Snowpiercer, série télévisée dystopique américaine de Josh Friedman et Graeme Manson, diffusée depuis le 17 mai 2020 sur le réseau TNT et depuis le 25 mai 2020, pour les pays francophones, sur Netflix. Adapté de la bande dessinée française Le Transperceneige de Jacques Lob et Jean-Marc Rochette, 1982, et du film coréen éponyme de Bong Joon-ho, 2013. Avec Jennifer Connelly, Daveed Diggs.
Thèmes
Suspense.
Dans le monde toujours plus créatif et réactif de la science-fiction post-apocalyptique, la BD et le film Snowpiercer ont effectué une percée novatrice. Il était donc vraisemblable, voire commercialement inévitable, qu’une série s’en empare et surfe sur cet imaginaire dystopique. Mais, pour hériter de la réussite du papier et des salles obscures, encore faut-il que soient respectés les critères qui caractérisent toute franchise. Isolons-en quatre.
Les séries ont le choix entre deux rythmes : rapide, multipliant les péripéties, comme dans 24 heures chrono ou Arrow ; lent, multipliant les plans esthétiques, comme dans The Handmaid’s Tale ou Moloch. L’avantage du premier est de relancer constamment et l’exigence majeure la cohérence du scénario face à la multiplicité des scénaristes. L’intérêt de l’option alternative est d’approfondir l’intention et son inconvénient de négliger l’attention. Imitant le film au plus près, Le Transperceneige a décidé pour la version dopée à l’adrénaline. Ce qui nous vaut de solides moments de suspense, trouvant leur sommet dans les épisodes 8 et 9, lorsque Melanie devient l’objet de la haine générale au point d’être condamnée à mort. Néanmoins, une fois que notre wonderwoman est sauvée, la course en avant de l’intrigue, qui n’est pas moins véloce que celle du train, se paie d’une amnésie totale du traumatisme.
À l’instar du cinéma (surtout lorsqu’il est d’action), le succès d’une série provient du savant dosage de spectaculaire et de suspense – sans oublier que, selon la distinction pascalienne des ordres, le premier appartient à l’ordre des corps et le second à l’ordre de l’esprit. Ainsi que nous l’avons souvent vu, la réussite s’affaiblit quand les rebondissements sont plus impressionnants que les suspenses ne sont palpitants. En effet, les premiers proviennent d’événements inattendus et les seconds de tensions connues. Or, souvent à notre insu, la gratification est proportionnelle à l’unité profonde de l’histoire.
Selon ce deuxième critère, la série laisse mi figue, mi raisin. En effet, elle construit de belles intrigues, par exemple, entre les deux femmes qu’aime le héros ou les deux hommes que pourrait aimer l’héroïne. Malheureusement, trop vite, l’une des rivales disparaît et le scénario écarte de manière trop prédictible Bennett pour laisser place à Layton. Insistons sur ce dernier coup de théâtre qui n’est qu’un coup de tête inexplicable (pourquoi l’ingénieur déciderait-il soudain seul, alors qu’il a toujours fait confiance à Melanie ?) préparant un coup de cœur encore plus inconcevable (pourquoi une femme aussi volontaire et proactive lâcherait-elle un homme qui jusque là ne l’a jamais déçu ?).
Un troisième critère réside dans la profondeur des personnages. De ce point de vue, la grande réussite du film réside incontestablement dans la création de ce Wilford au féminin qu’est Melanie Cavill. Certes, l’on regrettera que, logique des péripéties très rythmées oblige, son identité si joliment inventée soit si brutalement éventée dès la fin du premier épisode. Que cette révélation ouvre une autre énigme, celle de la disparition du concepteur, se paie tout de même au prix fort : le mystère du personnage.
Mais admettons que nous sommes invités à passer de l’ontologique (qui est-elle ?) à l’éthique (est-elle bonne ?). De fait, la figure de Melanie suscite l’intérêt, voire l’attachement, au point que l’on redoute réellement sa possible disparition – à l’instar de tant d’autres personnages clés. En effet, la responsable du train est riche d’une complexité qui rassemble de fécondes polarités : calcul glacé et brûlante sensibilité, dureté et vulnérabilité, raison et passion, seule mais pas isolée, très féminine et très masculine. Or, la plus grande réussite est indubitablement que cette prolixité personnelle est à l’image de celle du monde pluriel de Snowpiercer : très froid au dehors et très chaud au dedans. La microsociété du train est aussi sombre, laid et mouvant que le macromonde de l’environnement est immaculé, splendide et immuable.
