Première année, comédie française de Thomas Lilti, 2018. Avec Vincent Lacoste et William Lebghil.
Thèmes
Ressentiment.
Assurément, la charge contre la Première année de médecine est réussie. Mais n’est-elle pas trop amère ?
Le troisième volet de ce que l’on appelle déjà la trilogie médicale du médecin devenu cinéaste – après Hippocrate qui traite (sic !) des premiers pas dans le métier à l’hôpital et Médecin de campagne de la fin de carrière – vise juste en montrant un système éducatif en grande partie inadapté à son objectif.
D’abord, en son objet. Osons-le dire, le réalisateur aurait pu être encore plus radical, tout en demeurant réaliste. Si, une fois n’est pas coutume, je donnais mon exemple personnel, qui, malheureusement, malgré son ancienneté (j’ai commencé mes études de médecine au CHU Saint-Antoine, il y a plus de 40 ans !), n’est pas si obsolète, celles-ci étaient strictement fondées sur l’acquisition non seulement des sciences, mais des sciences dures, physique, chimie et biologie – même pas d’anatomie ou de physiologie, comme dans le film ou comme, toujours de mon temps, au CHU de Lariboisière. Or, la médecine est cette discipline richement mixte qui conjugue science, art et éthique ; pour le dire symboliquement, le médecin est Head (chercheur ou du moins homme de science), Hand (technicien ou du moins homme de l’art) et Heart (éthicien ou du moins homme de relation). Donc, la sélection draconienne de P1 trie un homme triplement amputé : de son savoir proprement médical ; de son savoir-faire et de son savoir-être relationnel. Bref, notre modèle du médecin émarge à une idéologie qui en fait un homme de science, alors qu’il est un homme de l’art, de la science et du cœur.
Ensuite, en sa modalité. Ici encore, la critique fait mouche. L’étudiant est considéré comme un tricheur potentiel. Il est vrai que les lieux d’examen mériteraient l’attention d’un disciple de Foucauld qui y retrouverait les caractéristiques du modèle carcéral moderne décrites dans Surveiller et punir (Paris, Gallimard, 1975) : depuis la transparence totale (le modèle fameux du Panoptikon) jusqu’au corps encadré, dressé, contrôlé, le tout dans un climat d’angoisse généralisée. Ah (permettez-moi à nouveau un souvenir personnel !) les locaux d’Arcueil-Cachan (où l’on passait les examens) dont l’architecture était digne de l’époque Ceausescu et dont les murs suintaient la laideur et la peur !
Enfin, en ses conséquences. Le système engendre un étudiant hypercompétitif (« Cela fait un de moins »), dur, coupé de son intelligence (« reptilien ») et de sa compassion, narcissique, incapable de gratuité et de gratitude – à l’image du père de Benjamin. De ce point de vue, le discours d’anti-accueil du doyen n’est malheureusement que le reflet d’un système éducatif où la baguette prime toujours la carotte, pour lequel le sujet avance à partir de ses manques et non de ses ressources, qui s’autoconvainc, contre toute évidence, que la meilleure motivation réside dans la monstration du négatif plus que dans la valorisation du positif. Quel gâchis ! Et quelle erreur ! Lorsqu’on sait, études à l’appui, combien la douceur est guérissante, et combien la prise est d’autant plus efficace que le prescripteur est empathique.
Pourtant, paradoxalement, la charge va trop loin. Car ce quasi-documentaire sent cette odeur de ranci que l’on appelle justement la rancœur.
Pourquoi terminer sur le seul don sacrificiel, à la limite du masochisme, de Benjamin et non pas sur la reconnaissance d’Antoine ?
Pourquoi se tourner exclusivement vers la seule dénonciation-démonisation du problème ? En ne pointant que les faiblesses des hommes et des structures, et en n’offrant qu’un seul contre-exemple de professeur sympathique (encore faut-il qu’il hurle en entier ce que l’on ose appeler une chanson…), Lilti universalise indûment, cède à son insu au même biais typiquement français selon lequel la plainte victimaire serait prétendument plus efficace que la proposition dynamisante. Autrement dit, en ne proposant nulle ébauche d’issue ou d’espoir, il se contente de râler : il est tourné vers le problème et non vers la solution.
Pourquoi, enfin, ces comptes à régler à l’égard des parents ? Certes, le cinéaste montre la belle figure de Benjamin, tissée de compassion, de création (explication inédite de la physiologie cardiaque !), de pardon et de don à l’égard d’Antoine. Mais il souligne à l’envi la dureté jugeante du père, depuis le commencement où il se anticipe ses défauts (« Petit gros ») et projette son désir qu’il soit chirurgien, en passant par son incapacité à se réjouir des bons résultats de mi-parcours, jusqu’au terme où son absence tissée d’indifférence fait pleurer Benjamin de tristesse. De même, si la mère d’Antoine s’enquiert avec maladresse des études de son fils, l’irrespect irrecevable qu’il lui montre et que ne tempère aucun pardon semble à nouveau donner raison aux enfants contre des parents qui seraient au minimum décalés et au maximum adverses.
Parti pour une délicate étude des mœurs estudiantines, le réalisateur s’égare et adopte vis-à-vis du système universitaire et des relations familiales la même attitude qu’il dénonce. Son ressentiment le fait sombrer dans le même travers que celui qu’il condamne : la position asymétrique du surpomb.
Pascal Ide
À la sortie du lycée, Benjamin (William Lebghil) n’est pas très déterminé sur ses études et se laisse convaincre d’entrer en médecine. Décontracté, ce frère de normalien et fils de chirurgien et de professeur de lettres en université, commence son année entre stupéfaction pour le stress injecté et autoentretenu par les amphis surpeuplés et le travail surchargé, et nonchalance pour un milieu universitaire dont il connaît, par culture familiale, les codes et les illusions. Il fait bientôt connaissance d’Antoine (Vincent Lacoste) qui est son antitype : seul de son espèce à passer pour la troisième fois sa première année de médecine, c’est un gros bosseur, le fils unique de parents d’autant plus admiratifs qu’ils ne comprennent rien à ses études. Le besoin mutuel les rendra amis, mais bientôt des liens moins utilitaires se tisseront entre eux. Résisteront-ils lorsque le primant Benjamin affichera des résultats brillants qui suscitera la jalousie du triplant Antoine ? Et surtout, résisteront-ils à la pression invraisemblable qui pèse sur les épaules de ces P1 (étudiants de PCEM1, c’est-à-dire de Premier Cycle d’Études Médicales, première année) dont seule une minorité, et pas des plus profilées pour la profession de médecin, réalisera ses rêves ?