Stranger Things, série télévisée de science-fiction horrifique américaine, produite, scénarisée et réalisée par les frères Duffer (les jumeaux Matt et Ross), diffusée depuis le 15 juillet 2016 sur Netflix. Elle compte à ce jour (19 août 2019) 3 saisons et 25 épisodes. Avec Winona Ryder, David Harbour, Millie Bobby Brown.
Thèmes
Fantastique, surnaturel, courage, amitié.
Comment expliquer le spectaculaire succès de Stranger Things, qui est la série diffusée en streaming la plus regardée dans le monde en 2017 et 2018 [1] ? Je me limiterai à la seule première saison, que je viens de visionner. Les raisons s’échelonnent du plus extérieur au plus intérieur, qui est aussi nécessairement supérieur [2].
Le plus patent est aussi le plus technico-artistique. Si l’intrigue est simple, elle n’en est pas pour autant simpliste. Si le rythme est lent, il est pourtant toujours nourri d’une réelle tension. Si le scénario multiplie les histoires, celles-ci convergent assez vite. Si les allusions ne manquent pas aux classiques de la science-fiction des années 1980, époque où se déroule le film, le drame ne manque toutefois pas d’actualité.
Par ailleurs, les héros sont suffisamment communs, en leur physique et leur psychologie, pour favoriser l’identification, mais ils se révèlent à l’occasion suffisamment vertueux pour que l’action décolle et le spectateur aspire à les suivre. Osons-le dire, loin de la complaisance vulgaire ou érotico-violente des GoT et autres Breaking bad, la série, qui entrelace préadolescents, jeunes et adultes, peut rejoindre toute la famille et réconcilier les générations.
Enfin et surtout, et c’est l’une des richesses inépuisables du cinéma américain, la série bénéficie d’un casting impeccable où les acteurs, jeunes et moins jeunes, sont capables de faire vibrer des émotions profondes et complexes. C’est vrai en particulier du quattuor des héros, deux adultes et deux enfants, deux hommes et deux femmes : Joyce et Jim, Elf et Mike. Et, plus encore, du jeu salué et multirécompensé, subtil et pourtant puissant, sobre et pourtant émouvant, de Millie Bobby Brown : la petite fille au physique quasi-androgyne (comme d’ailleurs, étrangement, son alter ego Mike) sait merveilleusement exprimer angoisse et compassion, détermination et vulnérabilité – au point que, si l’on ne craint pas trop sa disparition au terme de la première saison, l’on se prend en revanche à trembler qu’elle ne grandisse et perde cette fraîcheur et simplicité qui concentrent toute la grâce de l’enfance.
Ces qualités ne seraient rien si elles n’étaient au service d’une histoire profondément humaine. Tous les héros ne sont pas seulement des « bons » qui combattent des « méchants », mais posent ces actes que les Anciens qualifiaient d’honnêtes, non pas au sens étroit où ils étaient justes, probes, mais au sens plus large et plus élevé où ils honorent notre humanité.
Joyce (à qui Winona Ryder prête son jeu tout en finesse et en énergie) est cette mère courage qui, par la puissance de son amour inconditionnel, cherche fidèlement son petit enfant en affrontant, plus encore que les quolibets de la foule innombrable des bien-pensants mal-comprenants, sa propre crainte de sombrer dans la folie.
Bien que ravagé par la mort de sa fillette (mais trop de ressemblances font douter de la réalité de cette mort) et love addict impénitent, Jim, sous des dehors de butor mal léché, s’avère être un fin limier et plus encore un grand cœur prêt à donner sa vie pour que les autres vies soient sauvées.
Mike est autant l’ami qui sait demeurer fidèle à sa parole et demander pardon, que le petit garçon compatissant, et bientôt amoureux, qui héberge, à ses propres dépens, un être sans défense.
Enfin, au courage qui lui fait affronter, grelottant de peur et de solitude, le monstre « somatocéphale » du monde à l’envers, Eleven-Elf joint le généreux décentrement de soi qui lui fait payer gravement de sa personne, jusqu’à, dans la dernière scène, la donner totalement. Non sans avoir appris des autres enfants (mais aussi de Joyce et Jim) qui, à l’inverse des adultes l’ayant manipulée sans état d’âme, la protègent avec un dévouement sans mesure. Aussi la petite fille atteste-t-elle, et toute la première saison avec elle, que celui qui a su recevoir gratuitement, peut à son tour donner gratuitement (cf. Mt 10,8).
