Shazam !, fantastique américain de super-héros de David F. Sandberg, 2019. Adapté de la bande dessinée DC Comics de C. C. Beck et Bill Parker, créateur du personnage de Shazam (nommé Captain Marvel jusqu’en 2011). Avec Zachary Levi, Asher Angel, Jack Dylan Grazer, Mark Strong, Djimon Hounsou.
Thèmes
Guérison, péchés capitaux, amour, liberté.
De prime abord léger, voire adolescent, Shazam ! s’avère être un film familial, qui ne manque pas de gravité ni d’intérêt.
Le septième film de l’univers cinématographique DC s’inscrit dans la tradition la plus classique, presque surannée, des films de super-héros. Évitant le monde ingénument manichéen de Superman, autant que l’univers dramatique, voire parfois tragique des Batman (ah, la trilogie Nolan !), il ne sombre pas pour autant dans l’autodérision vulgaire des Deadpool, ni dans le cynisme désabusé de Hancock. Plus encore, il sait être moral sans être moralisant, enseigner tout en distrayant, être sérieux sans se prendre au sérieux.
Shazam ! surmonte aussi un autre paradoxe : désuet au point de paraître obsolète, il innove. Certes, en renouvelant du dehors les personnages : le super-sorcier, de couleur, n’est même pas un Afro-américain, comme dans Black Panther, et l’un des enfants, d’origine asiatique – une première dans l’univers DC. Mais, beaucoup plus que ces légers déplacements formels, le changement concerne le contenu, tant du côté des héros que du côté du « Super-vilain ».
Chaque personnage second, plus que secondaire, est traité avec finesse et délicatesse. Séparément et tous ensemble, ils accomplissent un bout de chemin pour, au final, former une famille.
L’attachante Darla qui sature l’univers sonore par sa parole et ses conseils, et l’univers non verbal par ses câlins fusionnels, découvrira la fécondité du silence et la fierté du secret gardé – grâce à l’heureuse parole de Billy qui, sans lui faire la leçon, lui ouvre la voie de la maturation : « Une véritable sœur garde les secrets ».
Freddy, d’abord muré dans son monologue dépressif, victimaire et surinformé, va mettre sa science au service de Shazam et finalement découvrir l’amitié tant désirée, au-delà de la séduction ou de la vengeance (astucieux compromis entre miséricorde et justice, lorsqu’il sauve ses deux tortionnaires par la même méthode que celle qu’ils avaient utilisée pour l’humilier, le slip-valise…).
Voire, leurs actions s’engrènent : Pedro, replié dans son m(a)utisme taiseux et son surpoids douloureux s’ouvre à l’autre en remarquant le cahier de Billy ; Eugene met ses talents de geek au service de la recherche de sa mère ; Mary fait le rapprochement, reconnaît ainsi l’identité du héros, et donc son identification avec le super-héros. Ce faisant, par surabondance, l’adolescente tranche le dilemme qui l’agite depuis la première rencontre (ou rentrer en faculté et quitter la maison ou rester avec les siens), écarte le conseil dévié de Shazam projetant sur elle la souffrance de son abandon, et choisit (enseignement peu commun, à rebours du soupçon freudien) l’enracinement familial contre le déracinement estudiantin.
D’isolés, bien qu’habitant sous un même toit, les six enfants en placement vont progressivement se retrouver non seulement dans une même mission, celle que leur confère leur identité de super-héros, mais dans une même famille lors de l’émouvante scène finale, celle à laquelle aspire leur identité de M. Tout-le-monde. Dès lors, les deux identités, extraordinaire et quotidienne, elles-mêmes vont converger : « C’est bien beau le pouvoir, mais à quoi ça sert, si ce n’est pas pour le partager ? »
C’est plus encore du côté du combat contre le méchant que miroitent les trouvailles.
En effet, le Dr Thaddeus Bodog Sivana emploie son démon Avidité pour se venger du désamour de son père indigne. Non sans rigueur : ce père cupide n’est-il pas lui-même la copie d’un grand-père trop sérieux qui déteste les jouets et encore plus les jeux de hasard – la Magic 8-Ball –, lui qui a édifié toute sa vie sur l’empire financier – sans anima ni affection – dont le fils a probablement hérité.
Le spectateur s’attend alors à un remake de Seven (David Fincher, 1995) en mode fantastico-comique, d’autant que chaque péché capital s’incarne en un démon, ce qui correspond à l’intuition des Pères du désert [1]. Mais cette version adolescente aurait été décalée par rapport au genre qui obéit à la grande loi du comique : « corriger les mœurs en riant : castigat ridendo mores ».
