Ôtez-moi d’un doute
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Thème (s):
Famille, Homme-Femme
Date de sortie:
6 septembre 2017
Durée:
1 heures 40 minutes
Directeur:
Carine Tardieu
Acteurs:
François Damiens, Cécile de France, André Wilms

 

 

Ôtez-moi d’un doute, comédie française de Carine Tardieu, 2017. Avec François Damiens, Cécile de France, Guy Marchand.

Thèmes

Famille, homme-femme.

Simplissime, le pitch croise deux hasards: Erwan apprend que son père (celui qui l’a élevé) n’est pas son père (celui qui l’a engendré) ; il tombe amoureux d’une femme qui s’avère être la fille de ce père biologique. Comment sortir de cet imbroglio identitaire ?

De fait, le film, frais dans la forme, frigorifiant dans le fond, contient un contraste saisissant qui place sous un verre grossissant l’une des contradictions de notre société.

 

La réalisatrice valorise extraordinairement les relations entre générations – au point d’en regrouper quatre lors de la scène à l’hôpital. Loin de se satisfaire du lieu commun selon lequel la provenance est une question facultative – ce qui conduit à la dissociation entre père biologique et père légal, mais aussi, on l’oublie, à la séparation entre sexe et genre –, les héros attestent au contraire l’importance structurante du lien charnel à leur source.Jusque dans le déni qui, intenable, donne lieu à de savoureuses scènes entre Erwan et Juliette : la répétition de la situation sert de test projectif, le père dit à sa fille ce qu’il se dit à lui-même, à savoir le besoin de s’arrimer à son origine et la valeur de l’inestimable objet de la transmission (Pierre Legendre).

La difficulté à mettre en mots ne vient donc pas seulement de ces toxiques secrets de famille – « Le secret secrète de la perversion », disait Françoise Dolto –, mais de la pudeur des commencements. « Les commencements sont grands », disait Platon. Voilà pourquoi ils sont voilés, déposés comme des semences dans l’ombre de la mémoire qui s’ouvre à l’amour ou à l’intime du corps qui accueille la vie. De même que l’origine est frappée de nescience, de même la parole sur cette origine est toujours retardée, balbutiante, insuffisante. Il y a plus. À travers cette quête-enquête de la source, plus qu’un savoir, c’est un amour qui se cherche à tâtons : c’est parce que quelqu’un, autrefois, m’a appelé et prénommé avec tendresse qu’aujourd’hui il m’est possible de dire « Je » avec confiance.Aussi, lorsque la bouche peine à s’entrouvrir, les bras, eux, s’y substituent-ils, s’ouvrant et disant l’amour trop longtemps retenu et contenu.

Cela nous vaut cette belle trouvaille photographique lorsque le démineur vient de nuit à la découverte de son père biologique présumé : avant de prendre contact, il contemple longuement le domicile ; alors l’image se floute, se brouille comme pour nous faire comprendre combien Erwan, l’homme qui assure dans sa profession, l’homme qui maîtrise les entrées et (surtout) les sorties dans sa vie, se trouble et perd le contrôle – toujours la pudeur des origines.Cela nous vaut aussi ces scènes pudiques, attachantes et touchantes – pour moi les plus belles du film – où les générations communient, en vrillant autour d’Erwan : Erwan et Bastien, Erwan et Joseph, Erwan et Juliette. C’est encore et enfin une telle scène qui met un point d’orgue au film : assis sur un banc, en face de l’infini de l’océan, Erwan dit son amitié fidèle (« Je viendrai tous les mercredis ») à son assuré ex-père biologique et probable futur beau-père.

 

La relation parent-enfant est si vitale que c’est dans l’élan léger, heureux, de la rencontre avec ce père inconnu qu’Erwan trouve l’énergie pour oser la rencontre avec Anna. Or, devant la maladresse du démineur, le médecin de campagne prend l’initiative ; pire, elle lui parle aussitôt de relation sexuelle, alors qu’il n’y a même pas l’ébauche d’un soupçon de relation amoureuse… Ainsi tout est dit du déséquilibre rongeant le film : autant le lien vertical (parents-enfants) est sans prix, autant le lien horizontal (homme-femme) n’en a aucun. Autant la relation entre les âges est lumineuse, jusque dans la nuit bénie des origines – « La ténèbre n’est point ténèbre devant Toi. La nuit comme le jour est lumière » (Ps 139,12) –, autant la relation entre sexes est orageuse. Autant le fruit de l’amour qu’est l’enfant est à l’honneur, autant l’amour qui en est la source est voué à l’horreur.

