Pupille, drame français de Jeanne Herry, 2018. Avec Sandrine Kiberlain, Gilles Lellouche, Élodie Bouchez.
Thèmes
Enfant (personne), adoption, abandon.
Insatisfaisant scénaristiquement, mais réjouissant humainement, Pupille est une ode de bienvenue au tout-petit sur fond d’un féminisme plus maladroit que militant.
Avec l’excellent Sauver ou périr (Frédéric Tellier, 2018) toujours en salle, voilà un film qui non seulement s’avère être un quasi-documentaire, mais est un hymne, ici non pas à une seule profession altruiste, mais à une cascade plutôt bien synchronisée de professions, comme on l’a rarement montré : de la sage-femme et de l’aide-soignante, à l’assistant familial et au service adoption, en passant par l’assistante sociale et les services de l’aide sociale à l’enfance. Elle est (heureusement) loin la critique systématique des institutions ! Encore faut-il que le quasi-reportage devienne intrigue. C’est le cas de Sauver ou périr. Ici, la métamorphose qui est intégration du rigoureux travail de documentation et de l’imposant recueil de verbatim si réalistes dans une histoire digne de ce nom, est peineuse, ou plutôt trop visible. Passons l’injection d’acteurs connus de grand talent (la réalisatrice est la fille de Miou-Miou, qui joue dans le film, et de Julien Clerc), passons une caméra filmant au plus près les émotions. En effet, dès les deux premières scènes, le spectateur comprend que l’histoire joindra, tôt ou tard, les deux piles, apparemment si éloignées, de la femme en attente patiente (c’est-à-dire douloureuse et persévérante) d’enfant et la jeune mère en souffrance d’en porter un. Dès lors, tout le suspense de ce qui se veut un thriller avant tout affectif se trouve éventé.
Demeure l’enfant, ce héros. Ou plutôt, mon pair, ce héraut ! En effet, la caméra, mais aussi le scénario, filme avec délicatesse, ici heureusement au plus près, le nouveau-né (même si, longueur du tournage oblige et observation constate, plusieurs se sont succédés…). Peut-être pour la première fois au cinéma, la caméra réussit à faire ressentir la souffrance d’un nouveau-né traumatisé par une mère immature, incapable de répondre aux besoins vitaux de son enfant et que l’assistante sociale exprime suaviter et fortiter. Nous sommes ainsi invités à entrer dans l’intériorité de ce sans parole (verbale) qui n’est que langage (émotionnel). Comment ne pas sentir son cœur se broyer lorsque nous voyons les yeux du petit Théo se détourner et, plus tard, se voiler, s’absentant pour ne pas ressentir l’absence ? Il a déjà compris que la manière de ne pas souffrir est de ne pas s’ouvrir. Quelle admirable leçon d’humanité, tant du côté de cet in-fans (« sans parole ») encore en formation, que du côté de ces adultes bien formés, qui lui donnent la parole, au double sens de l’expression.
Pupille. Passons les faiblesses du scénario, pour nous attarder sur ce joli titre en forme de jeu de mots. Il évoque tout à la fois le statut (pupille de la nation) de cet enfant blessé par le non-regard de la mère dite biologique, l’intensité du regard aimant porté par la mère adoptive, préparée et accompagnée par tout ce réseau médiateur, discret et compétent ; et finalement, celui du spectateur invité à une compassion pleine de compréhension. Au fait, la pupille n’est-elle pas ce centre de l’œil et plus encore du regard qui est le centre du visage qui est le centre du corps qui est le signe de la personne ? Ce gouffre d’ombre (mais point de ténèbres) ne dit-il pas quelque chose de la dignité infinie de la personne faite pour l’autre personne ?
Pascal Ide
Insatisfaisant scénaristiquement, mais réjouissant humainement, Pupille est une ode de bienvenue au tout-petit sur fond d’un féminisme plus maladroit que militant.
