The Fabelmans, biopic et drame américain réalisé et co-écrit par Steven Spielberg, 2022. Avec Michelle Williams, Paul Dano, Mateo Zoryon Francis-DeFord et Gabriel LaBelle.
Thèmes
Cinéma, judaïté, génie.
Rédigée deux mois après avoir vu le film, cette recension pâtira grandement de ses souvenirs pâlis. Mais elle se ressentira surtout de l’intérêt mitigé qui, avec le temps et même après l’écoute de retours enthousiastes, ne cesse de le demeurer. À l’image de la critique qui est aussi vitriolique en Amérique [1] qu’elle est dithyrambique de ce côté de l’Atlantique. Contentons-nous d’aligner quelques regrets et des attraits plus nombreux.
- Je verse trois questions dans la colonne débit.
S’il n’y a pas plus subjectif qu’une émotion et plus subjectiviste que l’évaluation de sa présence, il n’en est plus de même chez ce maître du suspense, donc de la sensation, et de la valeur, donc de sa signature affective, qu’est Spielberg. C’est d’ailleurs pour digérer le choc engendré par la scène de l’accident du train qu’il a besoin de la recréer et de la filmer avec la caméra de son père : en la visualisant à plusieurs reprises, il s’habitue à l’émotion et finit par la métaboliser. Alors, pourquoi cette émotion n’est-elle guère au rendez-vous ? Même si certains se sont sentis bouleversés, par exemple, par la scène créative où, sans jugement, mais sans complicité, Sammy partage à sa mère la découverte de sa relation adultérine avec oncle Benny.
Plus dérangeante, la carence de mention explicite du matériau, qui, dûment métabolisé, donnera lieu à ses plus grands succès qui, pour certains, sont aussi d’authentiques chefs d’œuvre (au premier rang desquels, bien entendu, La liste de Schindler, 1993). Pourquoi, en racontant expressément son autobiographie, celui qui nous a fait tant rêver avec ses fictions n’a-t-il pas voulu montrer comment elles s’amorcent dans sa réalité et l’ont ainsi fait rêver ?
Enfin, et ce n’est pas le moindre grief, pourquoi ce vidéaste couronné d’honneur et saturé de reconnaissance, qui ose mettre en scène avec tant d’empathie sa famille juive, raconte-t-il de manière aussi ironique la religiosité catholique à la limite du spiritualisme de son premier amour ? Certes, il note humblement que les causes de l’échec furent partagés et qu’il a respecté autant qu’il le pouvait le Christ auquel seule croyait sa bien-aimée dans un cadeau qui ne manque pas d’inventivité. Toutefois, pourquoi, avec le recul des décennies et la consolation d’une renommée légitime, n’a-t-il pu raconter avec la même compassion pardonnante ou du moins excusante [2] que pour ses deux parents, cette autre histoire douloureuse que fut son premier chagrin d’amour ? Décidément, seuls le don (la gratitude) et le pardon transforment le ressentiment consternant des Confessions à la Rousseau dans l’enthousiasme vivifiant des Confessions à la saint Augustin !
- Mais attardons-nous davantage sur la colonne crédit.
Quel grand admirateur de Spielberg (et j’en fais partie) ne sera-t-il pas heureux de découvrir cette histoire familiale et cette géographie culturelle ? Il comprendra mieux comment le génie du septième art a su, tel le scribe de l’Écriture, tirer du neuf et de l’ancien de son trésor ; il verra mieux se dessiner la continuité entre le seul écrit fondateur de religion principalement tissé de récits et ce maître de la narration ; il saisira pourquoi il a constamment alterné récits historiques et récits imaginaires ; last but not least, il comprendra plus la raison pour laquelle la thématique de la paternité hante tant sa filmographie (jusqu’au second opus de la saga Jurassik Park…).
J’ai aimé, bien entendu, la ligne claire spielbergienne dont la pédagogie frise parfois le didactisme. Il est ainsi possible de distinguer comme trois moments successifs [3] qui mènent de l’enfant traumatisé par son premier film au jeune cinéaste et qui sont autant d’apprentissages. Le premier, technique, est celui du langage cinématographique (cadrage et montage) qui survient lors de la scène du train miniature. Le deuxième enseignement, narratif, concerne le film comme vecteur d’émotions. Il naît de l’expérience de la projection du secret de famille à une mère qui se trouve confinée dans un réduit sans fenêtre rappelant l’obscurité de la salle de cinéma. S’ébauche ici le troisième apprentissage, éthique, lorsque, découvrant que sa mère ne sera plus jamais la même par la suite, il prend conscience de la responsabilité morale du réalisateur vis-à-vis du pouvoir émotionnel des images ; et il généralisera cette leçon lorsqu’il découvrira que, par son seul découpage d’un film de vacances, il peut profondément changer le regard de toute une école sur une personne. S’il est un moyen de divertissement, le cinéma peut aussi devenir un instrument de manipulation et de subversion.
