Sentinelles

Certes, tout en esquivant les pièges symétriques et grossiers de l’antimilitarisme et de la propagande, la mini-série n’évite malheureusement pas quelques poncifs autour de la hiérarchie. Alors que les relations hiérarchiques en opération sont subtiles et complexes, en revanche, la représentation d’un « Balard » (Ministère de la défense) lointain et politicard n’échappe pas à la caricature. De même, nous avons le droit au syndrome « Top gun », c’est-à-dire à l’Œdipe appliqué à l’armée avec l’ambivalence d’un fils rebelle qui tout à la fois s’engage dans l’armée et règle ses comptes avec un père général trois étoiles.

Toutefois, Sentinelles plaît parce qu’elle remporte le trio gagnant d’un scénario inégal mais prenant, d’un casting réussi joint à des personnages attachants, et d’une découverte crédible d’un micro-monde jusqu’ici peu exploré par le cinéma et la télévision : l’armée et les enjeux de défense en général, l’opération militaire sur le terrain actuel qu’est l’opération Barkhane en particulier.

S’ajoute la prise en compte de la dimension éthique. Celle-ci se dédouble, selon sa double logique, déontologique (morale du devoir) et téléologique (morale du bonheur et de la vertu).

L’incertitude du terrain et la complexité de la situation géopolitique sont l’occasion de cas de conscience intéressants et crédibles : lors d’une embuscade, prendre l’initiative ou attendre les ordres ?, obéir ou transgresser la lettre pour mieux honorer l’esprit ?, censurer sa conscience ou se révolter ?, privilégier l’esprit de famille ou démissionner ?, couvrir la bavure ou la dénoncer au risque de compromettre la mission ?, compâtir à la souffrance du soldat qui vient de perdre sa mère ou le sanctionner pour transgression minime ?, livrer un bon militaire de terrain ou abandonner une journaliste casse-cou ?, protéger les populations locales ou d’abord éviter la proclamation d’un califat au Sahel ? etc. Toutes les réponses, des plus laxistes aux plus rigoristes, sont, sinon explorées, du moins passées en revue.

Mais la solution ne se trouve pas seulement ni d’abord au bout de la casuistique, elle requiert la vertu, toutes les vertus cardinales : le courage parfois héroïque qui est le surmontement de la peur (ans un échange véridique, Martial répond à Élise, demandant avec insistance s’il avait peur : « Qu’est-ce que vous croyez ? Tout le temps ! ») ; la prudence du chef qui doit en permanence décider dans la contingence et l’urgence, dans la complexité et l’imprévisibilité ; avant tout la justice avec la mise en œuvre de l’obéissance, le respect des populations locales, la religion (notamment lors de l’enterrement du jeune malien), la condamnation du racisme et la promotion de l’esprit de corps (même si on regrettera que la témérité doublée de négligence de la journaliste ne soit pas plus clairement condamnée) ; enfin, plus inattendue, la tempérance, avec le dérapage ponctuel de l’adultère et la prise plus habituelle de drogue, toutes deux dénoncées.

Pascal Ide

Au sud-ouest du désert malien, dans la région de Mopti, des troupes françaises sont déployées dans le cadre de l’opération Barkhane. Sur le terrain, un camp est sous la direction du capitaine Philippe Lefort (Yannick Choirat) qui, non content de commander à une armée plus bigarrée qu’on ne sait – à côté des gaulois habituels, elle comporte, par exemple, un soldat musulman d’origine maghrébine, Saadi Djibril (Samy Seghir) –, doit de surcroît « gérer » une journaliste venue enquêter sur la vie militaire, Élise (Vanessa Fonte). Lors d’une mission de routine à la rencontre de la population locale, des hommes de la section du lieutenant Anaïs Collet (Pauline Parigot), brillante mais inexpérimentée, tombent dans une embuscade. Leur chef de groupe, le caporal noir et musulman Martial Mendy (Birane Ba), en proie au doute et à la panique, se cache derrière le protocole quand Julien Ravalet (Louis Peres), fils d’un gradé, provoquant, tireur d’élite et tête brûlée, s’oppose à lui. Plus généralement, dans un pays où les groupes armés terroristes prolifèrent sur les braises de conflits mal éteints, l’armée française doit composer une partition complexe dont l’enjeu est d’éviter la proclamation d’un califat au Sahel.