The Holiday, romance américaine de Nancy Meyers, 2006. Avec Kate Winslet, Cameron Diaz, Jude Law, Jack Black et Eli Wallach.
Thèmes
TDK, célibat, amour.
Nous nous concentrerons sur la seule relation mouvementée d’Iris avec celui qui lui a brisé le cœur et dont elle tente de se séparer, Jasper Bloom (Rufus Sewell). Même si ce n’est pas un des personnages principaux, nous en apprenons assez sur lui pour savoir qu’il est un Bourreau professionnel – précisément, un bourreau des cœurs.
Jasper est resté en ménage pendant trois ans avec Iris avant de rompre. Cela ne suffit assurément pas pour en faire un bourreau. Mais, d’abord, il l’a trompée pendant leur relation. Ensuite, comme ils travaillent dans le même tabloïd, il continue à la séduire après avoir rompu avec elle. Enfin, sans en rien la prévenir, voire en la complimentant une minute avant, il annonce publiquement ses fiançailles devant toute la société et, bien évidemment, Iris effondrée.
La motivation explicite avancée par le film est l’utilitarisme : rédactrice hors pair, travailleuse, créative, toujours disponible, Iris est la collègue idéale dont il ne souhaite surtout pas perdre la précieuse collaboration. Mais son comportement invite à suspecter au minimum une personnalité narcissique (animée par le besoin d’éprouver en permanence son pouvoir de séduction), au maximum une personnalité perverse : alors qu’il sait qu’elle tente très péniblement de faire son deuil, il continue à lui envoyer des textos, obligeant ainsi Iris à penser à lui ; quand il la voit laminée par l’annonce, entre larmes et faux-sourire de circonstance (superbe jeu d’actrice), le Don Juan semble esquisser un sourire (de jouissance victorieuse ?).
Le film est d’autant plus intéressant pour notre propos que, face à ce Bourreau séducteur autant que manipulateur, la victime engluée dans la relation toxique est une Sauveteuse qui ne va pas manquer de virer dans la posture Victimaire.
De fait, Iris présente tous les traits de la Sauveteuse elle aussi professionnelle : elle aide au-delà de toute mesure (elle accepte de relire le manuscrit de Jasper, alors qu’elle est en vacances, qu’il l’a trahi et qu’elle fait tout son possible pour l’oublier) et tout le monde (à commencer par son frère) ; elle va au-devant des besoins des personnes, par exemple, en s’arrêtant pour reconduire Arthur Abbott (Eli Wallach) chez lui ; elle n’a jamais autant d’énergie et d’inventivité que lorsqu’elle peut voler au secours de quelqu’un ; elle possède un don de double-vue pour deviner les cadeaux qui font plaisir (l’édition originale de Shakespeare offerte à Jasper) ; elle trouve toujours des excuses et demeure amie, même après qu’elle surprend Jasper en flagrant délit de la tromper ; elle n’ose le chasser, de peur de se faire rejeter ; elle nourrit une trop piètre idée d’elle-même pour se valoriser (« J’ai un profil assez banal ») ; dans un long monologue au début du film, elle switche en Victimaire (« L’amour le plus cruel, celui qui tu beaucoup de ses victimes : on l’appelle l’amour non partagé. Celui-là, je le connais, je suis experte […] Et nous, les laissés pour compte. Nous sommes les victimes de l’amour à sens unique », etc.). En la voyant vivre, le scénariste renommé à la retraite qu’est Arthur l’a décrite d’un coup de crayon : « Vous vous comportez comme l’amie dévouée et non pas comme l’héroïne », ce en quoi elle se reconnaît aussitôt : « Je refuse d’être sur le devant de la scène ».
C’est alors qu’arrive la scène décisive [1]. Contre toute attente, Jasper, qui n’en est plus à une manipulation près, débarque à l’improviste dans le domicile californien d’Iris.