Demeure alors un manque de cohérence dans le scénario : pourquoi nous montrer une adéquation si ajustée entre le premier démon et la première vengeance, pour nous en priver par la suite ? [2] Mais il est largement compensé par une belle invention du combat final qui, là, en toute cohésion, renvoie au début de l’intrigue. En effet, Billy débusque le dernier démon, que Sivana dissimule soigneusement par-devers lui, et l’oblige à en sortir pour rendre son possesseur-possédé enfin vulnérable : l’Envie. Or, celle-ci s’explique par son histoire personnelle : le méchant mal-aimant est d’abord un mal-aimé rejeté par son père. Mais qu’il soit excusable ne signifie pas qu’il ne soit en rien accusable. Thaddeus est aussi un jaloux qui n’a cessé de se comparer à son grand frère. Voilà pourquoi c’est d’abord celui-ci, avant le père, qui fait les frais de l’amère vengeance meurtrière. Le poison de la comparaison s’est ensuite étendu à l’élu lui-même. Ainsi, dès qu’il apprend qu’un rival pourrait avoir plus de pouvoir que lui, il n’a de cesse pas seulement de le conquérir, mais d’en détruire le porteur. Au masculin, la question rituelle de la belle-mère de Blanche-Neige devient : « Miroir, dis-moi qui est le plus puissant ? »
Ainsi nous est livrée, discrètement mais limpidement, une double leçon de vie : l’homme n’est jamais à ce point pécheur qu’une blessure, dont nul ne peut sonder la profondeur, ne puisse en partie alléger sa culpabilité ; mais il n’est jamais à ce point blessé que nous puissions déclarer du dehors que sa responsabilité s’en trouve annulée. Voilà pourquoi, au terme, celui qui, telle la Madeleine, se trouve libéré de ses sept démons, non seulement est justement châtié du mal commis, mais apparaît à nouveau tenté : il n’a pas profité de sa libération pour renoncer à la violence – et sa racine intime qu’est la jalousie consentie. Incarcéré dans la prison physique, il l’est plus encore – doublement, disait Desmond Tutu dans le remarquable film Forgiven (Roland Joffé, 2018) – dans la prison intérieure de son péché.
L’on serait enfin en droit d’interroger la lucidité de Billy : où trouve-t-il la ressouce pour poser le diagnostic déterminant d’Envie, lui qui, jusqu’à l’affrontement final, n’a jamais fait preuve ni d’une intelligence exceptionnelle, ni d’une empathie démesurée. L’argument mathématique qu’il invoque n’est ni convaincant ni suffisant. Ne serait-il pas plutôt lui aussi et en miroir, rongé par une secrète jalousie qui lui permet, par osmose autant que par anastomose, de comprendre son pire ennemi ? C’est ce que révèle la scène peut-être la plus belle, en tout cas, la plus décisive et peut-être la plus ajustée, du film : la rencontre avec sa mère. Comment, de prime abord, ne pas regretter que n’ait pas alors lieu la reconnaissance, autant guérissante pour Billy que cathartique pour le spectateur ? Voire, on s’étonnera de ce que cette scène soit celle qui fait basculer le jeune homme et, avec lui, toute l’histoire. En effet, celui qui, jusque là, n’avait utilisé ses super-pouvoirs que pour des piètres gratifications financières et narcissiques, et ne faisait que fuir son adversaire, décide de servir généreusement les membres de sa famille et d’affronter courageusement son ennemi.
Que s’est-il donc passé ? D’abord du côté de la mère. Comment une femme qui a abandonné son enfant ne serait-elle pas rongée par la culpabilité et la culpabilité la plus destructrice qui soit puisqu’elle touche sa vocation la plus radicale, la maternité ? Dès lors, brutalement confrontée à la cause de son plus grave tourment, comment pourrait-elle l’accueillir paisiblement ? Comment ce remords secret qui corrode son cœur jusqu’à envahir son visage prématurément vieilli (elle n’a que 31 ans), ne se transformerait-il pas en haine de soi ? En « choisissant » un homme manifestement violent, elle se fait payer la violence qu’elle a elle-même indûment fait subir à son enfant.
Ensuite du côté de Billy. Dans cette rencontre éprouvante, le jeune adolescent prend soudain conscience que la réalité est en décalage total avec son rêve de toujours : des retrouvailles libérantes et enchanteresses, une famille aimante et pacifiante. Si Sivana se compare à son frère et à Billy, celui-ci compare sa vie à une famille idéalisée qu’il voyait partout, sauf chez lui. Bref, il est rongé par une envie tout aussi délétère. Voilà pourquoi il a pu si aisément identifier chez son adversaire le monstre qui le mine depuis toujours.
Alors, pourquoi le démon de l’envie n’a-t-il pas accompli son œuvre suicidaire autant qu’homicide comme il l’a fait en Sivana ? Loin de retourner la violence contre sa mère abandonnante, Billy l’abandonnique puise dans une ressource inattendue. Il donne la boussole qu’il gardait précieusement depuis la rupture cataclysmique à la fête foraine, en l’associant à une parole d’espérance : « Tu en as plus besoin que moi ». Cet unique geste symbolique signifie tout à la fois la sortie de son rêve d’enfant (qui est identiquement son entrée inaugurale dans l’âge adulte) et sa compassion pardonnante pour celle qui demeure sa mère. Inattendu, oui, mais pas impossible ! Une nouvelle fois, le film offre, sans en avoir l’air, une formidable leçon de vie : mille conditionnements ne font pas un déterminisme. Cette résilience de celui qui a cessé de subir, pour enfin décider (« Je ne veux pas être un mini-héros ») fait écho à la parole du Grand Sorcier : « Choisis », c’est-à-dire exerce pleinement ta liberté.
