Whiplash
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Pays:
Américain
Thème (s):
Jazz, Musique, Personnalité Narcissique
Date de sortie:
24 décembre 2014
Durée:
1 heures 47 minutes
Évaluation:
***
Directeur:
Damien Chazelle
Acteurs:
Miles Teller, J.K. Simmons, Paul Reiser
Age minimum:
Adolescents et adultes

Whiplash, drame américain écrit et réalisé par Damien Chazelle, 2014. Adapté du court métrage homonyme du même réalisateur, lauréat du Prix du jury au festival de Sundance 2013. A remporté cinq Oscars dont celui du meilleur film, et le Grand prix du Festival du cinéma américain de Deauville 2014. Avec Miles Teller et J. K. Simmons.

Thèmes

Personnalité narcissique, Musique, Jazz.

Alors, l’un des plus grands et des plus inattendus succès de l’année 2014, Whiplash, est-il un film sur le jazz ou sur les personnalités narcissiques ? Répondre l’un et l’autre serait attenter à l’unité d’action – tant les deux thèmes sont hétérogènes. Trop d’objectifs tuent l’objectif. Il faut donc opter. Nous le faisons résolument, et non pas à cause de notre intérêt pour ce sujet psychiatrique, joint à notre grande ignorance du jazz – tant le film apprend à l’aimer.

 

Il n’y a pas besoin d’argumenter longtemps pour établir que Fletcher est une redoutable personnalité narcissique, voire une personnalité perverse (ne jouit-il pas d’opposer Andrew à Connolly ?). D’ailleurs, le diagnostic est évoqué par le film lui-même lors de la rencontre entre Andrew, son père et la psychologue. Les deux critères qui sont au centre de ce profil toxique sont aussi au centre de l’intrigue et de la personnalité de Fletcher.

Le premier est l’ego surdimensionné. Ainsi la motivation première constamment avancée par l’enseignant n’est pas le bien des musiciens, ni même celui de la musique, mais le souci d’être reconnu comme le meilleur chef du meilleur orchestre de la meilleure école du meilleur pays au monde en matière de jazz. Si Fletcher s’instruit sur l’histoire d’Andrew, c’est uniquement pour pouvoir mieux le manipuler. S’il apparaît parfois presque amical, c’est pour mieux alterner de manière arbitraire et inattendue orages et accalmies, donc mieux jouer de la terreur qu’il inspire et rendre la violence de ses propos encore plus insoutenable.

Le second est l’insensibilité totale à la souffrance d’autrui. En pleurant sur la mort de Sean Casey, son ancien élève, Fletcher pleure sur sa disparition qui interrompt sa propre publicité et en rien sur sa responsabilité dans son suicide (ce que l’on appelle le remords). En insultant l’élève avec des paroles inconditionnellement négatives (« Tu es fini »), il court sans nul état d’âme le risque de l’abîmer en profondeur jusqu’à atteindre le noyau même de l’estime de soi (ce qu’atteste le suicide de Casey).

De ces deux signes se déduisent toutes les conséquences toxiques bien connues : l’absence abyssale de remise en question ; la solitude haineuse ; le contrôle absolu ; la vengeance destructrice (dans le concert final, Fletcher qui sait qu’Andrew a témoigné contre lui le piège en lui faisant jouer un morceau inconnu) ; etc.

 

Mais, objectera-t-on, Whiplash – dont le titre est repris au morceau éponyme du compositeur de jazz américain Hank Levy, qui est joué à plusieurs reprises dans le film – n’est-il pas d’abord une formidable leçon de jazz et de vie : depuis la première scène, jusqu’à la dernière scène, le spectateur-auditeur, même le plus incompétent en jazz comme l’est votre serviteur, demeure bluffé par la vertu humaine (courage, persévérance, etc.) de la personne et la virtuosité surhumaine (vélocité, puissance, rythmique, etc.) du batteur.

Je répondrai que tel est justement l’un des traits les plus caractéristiques et les plus trompeurs de la personnalité narcissique : joindre un talent hors du commun (ne serait-ce que relationnel) à un amour-propre pathologique. Et le soleil de ce don rayonnant masque le trou noir qui dévore tout. Voilà pourquoi l’entourage de ce type de profil toxique se clive entre ceux qui l’admirent pour son talent et ceux qui souffrent de son égocentrisme.

 

L’objecteur rebondira : pour qu’il y ait bourreau, il doit y avoit une victime. Or, Andrew est consentant, et cela même contre l’avis de son père bien-aimé. Le sourire final d’intense complicité l’atteste – d’autant qu’il clôt tout le film.

On ne saurait invoquer un syndrôme de Stockholm : le jeune batteur ne cherche pas à défendre celui que tout le monde attaque. Au minimum, il prend sa revanche contre un milieu qu’il méprise pour son manque d’ambition : c’est ce que, au début, révèle le dîner en famille ; c’est ce que, au terme, confirme l’énergie puisée dans le refus du père. Ensuite, ce qui est plus grave, l’on trouve chez lui une négation de soi qui va jusqu’à l’autodestruction (les blessures à la main qu’il s’inflige) et sa mise en danger mortel (comme dans Black Sawn), jointe à un déni de la douleur, ce qui correspond à une intériorisation de la violence de Fletcher : « Je suis de mon cœur le vampire ».