Enfin, Stranger Things s’inscrit dans un genre dont on sait combien il est aujourd’hui répandu et à succès : la science-fiction, ou plutôt cet hybride nouveau et innovant qui oscille sur la frontière séparant l’anticipation et le fantastique. En effet, comme tant d’autres, la série hésite entre deux interprétations bien codifiées : l’explication caractéristique de la SF (en l’occurrence, le scénario ultra-arpenté des politiciens obsédés par les « rouges » en accointance avec des chercheurs sans scrupule, ici dopés de la pire trahison qui soit : le père indigne livrant sa fille à la pâture de l’expérimentation au nom du bien commun) ; l’imagination caractéristique de la fantasy (selon la métaphore pédagogique de la puce et l’acrobate égrenée au chapitre 5, l’héroïne et bientôt ses amis et protecteurs, évoluent entre notre monde et le Monde à l’envers – The Upside Down –). Les allusions multipliées aux univers fantastiques de Donjons et Dragons, du Seigneur des Anneaux et des divers Marvels confirment, s’il y avait besoin, la confusion entretenue des genres.
Pour mieux comprendre cette confusion, il faudrait élargir le propos à la liste des cinquante films à succès mondial d’aujourd’hui – ce que je me réserve de faire dans une prochaine fiche. Contentons-nous ici d’émettre l’hypothèse suivante : les deux F de la (Science-)Fiction et du Fantastique convergent vers une catégorie commune que l’on qualifie volontiers aujourd’hui de « surnaturel ». Assurément, cet adjectif ne doit pas être compris dans le sens technique que lui a donné la théologie : en plein, la divinisation, c’est-à-dire la participation « à la nature divine » (2 P 1,4) ou à la filiation divine (cf. Jn 1,12) ; en creux, le don au-delà du premier don qu’est la nature, c’est-à-dire la création. Il doit s’interpréter comme tout ce qui déborde le plan empirique, autrement dit comme synonyme de méta-physique, au sens le plus étymologique des termes. Or, si ces films et séries – auxquels il faut ajouter les multiples romans-sagas qui surfent sur la vague Seigneur des Anneaux (depuis que l’épopée de Tolkien fut popularisée par le film de Jackson) – plaisent tant, c’est que, loin de créer un besoin comme sait si bien le faire la société d’hyperconsommation, ils se nourrissent inconsciemment du plus profond de nos besoins-désirs : le desiderium naturale (sed inefficax) videndi Deum, « le besoin naturel (mais inefficace) de voir Dieu ».
Une dernière comparaison historiquement signifiante. Quand est apparu le roman fantastique, type Lovecraft – celui qui brouille les frontières du réel et de l’irréel, de la vie et de la mort, de l’humain et du non-humain (animal, végétal, minéral), du bien et du mal, etc. – ? Lorsque le scientisme positiviste a exclu la religion comme un stade infantile à dépasser. Quand le métapsychique s’est-il mis à proliférer sous sa forme la plus sauvage, à savoir l’ésotérisme occulte ? Lorsque, dans le même séquençage historique méprisant, Auguste Comte a réduit la métaphysique à une étape provisoire de la pensée. Les fines études iconoclastes de Philippe Muray sur le xixe siècle si fier de sa maîtrise technoscientifique l’ont établi : chassez le surnaturel, il revient au galop ; expulsez-le par la porte, il revient par la fenêtre. Ou plutôt, comme le refoulé, il revient de manière anarchique et incontrôlée.
Ainsi, notre société, en particulier les jeunes générations, vient s’abreuver à la source de ce « surnaturel » désinstitutionnalisé que propose le cinéma, lorsqu’on a asséché (ou déclaré asséchées) les sources de la vraie vie. Alors que le matérialisme triomphant affirme que l’homme est un animal comme les autres, ou plutôt pire que les autres, que le cerveau secrète la pensée comme le foie la bile, donc que notre existence sombre dans le néant avec notre dernier souffle, la vie – non pas la vie vécue, mais la vie vivante, cette action, dont Maurice Blondel nous montre qu’elle en sait plus que toute pensée –, elle, si nous savons la déchiffrer, nous apprend exactement le contraire, dans cette recherche effrénée d’apparentes évasions, qui sont en réalité d’authentiques aspirations à un au-delà. « L’homme passe l’homme », disait Pascal.
