The Whale
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Pays:
Américain
Thème (s):
Addiction, Culpabilité, Rédemption
Date de sortie:
8 mars 2023
Durée:
1 heures 57 minutes
Évaluation:
***
Directeur:
Darren Aronofsky
Acteurs:
Brendan Fraser, Sadie Sink, Ty Simpkins
Age minimum:
Adolescents et adultes

The Whale, drame américain produit et réalisé par Darren Aronofsky, 2022. Adapté de la pièce de théâtre éponyme de Samuel D. Hunter, 2012. Avec Brendan Fraser et Sadie Sink.

Thèmes

Rédemption, addiction, culpabilité.

Comme dans de nombreux autres de ses films, Darren Aronofsky est tourmenté par la destruction physique et psychique, non sans rechercher une rédemption. Dans la bonne direction ?

 

  1. Il est possible de relire la pathologie de Charlie à partir de la symbolique de l’espace.

En effet, le lieu dit l’être. La modernité qui a tant médité sur le temps au point d’en faire, avec Heidegger le prénom de l’être, a oublié la leçon d’Aristote, qui fait du « où », l’une des dix catégories, c’est-à-dire l’un des dix genres ultimes au-delà desquels il est impossible de remonter. Certes, parce que tout étant est localisé ; mais plus encore parce que le lieu lui-même exprime l’être. À qui sait regarder, mon entour est retour, ce que je suis se dit dans ce qui me suit. La première question que Dieu pose à Adam n’est-elle pas : « Où es-tu ? » (Gn 3,9). La première parole de Jésus : « Je dois être aux affaires de mon Père », littéralement : « chez mon Père » (Lc 2,49). Et la première question des disciples à Jésus : « Où demeures-tu ? » (Jn 1,38).

Or, cet homme qui vivait dans un environnement différencié et différenciant, de manière située et repérable, avec son épouse, Mary (Samantha Morton), sa fille ou ses étudiants (un écran parmi d’autres), a d’abord fui ce milieu altérisant avec sa responsabilité paternelle, est centré dans une fusion-confusion avec son ami pour se concentrer sur sa souffrance, progressivement enfler démesurément au point de vouloir occuper la totalité. Ne pouvant faire coïncider contenant et contenu, l’impossibilité quasi-totale non seulement de quitter l’appartement, mais de se déplacer au-dedans fait le reste et opère pratiquement l’effacement du vide autour de lui. En entrant dans son jeu compulsif, Liz devient alors le prolongement de Charlie qui, en se remplissant, s’est identifié à son espace.

De prime abord, cette salle de séjour, salle à bouffer et chambre à coucher est aussi bourrée que les tiroirs de ses meubles. En réalité, ce trop plein n’est qu’un faux plein et un véritable vide, abyssal. Comme celui du tube digestif que Charlie ne cesse de bonder de victuailles aussitôt saisies, aussitôt avalées, laissant une vacuité encore plus insondable.

Or, ce vide extérieur qui se vidange dans des pseudo-remplissages n’est que la projection spatiale du désert intime vertigineux dont nous découvrons peu à peu la double cause : le chagrin inconsolé de l’amant décédé ; la culpabilité d’avoir égoïstement abandonné sa petite fille de 8 ans. Cette responsabilité conduit Charlie, d’une part, à une autodépréciation jusqu’à donner l’autorisation à sa propre fille de l’insulter et de le mépriser (« You’re disgusting : Tu me dégoûtes »), d’autre part, à un besoin compulsif de réparation, jusqu’à s’interdire à soi-même de manière suicidaire tout argent pour se soigner. Or, des deux causes, la seconde est de loin la plus destructrice. Là aussi pour deux raisons. Primo, le mal subi est infiniment moins grave que le mal commis. Voilà pourquoi, comme l’observait Platon, mieux vaut subir l’injustice que la commettre [1]. Secundo, sa responsabilité à l’égard de sa fille relève du devoir, alors que celle à l’encontre de l’ami ou de l’amant relève de la gratuité.

 

  1. Autant l’espace symbolise la déréliction, autant le temps symbolise la rédemption.

Autant, à l’image de l’espace, la vie de Charlie avant que nous fassions sa connaissance était pauvre de nouveauté et vide de toute altérité, autant cette dernière semaine va s’avérer riche à foison et novatrice à profusion. Par un processus de condensation-élévation-abréviation-illumination. Triple est le travail qui strie le temps, interrompt la folle ruée vers l’abîme et la transforme en montée vers la cime.

