The Spy, mini-série française d’espionnage, écrite et réalisée en langue anglaise par Gideon Raff et Max Perry. Elle comporte une saison de six épisodes diffusés pour la première fois le 6 septembre 2019 sur OCS et Netflix. Inspirée du livre d’Uri Dan et Yeshayahu Ben Porat, L’Espion qui venait d’Israël, qui lui-même est inspiré de faits réels. Avec Sacha Baron Cohen, Noah Emmerich, Hadar Ratzon Rotem, Alexander Siddig, Waleed Zuaiter et Alona Tal.
Thèmes
Espionnage, vérité, patriotisme.
Cette mini-série est aussi techniquement irréprochable (par exemple, toute la critique a salué le jeu de Sacha Baron Cohen qui partage avec son personnage, le même don pour le transformisme) qu’esthétiquement créatif (par exemple, une astucieuse utilisation des couleurs permet d’exprimer le passage autant du passé au présent que du fictif au réel). Surtout, ce passionnant biopic d’une très inquiétante actualité invite à une réflexion sur le permanent problème posé par l’espionnage. En l’occurrence, la triple question, psychologique, éthique et politique, qu’il suscite.
- Le bureau des légendes (série télévisée française d’espionnage d’Éric Rochant, cinq saisons, 2015 s) l’a montré avec brio et in extenso, l’espionnage pose la question de l’identité psychique de l’espion. Un agent secret n’est pas seulement un comédien amélioré et prolongé. Il doit véritablement endosser une identité non seulement différente, mais opposée à la sienne, celle de l’ennemi qu’il infiltre. Et cette assimilation intériorise si profondément et si habituellement les valeurs radicales de l’adversaire qu’elles finissent par s’institutionnaliser, dans la sphère publique (devenir vice-président à la Défense, détruire son propre camp afin de se rendre crédible) et même dans la sphère privée (singer l’amour au point de se fiancer avec une femme qu’il n’aime pas).
D’ailleurs, le Mossad épouse lui-même cette ambivalence consubstantielle à la profession d’espion lorsque, au début, il oblige Eli à détruire les lettres que, très amoureux, il envoie à son épouse, et, au terme, lorsque, tout à l’inverse, par la voix de son supérieur devenu son ami, Dan, il lui rappelle qu’il n’est pas Kamel.
- L’interrogation ici soulevée est celle de la licéité éthique des moyens nécessairement employés par l’espionnage. Assurément, cet agent hors pair est un homme aux multiples talents intellectuels et aux nombreuses vertus morales. C’est pour eux qu’il est embauché, d’autant que tout le montre comme un gagnant toujours plus grisé par son succès et un perfectionniste jamais satisfait de lui-même.
Mais, du point de vue d’une morale du devoir, Eli transgresse l’intégralité des dix commandements. Je dis bien la totalité du Décalogue, car si le film ne parle malheureusement pas des convictions religieuses d’Eli, il montre en tout cas qu’il parle comme un musulman convaincu, de sorte que, s’il était croyant, il semblerait abjurer sa propre foi. Quoi qu’il en soit, toute la seconde table est violée, en intention (le questionnaire initial teste aussitôt la capacité d’Eli à enfreindre les normes), puis en acte : Elie ne cesse de mentir et de voler ; il est même poussé par un haut-gradé à tuer ses compatriotes. En fait, presque toute, car ce n’est pas l’un des moindres mérites de la série que de nous voir épargné les exploits donjuanesques qui font souvent le succès, plus fantasmé que réel, des films d’espionnage – sinon nous avoir épargné une bien inutile scène de dépravation –, en nous montrant un héros explicitement et ardemment fidèle – ce qui, à l’inverse, nous vaut un plan inspiré où l’image partagée des époux déjeunant seul, chacun dans son pays, de manière synchrone, ne les rapproche que pour mieux faire ressentir la douleur de leur séparation.
Enfin, une morale conséquentialiste (qui évalue un acte non sur son objet, mais sur ses conséquences) aura beau jeu de déconstruire l’espionnage au vu de ses effets profondément délétères sur le héros, son entourage et même sur le camp adverse poussé à la violence la plus sordide et à la vengeance la plus basse.
- C’est d’ailleurs au nom de ce même conséquentialisme, mais ici politique, que la destruction pyschologique et la transgression éthique sont tolérées, voire défendues. C’est au titre du politique d’abord, du primat absolutisé du bien commun, de la toute-puissante raison d’État, et – ce qui est moins souvent avoué – d’un pragmatisme machiavélique, donc pessimiste, que l’espionnage est justifié et exercé. Or, l’un des intérêts de la série est de montrer la riche diversité des options, notamment les deux logiques, elles-mêmes complexes, des supérieurs hiérarchiques d’Eli. D’un côté, Jacob, le chef calculateur et froid, qui fait implicitement appel à la seule norme unitariste : Eli n’est qu’un pion sur l’échiquier politique et un moyen en vue de l’intérêt dit supérieur. Il acceptera toutefois que l’espion revienne au pays, voire quitte sa fonction pour réintégrer son identité et son humanité. De l’autre, Dan, le supérieur direct, psychologue et compatissant, qui ne cesse de prendre soin d’Eli au loin et de Nadia au plus près. Avec courage, il fera jouer la norme personnaliste contre des gradés insensibles qui jouent le bien commun contre le bien de la personne singulière. Mais un tantinet sauveteur, Dan finira par devenir proche de l’épouse, trop proche.
Surtout, le scénario a la justesse et la finesse de ne pas sombrer dans la victimisation larmoyante en soulignant l’entière responsabilité d’Eli qui, de son premier choix jusqu’au dernier, est la cause du bien qu’il accomplit comme du mal qu’il subit. En effet, s’il est embauché par le Mossad, c’est parce que, antérieurement, il a pris l’initiative de postuler à deux reprises. Et s’il est finalement surpris et pris par les Syriens, c’est parce qu’il a une fois de trop intérieurement désobéi et extérieurement commis un excès de zèle (en envoyant un message de trop). Sa mort par pendaison publique, tête haute, regard droit, visage démasqué, en sera d’autant plus digne. La seule voie éthique qui puisse sauver l’espionnage est le don que l’espion fait de lui-même par amour de sa patrie.
Pascal Ide
- Marié à Nadia (Hadar Ratzon-Rotem) dont il est très amoureux, Eli Cohen (Sacha Baron Cohen) n’est qu’un Juif né en Égypte et méprisé par ses compatriotes comme un « Arabe », jusqu’au jour où il est recruté par Dan Peleg (Noah Emmerich), et son supérieur, Jacob Shimoni (Moni Moshonov), qui sont tous deux des agents du Mossad, le service israëlien d’espionnage.
Après avoir passé haut la main tous les tests et s’être entraîné avec élan, il part d’abord en mission à Buenos Aires, en Argentine. Mais l’intention est de passer en Syrie. Là, Eli se glisse dans la peau d’un businessman syrien excessivement patriote et particulièrement argenté, Kamel Amin Thaabeth. Il réussit si bien à infiltrer les plus hauts niveaux militaires et politiques de la Syrie qu’il devient le conseiller personnel du ministre de la Défense et bientôt le président du pays, le colonel syrien Amine al-Hafez (Waleed Zuaiter). Mais c’est sans compter sur la surveillance paranoïaque de son âme damnée, Ahmed Suidani (Alexander Siddig). Et comment son couple survit-il à ses séjours toujours plus prolongés et dangereux en Syrie ?