Plus que tout peut-être, je fus passionné par ce que The Fabelmans donne à voir de la fabrique du génie cinématographique en particulier, mais aussi de celle du génie en général – tant la singularité ici autobiographique, quand elle est honorée au plus près de sa concrétude, porte fractalement en elle le plus universel. Hors la touche impondérable du daïmon, cette fabrique joint quelques facteurs plus repérables : la vie comme laboratoire ; les précoces interrogations qui sont autant de promesses encore séminales ; les expériences aurorales, avec leur lot de faillites désespérantes et de réussites encourageantes ; le long et persévérant entraînement, fastidieux, mais obligé, qui transforme les échecs en essais ; la stimulation directe du mentor, ici l’oncle Boris Podgorny (Judd Hirsch) qui ne détecte si bien chez son neveu Sammy sa créativité filmique que parce qu’il en a d’abord reconnu l’élan intransformé ; la stimulation indirecte, osons-le dire, de la résistance paternelle qui oblige le fils rebelle à surdévelopper une compétence que, sans obstacle, il aurait peut-être laissé partiellement en friche ; la rencontre décisive, mais longuement préparée et donc en rien miraculeuse, avec un maître qui n’est vraiment pas un gourou… Ajoutons, et ce n’est pas le moins important, qu’il n’est point de génie qui ne participe à l’autre figure distinguée par Max Scheler : le héros [4]. Seul celui qui persévère malgré les nombreux obstacles sans dé-missionner, c’est-à-dire sans demeurer inflexiblement fidèle à l’intuition germinale déposée en lui, la fait génialement fructifier.
Je retiens enfin la belle leçon finale de cinéma. Après la rencontre avec John Ford dont il apprend que les seuls plans intéressants ne sont pas centrés sur l’horizon, le jeune réalisateur en herbe dont la réputation dépassera celle du maître, se retrouve dehors, mais inspiré au-dedans par celui-ci. Nous voyons alors la caméra, qui avait d’abord placé l’horizon au milieu de son cadre, se déplacer progressivement pour que cet horizon apparaisse désormais en haut. Une élévation topographique qui est beaucoup plus qu’une ascension esthétique. Et, comment ne pas le relever ?, un acte de gratitude envers le grand cinéaste, fier de son identité irlandaise et catholique, attestant ainsi que la réaction ci-dessus rappelée n’était en rien une durable aversion. Cette leçon de cinéma est également une formidable leçon de vie. Un génie n’introduit dans un nouvel univers que parce qu’il a su lui-même inscrire ses pas dans ceux d’un autre inventeur de monde. Fidélité créatrice et subcréation reconnaissante.
Pascal Ide
[1] Un seul témoignage : « le film a fait aux États-Unis un four monumental tel qu’il fut aussitôt redirigé vers les plateformes » (Jérôme Momcilovic, Cahiers du cinéma, cité par l’entrée de l’encyclopédie en ligne Wikipédia, consultée le 21 avril 2023).
[2] En invoquant par exemple le climat religieux si particulier de la côte californienne.
[3] Je remercie Florian Quittard pour ce séquençage suggestif.
[4] En revanche, combien de génies (et moins de héros) ne sont en rien des saints… Cf. Max Scheler, Le saint, le génie, le héros, trad. Émile Marmy, Lyon, Emmanuel Vitte, 1958.
En 1952, le jeune Samuel « Sammy » Fabelman (Mateo Zoryon Francis-DeFord) se rend avec sa mère, Mitzi (Michelle Williams), et son père, Burt (Paul Dano), au cinéma voir son premier film, Sous le plus grand chapiteau du monde, dont la scène montrant un accident de train le marque particulièrement. La nuit suivant la séance, Sammy demande à ses parents un train électrique en guise de cadeau pour Hanoucca. Il recrée alors la scène de l’accident, qu’il filme avec la caméra de son père. En la visualisant à plusieurs reprises, afin de se remettre de son choc. Sammy découvre alors la joie qu’il à se tenir derrière la caméra, filmant régulièrement ses sœurs.