Le premier est l’œuvre de la vérité. Nous le disions, le mal de la faute (malum culpæ) pèse immensément plus que le mal de la peine (malum pœnæ). Or, nous ne comptons plus le nombre de fois où Charlie répète « Sorry ». Surtout, il reconnaîtra à plusieurs reprises sa faute envers sa fille. Mais, loin d’être un mantra compulsif, cette demande de pardon se concrétise dans une authentique réparation qui assure à Ellie un avenir confortable.

La vérité serait froide et desséchante si elle ne s’incarne dans un amour qui est don de soi. D’abord en parole. Les mots répétés, voire répétitifs d’admiration inconditionnelle que Charlie adresse à Ellie (« You are amazing ! ») pourraient n’être que fades compliments qui donnent bonne conscience au complimenteur plus qu’ils ne rejoignent la complimentée, s’ils ne s’accompagnaient d’une véritable attention à l’autre, à chaque de ses gestes et de ses désirs, par exemple, en écrivant ses devoirs pour qu’elle puisse obtenir ses examens. Ensuite et surtout, dans les gestes à l’égard de sa fille. Depuis celui, patent, de l’aide à ses devoirs jusqu’au don de toute sa fortune qui renverse le suicide à petit feu en don de soi brûlant. Et, plus encore, car plus caché et plus radical, plus bouleversant et plus métamorphosant pour la fille : la mémorisation de ce devoir sur Moby Dick que son père a intériorisé comme parole salvatrice. Charlie qui ne cesse d’exhorter ses étudiants à sortir de la convention pour oser une parole vraie, il considère le texte d’Ellie comme le plus honnête qu’il aie jamais lu. Voilà pourquoi, juste avant de rendre son dernier souffle, il réclamer à sa fille de lui relire.

Comment dès lors ne pas voir dans The Whale (« la baleine », en anglais) le « signe de Jonas » (Mt 12,38-41), c’est-à-dire le signe de la baleine, donc une parabole du salut ? Certes, lors de la première rencontre avec Thomas, Charlie répond : « Je ne suis pas intéressé par le fait d’être sauvé [I’m not interested in being saved] ». Mais s’il refuse le mot, il accepte la chose : « J’ai besoin de savoir que j’ai fait quelque chose de juste [right] avec ma vie ». Plus encore, il est littéralement sauvé de chaque épisode boulimique et dépressif par cette lettre qui, justement, parle explicitement de salut : « je savais que l’auteur essayait juste de nous sauver [save] de sa triste histoire ».

Les Saintes Écritures le racontent nous l’a appris et la méta-loi patristique de l’admirabile commercium (« l’admitable échange » entre Dieu et l’homme) le formule : seul peut être sauvé ce qui est assumé. Autrement dit, c’est au lieu même le plus bas où notre péché, multiplié par la blessure, nous fait descendre, que le salut – qui sauve en Personne, donc s’identifie à un Sauveur – vient nous rejoindre. Or, celui qui est devenu Whale est sauvé par celui qui, en racontant une histoire de baleine, à la fois parle d’un personnage, Achab, en quête de délivrance et surtout cherche lui-même à être rédimé.

Certes, je regrette que, une nouvelle fois, le vidéaste mette en scène une caricature de la Révélation biblique et doublement, pour peu que le spectateur n’ait pas compris : par cette grimace de missionnaire qu’est ce millénariste surnaturaliste qu’est Thomas ; par la culpabilité suicidaire du compagnon de Charlie qui, lui aussi, était membre de l’église New Life. À quand un cinéaste qui aura la probité de ne pas transformer le christianisme en bouc émissaire de toutes les violences mises en scène et la vérité de montrer que seule la vérité (de l’amour miséricordieux) libère (cf. Jn 8,32) ?

Toutefois, si Darren Aronofsky se trompe de salut, il ne se trompe pas de temps. La fille sauvera le jeune garçon (non sans que plane un doute : son intention était telle ? Mais que le film ne tranche pas respecte du moins le mystère qu’est le retournement d’une âme). Surtout, dans une séquence aussi symbolique que paradoxale, Charlie achève sa passion physique en une passion d’amour pour sa fille, se lève enfin seul, sans aide, personnelle ou mécanique (en grec, avant de signifier « ressusciter » par une conversion sémantique, le verbe égéirô veut notamment dire « se lever » ou « se dresser »), et s’élève au-dessus du sol dans une lumière transfigurée. La pesanteur du péché, bien plus grave que celle de la matière, s’est métamorphosée (là encore, le substantif grec métamorphosis qui signifiait « changement » s’est vu spécialisé dans le lexique chrétien pour désigner la « transfiguration » glorieuse du Christ) dans la légèreté impondérable, mais infiniment lestée, du salut. Cette rédemption que le réalisateur nie dans les propos de tel ou tel de ses protagonistes, il la questionnait dans Noé et Mother !, la cherchait dans The Fountain, et l’affirme de manière criante dans d’autres mots plus haut entrevus et plus encore dans les actes.

