qu’il est toujours souhaitable d’identifier, même si, latéralement, une galerie de victimes secondaires attestent, par la brièveté sanguinolente de leur prestation, la dangerosité du prédateur ! Or, là encore, le film souffre de flottement entre la scène prometteuse de la « rencontre » entre la petite fille et le monstre, mais sans suite (ne parlons pas d’une ébauche d’apprivoisement) et la scène manquée de la panique collective. Pourquoi ?
La réponse à la question réside dans l’ultime alternative : entre réalisations et publics, américain et chinois. En fait, la préférence s’est soldée par son absence. Clairement, un certain nombre de scènes furent écrites en fonction des attentes du public asiatique : les relations intergénérationnelles ; la mort dramatisée du père et grand-père. Mais, ce qui émeut un spectateur oriental n’a qu’un impact atténué sur son homologue occidental. Nouveau déficit scénaristique…
The Meg demeure un film d’action au rythme soutenu, ce qui explique sans doute qu’en deux semaines, dans son seul pays d’origine, il a rapporté plus de deux fois son budget, pourtant colossal (pas moins de 150 millions de dollars !). Pourtant, il souffre de cette pathologie si commune aux blockbusters américains : le spectaculaire sans symbolique, autrement dit, la surface sans la profondeur. Ce qui est tout de même un comble pour un film sur les monstres venus des abysses !
Pascal Ide
Mission dans les fosses des Philippines. Jonas Taylor (Jason Statham), ancien capitaine de la Marine et plongeur spécialisé dans les eaux profondes, est contraint d’abandonner 8 hommes coincés dans un sous-marin nucléaire, pour en sauver 11 autres, lorsqu’ils sont mystérieusement attaqués.
5 ans plus tard, au large des côtes chinoises, une équipe de scientifiques se retrouve coincée dans l’épave d’un submersible attaqué et endommagé par ce qui s’avère être un requin préhistorique de 23 mètres de long, le Mégalodon. Bien qu’ayant raccroché suite au précédent traumatisme, Taylor est recruté une nouvelle fois pour sauver ces innocents et, désormais, affronter ses peurs autant que sa culpabilité. Si l’on sait que certains, dont le héros, demeureront en vie, genre du film oblige, en revanche, quel sera le prix à payer pour les autres ?