Et que l’on n’aille pas interpréter la relecture ici proposée comme une déconstruction ou, pire, une récupération, du fantastique, médiateur transitoire et malhabile de notre besoin viscéral de transcendance. Les internautes que je remercie pour leur fidélité à ce site connaissent assez mon tropisme pour les deux genres si créatifs qui aujourd’hui s’anastomosent. Surtout, le cheminement à bien des égards exemplaire de C.S. Lewis – parmi tant d’autres – atteste que la conversion d’un philomythe (un amoureux des mythes) le transforme en mythopoïète (en auteur de mythes). Le Créateur divin n’est pas jaloux des subcréateurs humains ! Il a lui-même fait l’homme à son image (cf. Gn 1,26-28) en le dotant de cette fantasy qui nous réjouit tant…
Pascal Ide
[1] « ‘Stranger Things’ Is the Most Popular Streaming Show in the World », Observer, 27 février 2018 ; « How did Stranger Things become Netflix’s biggest show? », Radio Times ; Brian Barrett, « How Netflix Made ‘Stranger Things’ a Global Phenomenon », Wired, 23 octobre 2017. Tous trois cités dans l’article francophone de Wikipédia, « Stranger Things », consulté le 19 août 2019.
[2] Cette graduation ternaire est souvent convoquée dans ces critiques. Rappelons qu’elle emprunte autant à saint Augustin (les trois moments extérieur, puis intérieur, enfin supérieur) qu’à Kierkegaard (stades esthétique, éthique et religieux).
Le 6 novembre 1983, à Hawkins dans l’État de l’Indiana, un scientifique terrifié tente de s’échapper d’un laboratoire du Département de l’énergie (DoE) ; mais il est rattrapé par une créature aussi puissante qu’inquiétante, que nous ne pouvons distinguer. Plus tard, un garçon de 12 ans, Will Byers (Noah Schnapp) achève une longue partie de Donjons et Dragons avec ses trois amis – Mike Wheeler (Finn Wolfhard), jeune frère de Nancy (Natalia Dyer), Dustin Henderson (Gaten Matarazzo) et Lucas Sinclair (Caleb McLaughlin) –. En rentrant chez lui dans la nuit, Will se fait attaquer par une créature – qui s’avèrera être le double du Démogorgon du jeu Donjons et Dragons.
Le lendemain, une jeune fille (Millie Bobby Brown) aux cheveux rasés, avec pour seul signe distinctif un tatouage montrant les chiffres 011 sur l’avant-bras, apparaît près d’un restaurant de Hawkins. Le gérant et cuisinier décide de s’occuper d’elle avant d’appeler les services sociaux. Mais il se fait tuer par une équipe venant récupérer la jeune fille, qui, elle, s’échappe, non sans avoir, semble-t-il, réussi à neutraliser deux hommes armés… Le shérif Jim Hopper (David Harbour), chef de la police de Hawkins, se charge sans entrain de rechercher Will et retrouve sa bicyclette dans la forêt.
Face à l’inertie et l’inefficacité des recherches locales, Lucas, Mike et Dustin sortent dans la nuit pluvieuse rechercher leur ami et trouvent la jeune fille, qu’ils vont appeler « Onze » du fait de son tatouage. Ils la conduisent chez Mike et décident de la cacher dans le sous-sol. Joyce (Winona Ryder), la mère de Will, reçoit un mystérieux appel téléphonique où elle jure avoir entendu son fils avant qu’un court-circuit ne grille le combiné. Le lendemain, alors que Joyce part faire des photocopies de l’avis de recherche, des scientifiques fouillent la maison des Byers et repèrent une substance coulant des murs. Mike fait l’école buissonnière pour rester avec la jeune fille, qu’il surnomme de manière moins anonyme « Elfe ». C’est alors qu’elle reconnait Will sur une photo, signifiant ainsi son lien avec la mystérieuse disparition. Quand Lucas et Dustin l’apprennent, ils veulent prévenir les adultes de la présence de Onze. Celle-ci devient alors soudain très angoissée et les en dissuade en montrant ses pouvoirs télékinésiques.
Le trio n’est qu’au début de ses surprises. De plus en plus intrigué et auto-impliqué, Jim Hopper va être amené à enquêter sur le projet controversé MKULTRA au Laboratoire national de Hawkins du DoE. Ne serait-il pas la cause de l’apparition de ces phénomènes « surnaturels » ?