Faut-il ajouter à ces coïncidences christiques, celle des dates de cette semaine vécue par Charlie que l’on ne peut assurément pas qualifier de sainte, mais peut-être de sanctifiante ? Sans rien dire des multiples résonances vibrant dans le film. Tel le gratuit don de nourriture que Charlie fait à l’oiseau qui y répond en s’envolant, non sans briser l’assiette, c’est-à-dire en transformant le besoin vital d’aliment solide dans la liberté pneumatique de l’envol, et préfigurant une autre ascension, celle de Charlie, autant que symbolisant un autre affranchissement, celui d’Ellie délivrée de la pire des compulsions, la haine.

 

Concluons. Le « spectacle » invite à réfléchir. Tant de pleins qui sont sensés remplir nos journées et, pire, nos vies, ne sont que des remplissages dénués de toute consistance et donc de tout sens. Mais surtout, il nous incite, plus, il nous contraint à ressentir. En prenant le spectateur en ôtage dans ce huis-clos étouffant pendant près de deux heures, le cinéaste a voulu faire expérimenter au spectateur ce que Charlie éprouve jusqu’à en être asphyxié.

Au fond, la question que Charlie ne cesse de poser à ses interlocteurs : « Est-ce que je vous écœure ? » nous percute de plein fouet et même nous persécute : et moi, qu’aurai-je répondu ? est-ce que the Whale me dégoûte ? Si le fatalisme déterministe du pronostic posé par le cinéaste, autrement dit l’absence d’issue humaine, n’est pas recevable, si sa disqualification de la foi biblique l’est encore moins, comment en revanche ne pas saluer cette attention à sauver ce qui semble le plus définitivement perdu ? Comment, dès lors, ne pas y entendre résonner la parole saturée d’espérance du Bon-Beau Pasteur (cf. Jn 10,14) : « Je suis venu appeler non pas les justes, mais les pécheurs » (Lc 5,32) ? Seul le Cœur « doux et humble » (Mt 11,29) nous sauve de tous nos écœurements.

 

Pascal Ide

[1] « Subir l’injustice comporte un excédent de mal sur le bien qu’il y a à la commettre » (Platon, République, L. II, 158e-159 a. Cf. Critias, 54 b-c ; Gorgias, 469 b-c ; Lois, L. V, 731 a-d ; L. VIII, 829 a).

Charlie (Brendan Fraser) est professeur de littérature anglaise et donne des cours à distance sans jamais allumer sa webcam : « Croyez-moi, vous ne ratez pas grand-chose ». Il n’ouvre pas non plus la porte au livreur de pizza. Mais, lorsque Thomas (Ty Simpkins), un missionnaire de l’église New Life, lui rend visite pour le démarcher en lui promettant de sauver son âme, on comprend la raison : il a honte de ses 600 livres, soit 272 kilos. Surtout, lorsque son unique amie, Liz (Hing Chau), infirmière d’origine chinoise, passe s’occuper de lui et découvre que sa pression artérielle est à 14/23 et qu’il doit donc être hospitalisé en urgence pour traiter son insuffisance cardiaque, s’il ne veut pas mourir dans la semaine, nous entendons Charlie refuser en arguant qu’il n’a pas les moyens et comprenons qu’il ne tient plus à la vie.

Est-ce si sûr ? En fait, il attend la venu d’Ellie (Sadie Sink), sa fille de dix-sept ans, qu’il a abandonné il y a 9 ans, lorsqu’il est parti en tombant follement amoureux d’un de ses étudiants. C’est d’ailleurs depuis la mort de ce dernier que Charlie souffre d’un état dépressif qui a conduit à son syndrome d’hyperphagie incontrôlée. Mais Ellie déteste tout le monde en général et son père très en particulier.

Charlie pourra-t-il se réconcilier avec elle avant de mourir ? Voire mourra-t-il ?

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