En effet, les deux enfants sans père, dont le film orchestre la mise en résonance, ont été conçus dans la plus totale inconscience et amnésie, sous emprise de l’alcool. Que ce soit raconté de manière anodine, voire banalisée, que le cadre soit festif, ne doit pas cacher le caractère incommensurablement sordide et bestial de l’événement. Voire, le film paraît cautionner la pratique lorsqu’il met dans la bouche d’Anna cette parole qui vaut norme: « Vous m’invitez à dîner et on couche après, c’est la base [souligné, parce que répété]. On ne vous l’a pas appris ? ». Y a-t-il besoin de rajouter : dès la première rencontre ? Et dire que certains critiques parlent, extasiés, d’« amour romantique »…

Certes, le film tente d’expliquer – ou plutôt de suggérer une explication à – ces bugs répétés dans les relations amoureuses. Le granitique Erwan est un homme d’action qui tutoie la mort et surtout n’a pas pris le temps de digérer affectivement la mort de sa femme (dont il ne parle à personne) ; l’on nous fait aussi comprendre que ce perfectionniste (comme Anna, il arrive toujours en avance) exigeant avec lui comme avec sa fille (qui ne manque pas de le lui envoyer dire) fait passer son devoir avant ses sentiments et même trépasser ceux-ci. De son côté, Anna répare l’échec du mariage parental et, abandonnée par sa mère, s’interdit d’abandonner son père – ou plutôt ce qu’elle croit être un abandon –, donc de risquer une relation amoureuse.

Mais ces explications ne disent pas tout. Et une nouvelle fois nous touchons le malaise de la relation conjugale, à savoir l’inversion de la symbolique sexuée. De fait, toutes les femmes prennent l’initiative, jusqu’à évacuer des hommes qui, de fait, hésitent et ne savent plus offrir leur si vitale protection. Que sont les hommes devenus ? (Guy Corneau).

 

Oui à la vie, oui à l’amour ; mais non à ce que la vie naisse de l’amour.Dans un fin diagnostic, Xavier Lacroix observait que l’on est passé d’une définition de la famille à partir du couple à une définition de la famille à partir du lien parent-enfant.

Est-ce à dire que Ôtez-moi d’un doute laisse béant et saignant le hiatus entre les deux relations structurant toute la vie humaine : la relation intergénérationnelle et la relation sexuée ?

Heureusement, le non-dit livre plus de l’amour que cette parole, si controuvée et si conforme au triste air du temps. En effet, lorsque l’autre experte de l’hypercontrôle qu’est Anna qui a prévu la chambre d’hôtel aussitôt après l’annonce des résultats du test ADN, découvre qu’ils ne sont pas frère et sœur – deus ex machina trop facile pour assurer une fin heureuse –, contre toute attente, elle s’enfuit. Certes, parce qu’elle n’est pas prête à se déshabituer à voir en Erwan son demi-frère ; mais aussi parce que, au fond d’elle-même, elle sait que l’amour ne se réduit pas au sexe et que la rencontre des corps ne fait sens que lorsqu’elle exprime la communion des cœurs.

Par ailleurs, de même qu’il ne peut tenir jusqu’au bout cette confusion du sexe et de l’amour, de même le film balbutie une espérance dans le personnage du « Ravi ». Didier, dont l’innocence ne comprend rien à ces secrets et mensonges, est le seul homme qui à la fois ose dire son amour – voire,en costume de Zorro, conquérir sa belle – et assume sa paternité au point de prendre les devants sur la mère. Comme dans les Petits mouchoirs (Guillaume Canet, 2010), autre comédie bien contemporaine qui tend à notre civilisation un miroir – et un mouchoir, tant il est peu drôlatique –, la lumière vient d’un marginal (là, le guitariste au look « Jésus » qui, seul dans cette galerie-galère de quadras narcissiques en pleine CMV, pense à l’autre et apporte une trop brève sérénité). Francis Veber (Le dîner de cons, Le placard, Tais-toi !, etc.), qui demeure pour moi notre meilleur cinéaste comique français vivant, a compris toute la ressource cachée dans l’innocence salvifique de ces François Pignon. Mais ici, nous rions de Didier plus que, par lui, nous n’apprenons à rire de nous…

Pascal Ide

ErwanGourmelon (François Damiens), breton taiseux, dirige avec courage et énergie une équipe de démineurs chargés de missions à haut risque, surtout lorsque, sur les conseils de sa filleJuliette (Alice de Lencquesaing), il embauche un jeune, Didier (Estéban), qui oublie de recharger les batteries des robots chargés de détecter les bombes laissées pendant la deuxième guerre mondiale. Accompagnant Juliette, qui, enceinte de père inconnu, fait un test ADN, il apprend alors du médecin que le père qui l’a élevé n’est pas son père biologique. Il aime et aide celui-ci, Bastien (Guy Marchand), qui, en retour, s’inquiète du célibat prolongé de son fils. Après une phase de déni, Erwan demande à un détective privé de retrouver son géniteur. Sans dévoiler son identité, il fait connaissance de Joseph Levkine (André Wilms), un vieux Juif gauchiste attendrissant qui a connu Jean-Paul Sartre. En même temps, il croise par hasard à deux reprises Anna (Cécile de France), médecin sans détour, dont il tombe amoureux et qui n’est pas insensible à sa tentative de séduction. Or, en rendant visite à Joseph, Erwan réalise qu’Anna est la fille de Joseph, donc sa demi-sœur… Si l’on ajoute que Didier le simplet s’avère être le père de son futur petit-fils, nous sommes face à un paquet de nœuds autrement plus malaisés à dénouer que ceux des marins bretons.

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