Avec l’excellent Sauver ou périr (Frédéric Tellier, 2018) toujours en salle, voilà un film qui non seulement s’avère être un quasi-documentaire, mais est un hymne, ici non pas à une seule profession altruiste, mais à une cascade plutôt bien synchronisée de professions, comme on l’a rarement montré : de la sage-femme et de l’aide-soignante, à l’assistant familial et au service adoption, en passant par l’assistante sociale et les services de l’aide sociale à l’enfance. Elle est (heureusement) loin la critique systématique des institutions ! Encore faut-il que le quasi-reportage devienne intrigue. C’est le cas de Sauver ou périr. Ici, la métamorphose qui est intégration du rigoureux travail de documentation et de l’imposant recueil de verbatim si réalistes dans une histoire digne de ce nom, est peineuse, ou plutôt trop visible. Passons l’injection d’acteurs connus de grand talent (la réalisatrice est la fille de Miou-Miou, qui joue dans le film, et de Julien Clerc), passons une caméra filmant au plus près les émotions. En effet, dès les deux premières scènes, le spectateur comprend que l’histoire joindra, tôt ou tard, les deux piles, apparemment si éloignées, de la femme en attente patiente (c’est-à-dire douloureuse et persévérante) d’enfant et la jeune mère en souffrance d’en porter un. Dès lors, tout le suspense de ce qui se veut un thriller avant tout affectif se trouve éventé.
Mais ma résistance de fond vient d’ailleurs, non sans lien avec ma première critique : plus qu’un idéologique féminisme, une féminisation outrancière des valeurs sous-tendant le scénario. Pêle-mêle : un casting surtout féminin (mais où donc est passé le père de Théo ?) ; justement l’absence de recul à l’égard de l’institution et d’importance accordée à un suspense digne de ce nom ; le choix non critiqué de la famille monoparentale qui, comme par hasard, se réduit à une mère single (plus que célibataire) ; l’incitation pas plus évaluée à la transgression de l’assistance sociale pourtant présentée comme un rare équilibre de droiture et de compassion ; un processus de délibération où la raison est dévorée par la passion, l’objectif par le subjectif, le démonstratif par l’intuitif ; sans parler, dans ce processus, de l’identification de l’unique homme (en tout cas parlant) à un cerveau sans cœur ; cette manière de filmer au plus près qui incite tellement le spectateur à éprouver les sentiments que le comédien vit à fleur de peau qu’il finit par suspecter la manipulation. Et, par-dessus tout, l’ultime scène, baignant dans une lumière solaire et une musique enchanteresse, qui met en scène une Alice en extase dans le grand lit conjugal et fusionnant avec son Matthieu couché à la place du mari-père (mais où sont donc passées les leçons de Freud ?).
On objectera triomphalement la présence de cette icône française de la virilité qu’est Gilles Lelouche. Outre que sa profession est à ce point féminisée qu’on parle d’assistante familiale et que, le surprenant en train de câliner Théo sans prévenir, l’infirmière le prend spontanément pour un usurpateur, le tout récent réalisateur du Grand bain (2018) – où il souligne à l’envi la présence de l’anima (pôle féminin) oubliée dans une brochette de quadra-quinqua plutôt réputés pour leur animus (pôle masculin) –, en fait des tonnes pour nous expliquer qu’il n’a rien du macho dénué d’écoute et gorgé de testostérone, au point que, dès sa mise en présence, c’est la mère qui rappelle la loi et lui qui joue la carte de la sensibilité. Et, dans la scène suivante, Jean défendra le bien du plus faible et la séparation de la fratrie, au nom de la seule expérience, sans prendre en compte la législation. Décidément, Jeanne Herry s’ingénie à inverser les stéréotypes au profit de la féminité.
Demeure l’enfant, ce héros. Ou plutôt, mon pair, ce héraut ! En effet, la caméra, mais aussi le scénario, filme avec délicatesse, ici heureusement au plus près, le nouveau-né (même si, longueur du tournage oblige et observation constate, plusieurs se sont succédé…).
Soulignons trois réussites aussi indénidables qu’admirables.
- Le nourrisson n’est pas vu, il est montré. Ou plutôt, il se montre, c’est-à-dire il se donne à voir. Chacune de ses apparitions est une manifestation qui suscite une intense émotion : pas seulement ni d’abord à cause de son inconcevable vulnérabilité qui appelle la protection, mais d’abord du fait de sa merveille qui appelle l’admiration.
- Le bébé est traité comme une personne. Qu’il est bon qu’à une époque encore encombrée de l’idéologie sartrienne (c’est-à-dire existentialiste) selon laquelle un petit d’homme n’accède à son humanité que s’il entre dans un projet parental, de le voir célébré pour lui-même, en son ineffable beauté, hors toute parentalité, voire sur fond d’abandon.
Il est une personne parce qu’il est un esprit incarné – c’est la définition anthropologique. Chacun des acteurs sociaux non seulement parle à Théo, mais s’adresse à lui, au nom de ce juste principe énoncé par Mathilde (peut-être de manière un peu trop didactique) : « S’il ne perçoit pas les mots, il perçoit l’émotion » – et il faudrait ajouter : la personne présente derrière cette émotion. Car le plus sûr signe que le bébé est une personne est qu’il est fait (précâblé, disent les neurosciences) pour l’autre personne et pour la relation interpersonnelle.
