Qui m’aime me suive !, comédie française de José Alcala, 2019. Avec Daniel Auteuil, Catherine Frot, Bernard Le Coq.
Thèmes
Triangle dramatique de Karpman, conversion, amour.
Sans prétention, mais non sans protention ni intention, Qui m’aime me suive ! raconte l’attachante métamorphose d’un grincheux qui renaît à l’amour.
Avant d’être emprisonné dans un triangle amoureux, Gilbert a incarcéré les siens dans un autre triangle, plus psychologique, mais tout aussi toxique : le triangle dramatique de Karpman. Les deux premières scènes résument la glue où il s’est piégé et a piégé son entourage.
Nous le voyons d’abord au champ, glanant des carottes. Gilbert y transforme ce qui pourrait être un agréable temps et travail de retraité en Bourreau, afin de pouvoir mieux gémir et donc jouir de sa posture Victimaire. Une fois qu’il est arrivé à la maison, Simone consent d’autant plus à jouer la Sauveteuse (massages, conseils non demandés) qu’elle est secrètement culpabilisée par son adultère et que le coquin est le voisin et surtout l’ami de toujours du couple. Or, autant les massages sont bien reçus (quoique jamais précédés par un « s’il te plaît » et salués par un « merci »), autant les conseils sont malvenus. Du coup, Gilbert a beau jeu de switcher en Persécuteur en hurlant sur l’incompréhension de sa femme lui demandant de vendre cette camionnette, qui symbolise toute sa vie passée.
Faut-il le préciser, ces relations toxiques, Gilbert, miné par la jalousie et l’amertume, les a étendues avec une rare application à la totalité de son entourage familial (à commencer par sa fille, son petit-fils, mais aussi sa belle-famille) et amical. Il continue même à les étendre au voisinage – à Harold (Diouc Koma) qui vient d’emménager, il est trop content de refuser son aide – et au village – où il est trop heureux d’interrompre la fête en coupant le courant.
Tout au contraire, à la dernière scène, nous croisons un Gilbert enfin souriant qui s’active à transformer et embellir sa maison pour héberger ou accueillir Nathalie, Terence, et même Étienne. La cause est transparente : son corps a cessé de grincer et sa parole de gémir, parce que son âme a elle-même cessé de grimacer d’amertume en s’ouvrant à l’autre. Plus encore, il a redécouvert la gratuité de l’amour. En effet, Simone est partie sans préavis ni avis de retour, en quête de cette liberté qui lui manquait autant auprès du mari qui la « despotise » que de l’amant qui l’utilise (si Étienne est le revers bon vivant et laxiste d’un Gilbert rabat-joie et rigoriste, il n’avait au fond rien à lui envier en termes d’égoïsme). Or, Gilbert accomplit son rêve (ah, la pergola !), sans savoir ni si elle reviendra, ni si elle la satisfera. « La charité espère tout ».
Certes, effet comique oblige et donc pérennité du type, les dernières images montrent à nouveau le nain Grincheux s’inventant un malheur (il fait dégringoler quelques planches sur sa cheville), pour mieux exiger que sa femme vienne le dorloter (« Simone » sera le dernier cri entendu, une fois la porte fermée). Mais le touchant Gilbert a trop touché la joie et la paix du don pour que le spectateur y croie.
Cette évolution qui vaut révolution ne pouvait venir de Gilbert seul. Elle ne s’explique que par la présence de multiples médiations. Certes, il y a la multiplication des pertes et des échecs, se soldant par des départs et une écrasante solitude.
Certes, encore davantage, il y a tous les actes posés par Gilbert pour sortir, plus, s’arracher à lui, et s’occuper de son petit-fils d’abord, de sa fille, ensuite, de son épouse, enfin. C’est en prenant soin d’autrui que Gilbert va, au mieux, prendre soin de lui. C’est en s’occupant de son entourage qu’il cesse de se préoccuper de son ego.
Toutefois, ces explications ne suffisent pas. Le Victimaire professionnel demeure enfermé dans son moi plaintif, incurvant autour de lui l’intégralité de son environnement. D’ailleurs, si l’on fait mémoire de l’existence de ces Victimaires professionnels si empoisonnants, il est bien rare qu’on n’en trouve pas des traces dès la prime enfance. Or, lors de la fête organisée pour le départ d’Étienne, nous découvrons, à travers photos et anecdotes, un jeune Gilbert autrement enjoué. Plus encore, Simone lui demande : « Il est où le beau jeune homme qui, il y a 35 ans, voulait changer le monde ? ». N’ayant pas à ce point involué qu’il ne puisse évoluer, Gilbert n’est heureusement qu’un Victimaire amateur ! Celui qui va se tourner vers l’autre, donner attention et temps à Terence, chercher à joindre Nathalie avec une rare ténacité, donner de l’affection et oser parler en vérité, était ce jeune idéaliste qui vivait de ces transcendantaux : l’autre, le bien, le don, le vrai. Dans la psychorigidité de Gilbert s’attarde quelque chose de cette droiture qui tire vers le haut, se traduit en fidélité (tout de même plus d’un tiers de siècle !) et se fait entendre dans le reproche qu’il lance à juste titre à son ami de toutes les aventures et de toutes les complicités : « À l’époque, on avait une sorte de code d’honneur entre nous ? ».
Sur un rythme un peu lâche – mais symboliquement mou comme le corps avachi de Gilbert et lent comme sa procrastination à changer –, nous est ici contée une version française de La mule (Clint Eastwood, 2019). Un vieux de corps et de cœur, au crépuscule de sa vie, retrouve la lumière aurorale de la seule puissance qui rajeunit l’être : l’amour-don. Comment ne pas songer aux premiers mots de la toute nouvelle exhortation du pape François, adressée aux jeunes, mais aussi à tout le peuple de Dieu : « Il vit, le Christ, notre espérance et il est la plus belle jeunesse de ce monde » ?
Pascal Ide
Dans un village du sud de la France, Gilbert (Daniel Auteuil), ancien garagiste, et Simone (Catherine Frot), son épouse, mènent une retraite ponctuée par les lamentations et les colères du premier. Le départ d’Étienne (Bernard Le Coq), leur voisin et amant de Simone, le manque d’argent qui oblige à vendre la camionnette bien-aimée, mais surtout l’aigreur permanente de Gilbert déterminent Simone à quitter la maison.
En même temps, Gilbert reçoit un coup de téléphone de sa fille Nathalie (Vanessa Paric), avec qui il s’est fâché depuis des années, et qui, pour des raisons inconnues, mais inquiétantes, exige qu’il prenne son fils, Terence (Solam Dejean-Lacréole). Remué par ce qu’il soupçonne être une maladie gravissime, n’osant pas lui avouer que Simone a abandonné le domicile conjugal, Gilbert n’a-t-il pas franchi le point de non-retour ? Pourra-t-il reconquérir son épouse ?