Le redoutable Don Juan est plus séducteur que jamais : il arrive avec le cadeau de Noël promis au début du film ; il multiplie les compliments (« Cet endroit te va bien »), la fait rire, centre tout son intérêt sur elle (« Je suis là, parce qu’il fallait que je te vois »), dénie les formules assassines (« Nous sommes comme une cheville carrée dans un trou rond [square peg, round hole] », ce que le doublage traduit : « Chaque pot à son couvercle, mais tu n’es pas le bon ») répétées pendant trois ans simplement par un « Je ne m’en souviens pas », exprime un amour éperdu, de surcroît concrétisé dans des gestes (« Je devenais fou quand tu es partie, je passais mon temps à consulter mes mails. Je n’ai jamais été comme ça »), voire ouvre un avenir (un voyage à Venise quand elle reviendra à Londres).
Comment la Sauveteuse professionnelle qui est toujours follement amoureuse de son Bourreau ne tomberait-elle pas dans le piège ? En mettant en œuvre trois facultés qui sont autant de ressources et de moyens pour repérer et rejeter les tactiques persécutrices.
Tout d’abord, Iris est connectée avec son affectivité, c’est-à-dire avec ce qu’elle ressent. À au moins cinq reprises, elle elle exprime sa confusion intérieure qui rime avec sa division. Ainsi, quand elle l’entend dire qu’il lui fallait la revoir, elle est troublée : « Oh, Jasper, je ne comprends réellement pas ce que tu fais ». Puis, après le redoutable « Je ne veux vraiment pas te perdre, bébé », elle prend sa tête dans les mains tout en la tournant à droite et à gauche pour dire non : « C’est trop déroutant [confusing] ».
Ensuite, Iris emploie son intelligence, c’est-à-dire sa capacité de discernement. Lorsqu’elle demande à Jasper s’il est libre pour lui proposer de partir à Venise, celui-ci répond : « Chéri, j’ai traversé la moitié du globe pour te voir, non ? ». Iris n’est peut-être pas assez attentive pour repérer la mimique du visage de Jasper et un regard qui au début, ne la fixe pas dans les yeux. Mais son esprit est assez en éveil pour que, lorsque leurs lèvres s’effleurent, elle prenne conscience de sa duplicité : « Tu sais, ça n’a pas répondu exactement à ma question ». Et elle exerce à nouveau son intelligence en demandant avec encore plus de précision : « Alors, tu n’es plus du tout avec Sarah ? »
Puis, quand Iris le regarde attentivement (Jasper regarde un moment ailleurs, cligne deux fois des yeux) et surtout quand elle entend la réponse : « J’espère que tu accepterais de reconnaître combien je suis dans un grand état de confusion à propos de tout cela », elle ne peut plus douter. Plus tard, lorsqu’elle dira ses quatre vérités à Jasper, Iris posera un geste significatif : « Il faut que j’allume » – à l’instar de Luis qui, pour dire la vérité au G7 de Prête-moi ta main, a besoin d’ouvrir grand les rideaux.
Enfin, la jeune femme fait appel à sa volonté, c’est-à-dire sa capacité de décision, donc d’innovation. En effet, après cette dernière réponse, elle se donne le droit d’un recul, qu’elle formule dans un énoncé joliment créatif : « Entendu, laisse moi traduire [translate] cela ». Pour cela, son corps l’aide doublement : elle s’écarte légèrement de Jasper et elle regarde ailleurs. En se libérant ainsi de la proximité et de la fascination physique, elle trouve la bonne formulation : « Ainsi, tu es encore décidé à te marier ? » Et elle souligne son interrogation d’un regard déterminé qui interdit tout faux-fuyant. Jasper ne peut plus éviter la réponse : « Oui », même s’il tente d’ajouter un reftificatif atténuateur, et la conséquence immédiate : tout en se levant et en s’exclamant « Oh, mon Dieu », Iris s’affranchit non seulement de l’aimantation affective en se redressant définitivement, mais de l’illusion qui a aveuglé ces longues années de relation toxique : « Je n’aurais jamais cru que je pourrai dire ce que je vais dire, littéralement jamais : On n’est absolument pas fait l’un pour l’autre ». Et elle reprend même l’expression favorite de Jasper en la surlignant : « Nous sommes comme une cheville vraiment carrée dans un trou vraiment rond ».