Malheureusement, il n’en est pas de même des autres personnages. Pourtant, Andre Layton qui est un déclassé bénéficie de l’aura marxienne donc messianique du sauveur pur du péché originel d’exploitation de l’homme par l’homme. Mais les scénaristes ne se sont rendus compte de sa psychologie manichéenne qu’au tout dernier épisode, en lui inventant une mémoire coupable d’une psychologie fracassée par un drame de conscience insoluble. Intériorisant enfin la dialectique, l’ex-policier auréolé de son appartenance sociale d’aliénés, se retrouve enfin placé au même rang moral que la machiavélique aliénante. Seul grise le gris qui brise (la polarité blanc-noir).
L’autre ratage majeur de la trame narrative concerne l’ombre machiavélique de Melanie qu’est Ruth Wardell : en fusion, elle ne pouvait que rentrer dans la fission. Or, sans nulle continuité, elle dévoile au terme une fragilité incompatible avec son profil initialement pervers.
Demeure un dernier critère : la construction d’un univers cohérent autant qu’habité. Ici encore, le spectateur demeure aussi mitigé que l’inspiration. Il est heureux que le canevas se refuse à l’opposition binaire des maîtres et des esclaves, et donc nous libère d’une dialectique irréaliste aux ressorts trop simplistes et trop devinables : la soumission ou la révolution. Mais il n’a pas suffisamment exploité la riche complexité de la distribution quadripartite des classes en les dotant d’une identité repérable qui différencierait les trois premières au même titre que la dernière. De même, la folle multiplicité des mille et un wagons recelait une secrète et profuse ressource qui aurait pu susciter les rebondissements les plus variés. Voire, qu’il est dommage que chaque épisode n’ait été l’occasion de nous faire découvrir le micro-univers d’une nouvelle voiture, tout en approfondissant une unique (en)quête dont l’avancée heuristique aurait été signifiée par l’avanement topologique.
Surtout, qu’il est regrettable que la symbolique très parlante de ce train interminable ait été si peu élaborée, voire quasi-ignorée. En effet, le fléchage du parcours convoque le foisonnement des discours. Ainsi, l’étroitesse du rail qui comprime l’espace survalorise le temps : la linéarité de ces wagons successifs suggère l’irréversibilité et oblige à la progressivité. Voire, en faisant peu à peu passer de l’inférieur au supérieur, elle suggère une montée sociale, quitte à en déconstruire l’illusion par un retour qui, lui aurait, été une ascension morale. De même, la marche forcée de l’arrière vers l’avant fait transiter de la mort à la vie, de la passivité maximale à l’activité optimale. Or, ces symboliques et d’autres que des jeux successifs auraient par exemple permis de valoriser se retrouvent atténuées par une transparence trop synchronique de chaque classe, voire sont annulées par une impossible traversée où tel protagoniste franchit ses seize kilomètres de longueur en l’espace d’une journée.
Enfin, si l’environnement glacé à la beauté glaçante est heureusement intériorisé par la trouvaille macabre des punitions qui lui emprutent leur malice, il est si monotone, si inexplicité, si anhistorique qu’il est réduit à devenir un réservoir de retournements pour scénarios en manque de ricochets, tel, au terme, ce surgissement impromptu de rescapés que l’on pourrait multiplier à l’infini, ou plutôt à l’indéfini, que Hegel identifiait justement au mauvais infini…
Pascal Ide
Sept ans après que le monde est devenu une vaste étendue glacée, les survivants ont trouvé refuge dans un train en perpétuel mouvement. Composé de 1 001 wagons, le transperceneige fait le tour du monde à une vitesse qui lui permet de conserver son énergie. Il est dirigé par son concepteur, Joseph Wilford (Sean Bean : en sa voix pour la saison 1, et en sa personne pour la saison 2), qui délègue son pouvoir à Melanie Cavill (Jennifer Connelly). Celle-ci est secondée, à la machine, par le chaleureux ingénieur Bennett Knox (Iddo Goldberg) et, au train, par la froide Ruth Wardell (Alison Wright).
Le train est hiérarchisé, autant socialement que topographiquement, en trois classes, de moins en moins privilégiées, et les « sans classe » qui se sont introduits sans avoir de ticket. Aux problèmes d’injustice sociale et de politique interne, se joint, quand le film commence, un crime très inquiétant : un corps a été retrouvé émasculé dans la troisième classe du train. Melanie décide de faire appel à l’ancien policier et sans-ticket Andre Layton (Daveed Diggs) pour enquêter. Mais quand celui-ci va découvrir le secret de Melanie et deviner celui de son mentor, Joseph Wilford, comment va-t-elle réagir ? Le train pourra-t-il continuer à tourner en rond ?