Pascal Ide
[1] Celui à qui nous devons la première liste systématisée, Évagre le Pontique, parlait de ce qui deviendra les péchés capitaux en termes de pensées et y voyait l’action d’un esprit démoniaque spécialisé (cf. Traité pratique ou Le Moine, éd. et trad. Antoine et Claire Guillaumont, coll. « Sources chrétiennes », n° 170 et 171, Paris, Le Cerf, 1971, 2 volumes. Sur les pensées, éd. et trad. Paul Géhin, Antoine et Claire Guillaumont, même coll., n° 438, 1998).
[2] À moins que les démons pétrifiés ne soient gardés en réservés pour le prochain opus de la saga, déjà pré-annoncé dans les scènes post-génériques.
En 1974, dans l’État de New York, le jeune Thaddeus Bodog Sivana joue avec sa Magic 8-Ball, à l’arrière d’une voiture conduite par son père. Méprisé et dévalorisé par son frère comme par son père, il se retrouve soudain transporté par magie dans une grotte. Il y est accueilli par le grand sorcier (Djimon Hounsou), protecteur des Royaumes, qui, très vieux, cherche à transmettre son pouvoir à un successeur à l’esprit fort et au cœur pur. Pour cela, il lui faut maîtriser les sept péchés capitaux, emprisonnés dans la grotte, alors que lui-même vieillit et que l’ancien Conseil des Sages a disparu. Mais Thaddeus échoue au test. Se retrouvant dans la voiture, il cause, par son excitation, un accident de voiture dont son père sort gravement blessé.
De nos jours à Philadelphie, William « Billy » Batson (Asher Angel), âgé de 14 ans, ne cesse de fuguer de toutes les familles d’accueil dans lesquelles il est placé. Une dizaine d’années plus tôt, sa mère (Caroline Palmer) et lui (David Kohlsmith) ont été séparés lors d’une fête foraine et Billy cherche de toutes manières à la retrouver. Après une dernière tentative pour retrouver sa mère qui se solde en échec, il est placé dans une nouvelle famille dont les parents, Victor (Cooper Andrews) et Rosa Vasquez (Marta Milans), ont eux-mêmes été placés et où sont hébergés cinq autres enfants, avec qui il va au collège local : Frederick « Freddy » Freeman (Jack Dylan Grazer), un enfant handicapé et spécialiste des super-héros ; Darla Dudley (Faithe Herman), une petite fille très affectueuse ; Eugene Choi (Ian Chen), un asiatique addict de jeux vidéo ; Mary Bromfield (Grace Fulton), qui rêve de quitter la maison pour partir en Faculté ; Pedro Peña (Jovan Armand), un enfant boulimique et mutique. Dr. Thaddeus Bodog Sivana maintenant adulte (Mark Strong), sous couvert de recherches sur le délire collectif, recueille les témoignages des autres personnes ayant été enlevées par le sorcier et trouve le moyen de rouvrir la porte vers la grotte. Il s’empare de l’Œil qui lui permet de contrôler les démons incarnant les sept péchés capitaux.
Alors qu’il emprunte le métro à Philadelphie, Billy est à son tour projeté dans la grotte et y rencontre le vieux Shazam qui, n’ayant plus le choix, lui transmet ses pouvoirs : en disant le mot « SHAZAM », dont chaque lettre lui confère les capacités et pouvoirs de plusieurs héros et figures mythologiques (la sagesse de Salomon, la force d’Hercule, l’endurance d’Atlas, la puissance de Zeus, le courage d’Achille et la vitesse de Mercure), Billy devient Shazam, du nom du sorcier, un super-héros dans un corps d’adulte (Zachary Levi). Confus à son retour dans le monde réel mais dans un corps de super-héros, il demande de l’aide à Freddy du fait de sa compétence en super-héros. Son frère d’adoption est ravi de l’aider à découvrir ses pouvoirs, notamment la super-force, la vitesse, l’invulnérabilité aux balles, la capacité à bondir et surtout à faire jaillir des jets d’électricité de ses mains. Tout en maintenant secrète sa véritable identité, seulement connue de Freddy et Darla, Shazam exerce ses pouvoirs en public, parfois même en faisant payer ses démonstrations.
Toutefois, il est appelé à une mission autrement moins égotiste et plus dangereuse : affronter Thaddeus Sivana qui, après s’être vengé de son père et de son frère, veut maintenant récupérer la force originelle du sorcier et ainsi dépouiller les pouvoirs présents chez Shazam. Mais celui-ci a à peine conscience de l’étendue de ses pouvoirs et surtout n’a pas du tout l’habitude de penser à quelqu’un d’autre qu’à lui-même. Comment Shazam peut-il l’emporter contre un si redoutable adversaire que Sivana ?