Il est une personne aussi parce qu’il vaut pour lui-même (norme personnaliste) et non pour autre chose que lui (norme utilitariste) – c’est la définition éthique. Ce qui nous vaut l’une des plus belles scènes du film (pour moi, la plus riche). Une des assistantes sociales du service de l’adoption, Lydie (Olivia Côte), vient annoncer à un couple de parents en attente d’enfants jusqu’à l’impatience et en souffrance jusqu’à la violence, que leur demande est pour l’instant ajournée. Malgré l’attitude irrecevable du mari, elle énonce avec beaucoup de clarté la raison admirable de ce délai : « Mon boulot n’est pas de trouver des enfants à des parents qui souffrent, mais les meilleurs parents pour des enfants en difficulté ». Comment mieux exprimer l’exclusion de l’utilitarisme et la promotion du personnalisme ? Or, cette vérité est d’autant plus acceptable que, loin d’énoncer froidement une norme abstraite, indifférente à la souffrance de personnes concrètes, Lydie a pris soin, avant d’arriver, de cacher délicatement les signes de sa grossesse pour ne pas blesser ses interlocuteurs.
- Enfin, peut-être pour la première fois au cinéma, la caméra réussit à faire ressentir la souffrance d’un nouveau-né traumatisé par une mère immature, incapable de répondre aux besoins vitaux de son enfant et que l’assistante sociale exprime suaviter et fortiter. Nous sommes ainsi invités à entrer dans l’intériorité de ce sans parole (verbale) qui n’est que langage (émotionnel). Comment ne pas sentir son cœur se broyer lorsque nous voyons les yeux du petit Théo se détourner et, plus tard, se voiler, s’absentant pour ne pas ressentir l’absence ? Il a déjà compris que la manière de ne pas souffrir est de ne pas s’ouvrir. Quelle admirable leçon d’humanité, tant du côté de cet in-fans (« sans parole ») encore en formation, que du côté de ces adultes bien formés, qui lui donnent la parole, au double sens de l’expression.
Pupille. Passons les faiblesses du scénario et de son arrière-monde, pour nous attarder sur ce joli titre en forme de jeu de mots. Il évoque tout à la fois le statut (pupille de la nation) de cet enfant blessé par le non-regard de la mère dite biologique, l’intensité du regard aimant porté par la mère adoptive, préparée et accompagnée par tout ce réseau médiateur, discret et compétent ; et finalement, celui du spectateur invité à une compassion pleine de compréhension.
Au fait, la pupille n’est-elle pas ce centre de l’œil et plus encore du regard qui est le centre du visage qui est le centre du corps qui est le signe de la personne ? Ce gouffre d’ombre (mais point de ténèbres) ne dit-il pas quelque chose de la dignité infinie de la personne faite pour l’autre personne ?
Pascal Ide
Se présentant sous le nom de Charlotte (Leila Muse), une étudiante de 21 ans vient accoucher en urgence à l’hôpital de Brest, en prévenant d’emblée l’infirmière qu’elle ne veut pas garder son enfant. Celle qui déclarera s’appeller Clara et peinera à mettre des mots sur cet accouchement sous X – père quasi-inconnu, conscientisation tardive de la grossesse (ou déni), incapacité à assumer sa maternité, isolement familial – peinera aussi à rencontrer son bébé, Théo et à lui parler une dernière fois avant de l’abandonner.
Mathilde (Clotilde Mollet), l’assistante sociale, explique, avec patience et douceur, à Clara qu’elle n’est pas là pour la faire changer d’avis, mais pour l’accompagner, dans une confidentialité totale, et qu’elle a deux mois pour revenir sur sa décision. Une assistante familiale portera Théo (au double sens, physique et psychique, du terme) pendant cette période d’attente. En l’occurrence, les services de l’aide sociale à l’enfance, dans la personne d’une éducatrice spécialisée qui comble son manque affectif avec des bonbons-crocodiles (Sandrine Kiberlain) choisissent un homme, Jean (Gilles Lellouche). Habitué à s’occuper d’adolescents en difficulté, il a besoin d’une pause et accepte de prendre en charge Théo.
Durant ce temps, le service adoption se met aussi en marche, cherchant la famille ou la mère adoptante qui pourra accueillir le nourrisson. L’histoire se centre sur Alice (Élodie Bouchez), une femme seule de 41 ans qui se bat depuis dix ans pour avoir un enfant.