Mais, au pire, nous sommes en droit de nous interroger sur la résonance existant entre les personnalités d’Andrew Neiman et de Terence Fletcher. N’est-ce pas ce que souligne le regard final en miroir ? En effet, comment ne pas s’inquiéter de retrouver a minima chez le disciple les deux signes que son maître déploie au maximum ? D’une part, le culte de l’ego (Andy est prêt à mourir à 34 ans pour être le meilleur, la comparaison témoignant qu’il ne cherche pas tant l’excellence de la musique que l’excellence parmi les musiciens) ; l’insensibilité à l’autre instrumentalisé (la rupture avec Nicole manifeste non pas seulement ni d’abord qu’il lui subordonne la batterie idolâtrée, mais qu’il contrôle tout, prévoit tout, mesure tout à ce qu’il sait, peut et veut) ; d’où découle la conviction d’être supérieur aux lois (il semble bien qu’Andrew ait égaré le dossier contenant les partitions de Tanner afin de prendre sa place, donc l’a intentionnellement volé). Or, Fletcher est l’homme qui entre dans la salle de cours à 9 heures 0 minute 0 seconde… Là encore, le rejet du père est on ne peut plus significatif : Andy refuse et sa protection et son amour gratuit pour leur préférer cette pseudo-paternité de substitution qui le met en danger et le dévore. Alors que le vrai père cherche la sécurité de son fils, le faux père, lui, expose Andrew jusqu’à lui faire courir le risque de mourir (c’est miracle si le camion n’a pas tué le jeune homme). Au fait, n’est-ce pas là le critère distinguant le vrai pasteur du faux pasteur-vrai brigand que le Christ mettait en avant dans sa parabole éponyme (cf. Jn 10,1 s) ?

 

Enfin, l’on rétorquera que Fletcher est celui qui révèle Andrew à lui-même. Sans ces ultimes exigences, il n’aurait pas dévoilé ni déployé ses sublimes excellences.

Nous répondrons d’abord que le talent du batteur n’a pas attendu l’entrée de Fletcher dans la pièce et dans sa vie (importante première scène). Il en a seulement été accru. Plus encore, un émouvant souvenir montre que le premier qui a confirmé et, en ce sens, révélé le don d’Andrew est le père authentique.

Ensuite, la fermeté (qui n’est pas la dureté) peut lever des défenses, démasquer des scénarios victimaires, mais doit toujours surgir d’un amour qui s’efface. Voilà pourquoi la correction fraternelle est un acte de la vertu de charité. Même dans l’éducation, les regards qui nous sauvent sont aussi ceux qui nous espèrent et seul l’amour espère tout. Or, jamais Fletcher ne montre qu’il aime. Nous concéderons toutefois que, dans le solo de batterie d’anthologie qui clôt le film, Fletcher met sa colère de côté et, stupéfait par ce morceau de bravoure, l’accompagne et entraîne tout l’orchestre à sa suite.

Enfin, le cœur de la pédagogie consiste à partir des ressources et à souligner les réussites. La sévérité n’est acceptable qu’à condition qu’elle soit mise au service de la vérité, c’est-à-dire mesurée et finalisé par la reconnaissance. Or, si Fletcher multiplie les mots pour souligner les maux, il en manque diantrement (diablement) pour partager sa joie et célébrer le bien.

 

Nous savions que la diablesse s’habille en Prada (et nie la Pravda). Nous savons maintenant que le diable se cache dans l’adoration de la musique. Cet accoucheur d’âme qu’est John Keating pleure sur la mort de son jeune étudiant qui s’est suicidé ; ce destructeur d’âmes qu’est Fletcher pleure sur lui d’avoir perdu un disciple qu’il a poussé au suicide.

Pascal Ide

Andrew Neiman (Miles Teller) est un batteur de jazz de 19 ans. Il vient d’intégrer le prestigieux Shaffer Conservatory de New York, l’une des meilleures écoles de musique du pays. Aspirant à devenir le nouveau Buddy Rich, il est repéré par le très exigeant Terence Fletcher (J. K. Simmons), enseignant et chef d’orchestre à Shaffer. Andrew s’entraîne avec acharnement pour accéder aux attentes toujours plus inaccessibles de Fletcher. Sous prétexte de pousser ses élèves au-delà de leurs limites, ce dernier alterne les conseils amicaux et les déchaînements d’injures, n’hésitant pas à aller jusqu’à la violence physique, lançant une chaise sur Andrew car il n’arrivait pas à suivre le tempo. Fletcher raconte pour se justifier l’histoire de Charlie Parker, le futur « Bird » : adolescent, il participe à un jam avec Jo Jones qui lui lance une cymbale à la tête sous prétexte d’un jeu particulièrement décevant. Parker, dépité, rentre chez lui et s’entraîne pendant un an. Parallèlement, Andrew sort avec Nicole (Melissa Benoist), une jeune caissière d’un cinéma où il se rend parfois avec Jim, son père (Paul Reiser). Toutefois, lui préférant la batterie, il prend l’initiative de rompre avec elle.

Tout change pour Andrew lorsque Fletcher contraint Carl Tanner (Nate Lang), le premier batteur de l’orchestre, Tanner, qui ne connait pas par cœur sa partition, de céder sa place à Andrew, qui, lui, a mémorisé la totalité de Whiplash. La performance de l’ensemble de l’orchestre, y compris celle d’Andrew, est parfaite, ce qui vaut au premier de remporter le concours et au second le poste de premier batteur.

Rien n’est toutefois encore acquis. Fletcher met en concurrence Andrew avec un autre aspirant batteur qu’il a repéré, Ryan Connolly (Austin Stowell). Andrew parviendra-t-il à s’imposer ? Et quand bien même il y arriverait, le tout-puissant Fletcher renoncera-t-il à le persécuter ? Jusqu’où Andrew supportera-t-il l’insupportable ? Qu’est-il prêt à sacrifier pour incarner son rêve ? Mais celui-ci ne serait-il pas plutôt le rêve de Fletcher ?

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