Tout dit sa détermination autant que son courage : Iris se donne le droit et le temps d’éclairer la scène ; elle se plante devant Jasper en respirant un grand coup ; lui-même, qui ne l’a jamais vu ainsi, s’immobilise, paralysé. Ainsi pleinement en possession d’elle-même et entièrement lucide, elle ose dire la vérité : « Tu ne m’as jamais bien traitée, jamais. Tu m’as brisée le cœur. Et tu as fait en sorte que tout fût de ma faute, due à mon incompréhension [misunderstanding] ». Une telle accusation pourrait être Victimaire. Aussi ajoute-t-elle sa part de responsabilité : « Et j’étais trop amoureuse de toi, trop folle de toi, et me punissais moi-même pendant ces années ». Et elle reformule le double bind le plus tortueux et le plus torturant de Jasper : « Tu débarques ici pour dire que tu ne veux pas me perdre, alors que bientôt tu seras marié ».
Enfin, triomphante, elle peut prononcer la parole désaliénante qu’elle n’avait pu proférer depuis des années : « C’est fini [It’s over] ». Elle va même plus loin, nommant le lien empoisonné qui l’a retenue si longtemps : « Cette chose tordue [twisted possède aussi joliment le sens de « torsadée »] toxique entre nous est finalement finie ». Et elle cueille aussitôt le fruit de cette autothérapie accélérée. Le visage lumineux, la voix tremblante de joie, elle constate soudain qu’elle n’est « miraculeusement plus amoureuse » de lui. Elle en éclate de rire : « Je vais vivre une autre vie et tu en seras totalement exclu ». Et, dans son énergie retrouvée, elle puise la force de joindre le geste à la parole, mieux, d’incarner sa décision de manière irréversible : elle met littéralement Jasper à la porte.
Mais comment a-t-elle fait pour prendre un tel recul ? Jasper lui-même demeure si bluffé de cette métamorphose qu’il demande : « Qu’est-ce qui s’est passé exactement en toi ? » Rayonnante, Iris répond d’abord qu’elle l’ignore. Mais, soudain, elle connecte avec la raison : « le bon sens [gumption] ». Ce faisant, elle se souvient de tout ce que lui a apporté le contact, par films interposés, avec les femmes de bon sens, images de son épouse, qu’Arthur introduisait systématiquement dans chacun de ses scénarios.
Le plus souvent, la libération d’un lien toxique avec un Bourreau ne se produit pas aussi « miraculeusement » ; d’ailleurs, il aura quand même fallu plus de trois années de torture mentale pour préparer cette rupture. D’autres moyens sont donc nécessaires : la prise de conscience de l’attitude Sauveteuse et surtout le patient déconditionnement…
Pascal Ide
[1] La scène (27) se déroule de 1 h. 47 mn. 10 sec. à 1 h. 53 mn. 00 sec.
La Californienne Amanda Woods (Cameron Diaz), directrice d’une agence de publicité, et l’Anglaise Iris Simpkins (Kate Winslet), rédactrice dans un tabloïd Anglais, ont deux points communs : elles sont célibataires et elles sont déçues par les hommes, la première parce qu’elle vient d’être trompée par son dernier compagnon, la seconde parce que son grand amour, Jasper Bloom (Rufus Sewell), se fiance avec une autre femme – et n’a même pas eu la délicatesse de le lui annoncer. Via le site internet homeexchange.com, ces deux femmes en plein chagrin d’amour qui ne se connaissent pas, décident d’échanger leurs résidences respectives pendant les fêtes de fin d’année. Iris débarque ainsi dans une demeure de rêve à Los Angeles tandis qu’Amanda découvre un ravissant, mais petit cottage dans le Surrey. Elles rêvaient de vacances paisibles, c’est-à-dire loin de la gent masculine, quand surviennent à l’improviste chez Iris, son séduisant frère, Graham Simpkins (Jude Law), et chez Amanda, le moins séduisant mais tout aussi charmant compositeur de musique de films, Miles (Jack Black).