Borgen, une femme au pouvoir (Borgen), série télévisée danoise politique en 38 épisodes de 58 minutes d’Adam Price, entre 2010 et 2013 pour les trois premières saisons, et 2022 pour la quatrième. Diffusé sur la plateforme Netflix. Avec Sidse Babett Knudsen.
Thèmes
Pouvoir politique, privé.
La série danoise Borgen – dont le succès est tel que, après 10 ans, une quatrième saison vient de la relancer –, a tous les atouts pour réussir, mais non pas pour plaire…
Les critères de la réussite sont bien présents : la découverte d’un (relativement) petit pays scandinave dont la politique et la culture nous sont souvent lointaines ; le focus sur les rouages de la démocratie danoise sur fond de multipartisme et d’intrigues politiciennes (et cela, d’autant plus que nous avançons dans l’intrigue) ; mais, plus encore ; une vision pour une fois ni idéalisée – comme Designated Survivor (série télévisée américaine en 3 saisons et 53 épisodes de David Guggenheim, 2016-2018) – ni cynique – comme House of Cards (série télévisée américaine en 6 saisons et 73 épisodes, de Beau Willimon, 2013-2018) –, mais réaliste et plutôt bienveillante ; une attention sur les relations complexes entre pouvoir politique et contre-pouvoir médiatique ; le délicat arbitrage entre vie publique et vie privée ; une actrice d’exception qui sait joindre autorité et féminité, charme et charisme ; la dénonciation des tentations de compromission et de mensonge, donc la claire affirmation d’une exemplarité du dirigeant (ce qui est l’application de la loi de connexion des vertus : au nom de quoi celui qui ment ou trahit dans sa vie privée ne le ferait-il pas aussi dans la vie publique ? comment celui qui s’autorise à transgresser par exemple en matière de tempérance ne serait-il pas laxiste dans le domaine de la justice ?) ; une trame narrative éprouvée (le croisement qui est probablement le plus réussi entre une intrigue politique complète par épisode et une histoire privée continue qui se développe d’épisode en épisode et même entre les saisons). Ajoutons, ce qui n’est pas le moindre intérêt, une vision du pouvoir exercé par la femme qui n’est pas pour autant féministe, l’évitement de l’idéologie LGBT, une chaste discrétion des images.
Toutefois, la série n’est pas sans poser quelques questions qui affectent sa crédibilité, voire sa moralité. Notamment la question de la vie privée. Si le divorce de Birgit au terme de la saison 1 est dramatiquement compréhensible, il n’est cependant guère crédible : comment Phillip qui savait à quoi s’attendre et qui avait pleinement consenti à ce que son épouse devienne madame le premier ministre, peut-il fonder sa décision sur sa seule absence (relative) du domicile conjugal ? ; peut-on imaginer une décision d’une telle importance se prendre si vite après une nuit de réflexion ? ; pourquoi cette dame de feu plus que de fer qui étudie à fond chaque dossier cède et concède-t-elle à son tour si rapidement le divorce, sans progression, ni discussion ni médiation ?
Deuxième exemple : le choix que Birgit fait, au terme de la deuxième saison, de suspendre sa vie politique pour prendre soin de sa fille. De prime abord admirable d’abnégation, cette option est présentée comme un sacrifice de sa passion politique, autrement dit, comme un dilemme privé entre égocentrisme et altruisme désintéressé. En réalité, l’alternative face à laquelle la première ministre se trouve placée est celle de la vie privée et de la vie publique. Il faut donc toute la cécité de notre individualisme pour oublier la hiérarchie entre bien commun politique et bien commun familial. Sans rien dire de la crédibilité d’un traitement qui exigerait la présence 24 heures sur 24 d’une mère auprès de son adolescente – ce qui ressemble furieusement, du côté de la fille à de la fusion, et du côté de la mère à une culpabilité réparatrice.
Assurément, Birgit est le contraire de Claire Underwood (l’épouse indigne du président indigne mis en scène dans House of Cards), moralement, psychologiquement et physiquement. Mais jusqu’à être son anti-type réactif. Ce qu’elle gagne en humanité (éthique), elle le perd en authenticité (politique). Si la problématique de l’intersection privé-public passionne les spectateurs, elle finit par devenir dialectique, au profit du seul premier pôle et ainsi contribuer à désinvestir le second.
Pascal Ide
Borgen (« le Château ») est le surnom que les Danois donnent au siège du Parlement et aux bureaux du Premier ministre, situés au château de Christiansborg à Copenhague. Chef du Parti centriste au caractère bien trempé, Birgitte Nyborg (Sidse Babett Knudsen) devient, contre toute attente, Première ministre. Mais une fois à la tête du gouvernement, différentes questions ne tardent pas à la tarauder. Elle qui est habitée par de forts idéaux et reconnue pour son intégrité, quels compromis acceptera-t-elle pour garder le pouvoir ? Elle qui est mariée à Phillip Christensen (Mikael Birkkjær) dont elle a deux enfants, Laura (Freja Riemann) et Magnus (Emil Poulsen), comment pourra-t-elle concilier vie privée et vie professionnelle ? Elle qui refuse toute compromission avec le mensonge, comment articulera-t-elle pouvoir politique et pouvoir médiatique, face à la puissante chaîne de télévision TV1, dirigée par le rédacteur en chef Torben Friis (Søren Malling) et une journaliste hors pair, Katrine Fønsmark (Birgitte Hjort Sørensen) – d’autant que cette dernière est, en secret, l’amante de son spin doctor (le conseiller en communication politique), Kasper Juul (Pilou Asbæk) ?