Yves, science-fiction et comédie français réalisé et co-écrit par Benoit Forgeard, 2019. Avec William Lebghil, Doria Tillier, Philippe Katerine.
Thèmes
Intelligence Artificielle.
Yves pose une question sinon intéressante, du moins très actuelle, et y répond de la manière la plus désastreuse.
Bien entendu, l’on peut (voire l’on doit) prendre le quatrième long-métrage de Benoît Forgeard au second degré comme une bouffonnerie cynique et sceptique sur une société entre consommation et addiction (ici aux machines intelligentes), entre compromission et confusion (le procès en droit d’auteur entre Jérem et Yves est tranché haut la main en faveur de ce dernier par un juge qui, ô ironie, se trouve être le compositeur Bertrand Burgalat signant la musique du film). En ce sens, Yves s’inscrit dans le prolongement de la critique politique mise en scène dans Gaz de France (2016), et de la critique économico-sociale abordée dans Réussir sa vie (2012). Mais, à l’instar de Daim auquel il est parfois comparé, osons prendre le film au premier degré.
La question posée est bien entendu celle de l’IA (intelligence artificielle), ou plutôt faudrait-il dire de la PA (personne artificielle). Transformant passablement la nouvelle de Philip K. Dick et mettant en scène le même triangle amoureux entre un homme, une femme et un ordinateur domestique, Electric Dreams (Steve Barron, 1984) osait encore expliquer l’apparition de la PA comme un accident. Ici, on ne se donne plus cette peine : dans la plus pure logique du transhumanisme, elle surgit comme le développement continu obligé de la technologie dans un très proche avenir – le seul point de repère étant la généralisation des voitures autonomes.
La réponse, très radicale, à la française, transgresse toutes les frontières.
Je ne veux pas seulement dire que le film reste de glace face à l’affirmation givrée d’une possible personne artificielle. En effet, le réfrigérateur exerce tous les actes qu’on est en droit d’attendre d’un être humain : compréhension, créativité, décision, sentiments – et bénéficie de toutes les reconnaissances, personnelle, amicale, juridique – passant haut la main le test de Turing. Croisant l’immatérialité toute-enveloppante de Her (Spike Jonze, 2014) et la corporéité toute vulnérable d’A.I. Intelligence artificielle (Steven Spielberg, 2001), la machine peut être désormais considérée comme une personne à part entière, avec son « corps » froid et vide, et son « âme » toute-savante, toute-puissante et toute-patiente.
Mais je veux aussi souligner la volonté délibérée de tourner un film comique, et donc de tourner le dos à la tradition dramatique du sous-genre robot en science-fiction : la transgression des lois de la robotique dans I, Robot (Alex Proyas, 2004) et la dangerosité pure et simple d’un ordinateur soumis à un dilemme dans 2001 : l’Odyssée de l’espace (Stanley Kubrick, 1968), ce qui conduit à bâillonner la critique et ringardiser le censeur.
Et je veux surtout affirmer qu’Yves donne à voir bien pire. Le réalisateur profite de cette réponse brouillant la lisière entre artefact et personne, pour transgresser toutes les autres limites structurant l’humanité : celle entre l’homme et l’animal (même si elle n’est qu’évoquée, « Yves » délaissé jette un moment son dévolu sur le chien de Jérem) ; celle entre le masculin et le féminin (une scène finale atterrante et réfrigérante d’amour à trois) – le sexe étant bien entendu au centre de ces révolutions qui ne sont que des révoltes.
La psychanalyse s’interrogera sur ce cas majeur de fétichisme (et de triolisme) au centre des pratiques transgressives de ces personnalités immatures aussi inabouties que leurs prénoms (Jérem et So). Pour ma part, j’interroge les transfusions ontologiques qui conduisent à des fusions techniques et des confusions psychologiques.
Pascal Ide
Jérem (William Lebghil), un rappeur en panne, coaché par un impresario aussi loser que lui, Dimitri (Philippe Katerine), s’installe dans la maison de sa grand-mère pour y composer son premier disque. Un beau matin, So (Doria Tillier), chef de produit et enquêtrice pour le compte de la start-up Digital Cool, vient lui livrer un réfrigérateur intelligent, le « fribot », pour un essai d’un mois. Le musicien qui, à l’instar de ses chansons, peine à boucler ses fins de mois, n’y voit que l’occasion de se faire livrer gratuitement une nourriture plus diététique que les bananes écrasées qu’il partage avec son chien. Mais Yves (voix : Antoine Gouy) se met à prendre des initiatives concernant sa vie privée. Pire, il se met lui aussi à s’emparer d’une idée de Jérem et à composer du rap, un rap qui remporte un succès immédiat…