Son père ayant trouvé un meilleur emploi à Phoenix en Arizona, Sammy et sa famille, accompagné de Bennie Loewy (Seth Rogen), un ami et collègue de Burt, y déménagent. Sammy, désormais adolescent (Gabriel LaBelle), continue à nourrir sa passion pour le cinéma, filmant par exemple avec son groupe de boy-scouts des scènes de western. Toutefois, il peine à convaincre son père qui n’y voit qu’un hobby de le laisser faire du cinéma son métier. Sammy filme également abondamment sa famille et Bennie lors d’un séjour en camping, toutefois interrompu par la mort de la mère de Mitzi, qui laisse cette dernière dévastée. À la demande de son père, et malgré son projet de réaliser d’abord un petit film de guerre, Sammy accepte de réaliser un film racontant les vacances au camping. La famille reçoit le lendemain la visite de Boris (Judd Hirsch), l’oncle de Mitzi. Ce dernier, qui a travaillé dans le cinéma, repère rapidement la passion de Sammy et le prévient qu’il sera amené à être tiraillé entre son amour pour sa famille et sa passion pour le septième art.
Une fois Boris parti, Sammy s’attelle au projet de film de camping, mais en repassant les différentes séquences qu’il a filmées, il met au jour des signes d’une liaison entre Mitzi et Bennie. Traumatisé par cette découverte, mais ans rien dire à sa mère, Sammy adopte alors une attitude froide et insolente à son égard. Après plusieurs semaines de cette attitude, cette dernière perd patience au point de frapper Sammy et le somme de lui expliquer son attitude. Sans rien dire, il lui montre le film, mais promet de n’en rien dire à personne.
Les Fabelman déménagent à nouveau, cette fois-ci en Californie, après que Burt a été embauché chez IBM. Sammy, ayant perdu goût pour le cinéma, revend sa caméra, et croise Bennie au magasin, qui lui en offre une nouvelle. Sammy, dégoûté par l’attitude de Bennie, refuse le cadeau, puis y consent, mais en le payant. En Californie, Sammy peine à s’intégrer à son lycée, malmené en particulier par deux étudiants antisémites, Logan Hall (Sam Rechner) et Chad Thomas (Oakes Fegley), le premier frappant même Sammy après que ce dernier a révélé à sa petite amie que Logan la trompait. Sammy trouve toutefois du réconfort auprès de Monica (Chloe East), qui devient sa petite amie. Entretemps, Mitzie peine à accepter son éloignement avec Bennie : elle va jusqu’à donner son nom à un singe domestique qu’elle a acheté, ce qui contrarie Burt, bien que ce dernier n’ait jamais indiqué qu’il soit au courant de l’infidélité de son épouse.
La tension entre Mitzie et Burt monte alors durant un repas de famille, auquel assiste Monica, et durant lequel Mitzie reproche à Burt de ne pas assez encourager la passion pour le cinéma de Sammy. Celui-ci accepte de filmer le ditch day de l’école, une journée que les étudiants passent à la plage, utilisant une caméra prêtée par le père de Monica. Plus tard, Burt et Mitzie annoncent à leurs enfants qu’ils vont divorcer, Mitzie ayant finalement révélé sa liaison avec Bennie. Sammy se rend au bal de fin d’année avec Monica mais, perturbé par le divorce de ses parents, il lui déclare maladroitement sa flamme en lui demandant de venir avec lui à Hollywood alors que Monica a toujours envisagé d’étudier au Texas. Blessé, elle rompt. Pendant la cérémonie, le film du ditch day est projeté, montrant d’un côté l’athlétique Logan sous un jour particulièrement favorable et de l’autre Chad comme un raté. Furieux de cette fausse image de lui, le premier se fâche contre Sammy, mais, quand il comprend que le film permet à sa petite amie de revenir, il se calme et finit même par le défendre contre le second qui, vexé, s’apprêtait à l’agresser. De retour chez lui, Sammy apprend que Mitzie ne peut renoncer à son amour pour Bennie malgré toute l’affection qu’elle a pour Burt. Sa mère lui demande pardon pour le coup qu’elle lui a donné et le supplie de poursuivre son rêve de faire du cinéma son métier.
Un an plus trad, nous retrouvons Sam vivant désormais avec son père à Los Angeles. Redoublant d’efforts pour se faire une place dans l’industrie d’Hollywood afin d’échapper aux études universitaires qu’il exècre, Sammy reçoit une offre de CBS pour travailler, en tant qu’assistant en bas de l’échelle, sur une série, Papa Schultz. Ayant finalement reçu l’assentiment de son père, Sammy se rend aux studios. Le réalisateur lui offre alors l’occasion d’y rencontrer « le plus grand réalisateur de tous les temps », qui se trouve la porte d’à côté.
En attendant, Sam regarde les affiches de ses films et comprend qu’il s’agit de John Ford (David Lynch). Lors de l’entrevue avec lui, qui ne dure que quelques minutes, celui-ci ne lui donne qu’un conseil, sur le cadrage. En sortant du studio, il ne voit déjà plus le monde de la même manière.