Stillwater, drame américain de Tom McCarthy, 2021. En partie inspiré par l’histoire d’Amanda Knox, une Américaine accusée du Meurtre de Meredith Kercher en Italie en 2007. Avec Matt Damon, Abigail Breslin, Camille Cottin.
Thèmes
Paternité, rédemption, choc des cultures.
Plus que d’être un thriller ou une chronique sur le choc des cultures, le nouveau film du réalisateur de Spotlight (2015) est un drame intérieur.
Comme film d’action, Stillwater n’est ni bien construit (par exemple, nous ne pourrons que tenter de deviner ce que Virginie savait et ce qu’Allison a fait), ni bien mené (par exemple, nous n’apprendrons pas ce qu’Akim est devenu).
La chronique sociale et culturelle n’est, à mon sens, guère mieux réussie [1]. Avec une bonne intention fort louable, le cinéaste a manifestement cherché à ne pas caricaturer la rencontre du mentalisme français, entre pessimisme et moralisme, et du volontarisme américain, entre triomphalisme et mauvaise conscience. Mais Bill demeure tout de même un roughneck bourru et bourrin, un ardent défenseur des armes à feu qui n’a pas voté Trump simplement parce qu’il a un casier judiciaire et, fait à mon sens encore plus significatif, n’a pas appris un mot de français après avoir passé plus d’un semestre sur notre territoire. De son côté, Virginie est une comédienne de théâtre avant-gardiste prônant la vérité qui jaillit de l’improvisation (pour un États-unien, l’équivalent du french film, c’est-à-dire le film « où il ne se passe rien » !), évidemment gauchiste, évidemment mère célibataire, dont la philosophie désastreuse est celle de l’anti-vérité. La cité phocéenne elle-même ne va pas sans caricature, dialectisée entre calanques et quartier nord, riches et pauvres, caucasiens et arabes.
Demeure, ce qui est la plus belle surprise, l’évolution profonde de celui dont on s’attendrait à ce que, étant le plus conservateur, il demeure le plus identifique à lui-même. Le mot final l’atteste. Sobre, comme il se doit. À sa fille qui, sécurisée après ses longues années d’inquiétude carcérale, se dit heureuse de ce que l’Amérique n’ait pas changé (« Tout est pareil »), Bill répond à l’opposé : « Tout me semble différent ».
Sa métamorphose intérieure a été précédée par une série de changements, et pas des moindres, comme l’arrêt de l’alcool. Et nous voyons le colérique devenir patient (il consent à demeurer de longs mois en France), l’homme du contrôle (il ne fait appel ni à la police ni à un détective privé) apprendre la démaîtrise (il épouse le rythme de sa fille qui refuse de le voir pendant un quadrimestre, alors qu’elle l’avait prié de demeurer en France), l’Américain prendre racine en Europe, le violent (qui assomme, enlève et séquestre un prétendu coupable) se mettre à la douceur du rythme marseillais, le consommateur de burger s’initier à la cuisine française, l’homme des écrans assister à un improbable plateau théâtral, le taiseux devenir plus loquace sans devenir éloquent. Mais surtout, l’homme blessé replié sur sa souffrance se transforme en un père donné à l’autre ; l’homme des trous consent à se laisser remplir par l’affection d’une petite fille désarmée en quête de figure paternelle ; le père manquant vient réparer ses erreurs passées et, en donnant vie à sa fille, donner, par surcroît, du sens à la sienne.
Or, cette transfiguration s’opère grâce à une triple médiation qui déploie en Bill une triple relation. La première est celle de Virginie qui réveille sa sensibilité d’homme épousable, certes par l’amour-attrait, mais plus encore par l’amour-don (De ce point de vue, le cinéma français a encore beaucoup à apprendre de la discrétion, voire de la délicatesse avec laquelle le sentiment amoureux est évoqué et l’intimité convoquée). De son côté, Maya, admirablement interprétée par Lilou Siauvaud, déplie son cœur de père, tissant douceur et fermeté, complicité et juste distance. Touchante scène où le trio se retrouve, étroitement en(tre)lacé, dansant sur un vieux tube. Enfin, Dieu réapprend à Bill la filialité. En effet, si je me suis réjoui de le voir, dès la première scène, prier le Christ avec ferveur et authenticité, la répétition à chaque repas de la même prière m’a fait craindre que le cinéaste la réduise à un simple trait sociologique, faisant système avec son trumpisme supposé. Aussi est-il heureux de voir, en pleine salle d’attente, après la tentative de suicide d’Allison, Bill tomber à genoux et supplier Dieu, dans un abandon bouleversant : suppliant alors que tout semble perdu pour que tout soit sauvé, l’homme de la religion s’avère être un homme de foi, celui qui s’imposait de prier jusqu’à l’imposer à son entourage, repose sur le cœur du Père.
« Stillwater » est le nom inscrit sur le bijou qui, au terme, révèlera au justicier devenu juste la vérité que sa fille a vainement cherché à lui cacher et se cacher. Plus encore, il est ce nom de ville inconnu de l’Oklahoma qui est la métonymie du choc des cultures (la première réalité marseillaise que Bill découvrira de son bateau sera les docks). Surtout, le titre du film est la métaphore de la douceur (associé à water, still ne signifie-t-il pas « immobile », « dormante », « silencieuse » et finalement « tranquille » ?) enfin conquise par le héros et que symbolise le double bain, médicinal et final, dans l’eau (water) des calanques azurées et miroitantes ?
Pascal Ide
[1] Sur cette difficulté à choisir entre chronique sociale à la française et western moderne, cf., par exemple, Yal Sadat, Cahiers du Cinéma, 779 (2021), p. 48.
Bill Baker (Matt Damon) est un ancien foreur de pétrole originaire de la ville américaine de Stillwater, en Oklahoma. Il vit de petits boulots depuis son licenciement. Comme il le fait depuis cinq années, il se rend à Marseille pour y retrouver sa fille Allison (Abigail Breslin). Cette dernière a été condamnée à neuf années de prison pour avoir poignardé Lina, sa petite amie, et est incarcérée à la prison des Baumettes. Toutefois, elle jure ne pas avoir commis ce meurtre. Seul et ne parlant pas un mot de français, l’Américain rencontre par hasard dans un hôtel Virginie (Camille Cottin), une jeune comédienne de théâtre et mère célibataire installée à Marseille depuis peu. Bill se lie particulièrement d’amitié avec la fille de cette dernière, Maya (Lilou Siauvaud). Avec l’aide de Virginie, va-t-il pouvoir retrouver le mystérieux jeune homme, Akim (Idir Azougli) présent le jour du meurtre ? A-t-il raison de mener sa propre enquête, contre l’avis de l’avocat de sa fille, maître Leparq (Anne Le Ny), et surtout à l’insu de celle-ci ? Mais est-il si certain que sa fille soit innocente ?