Opération Beyrouth (Beirut), thriller d’espionnage américain de Brad Anderson, 2018. Avec Jon Hamm et Rosamund Pike.
Thèmes
Haine, salut, culpabilité, amitié.
Opération Beyrouth est critiquable pour de multiples raisons relevées par une critique sévère. Un exemple entre dix : la reconstitution caricaturale de la capitale libanaise (dont le film original porte le titre) qui, dans un même plan, englobe une plage, un tank, un chameau et une jeune femme en deux-pièces. Il demeure une méditation sur la culpabilité, ses ravages et son sauvetage.
L’on s’attendait à une histoire de rachat par la vengeance rythmée par l’aller-retour géographique : bonheur édénique à Beyrouth ; chute et exil américain de l’ancien ambassadeur ; rédemption de retour dans la capitale libanaise avec le meurtre cathartique du meurtrier. Pour être habituel, ce scénario s’avère totalement fallacieux. Le justicier ne fait qu’ajouter la violence de la vengeance à celle qui lui fut infligée, ici la double perte de la mort de son épouse et du kidnaping de son fils.
Le réalisateur, qui se dit proche du cinéma européen en général et de David Lynch en particulier, a évité une autre facilité d’écriture, elle aussi ternaire : celle de l’enfant aimé qui, syndrome de Stokholm et liens familiaux obligent, se retourne ensuite contre son bienfaiteur, pour finalement revenir, tel le fils prodigue, dans la maison paternelle. Pour être plus crédible, psychologiquement et éthiquement, cette option est trop banale et prévisible scénaristiquement parlant.
Surtout, ces deux intrigues présentent le commun inconvénient de proposer une vision manichéenne : les méchants kidnappeurs d’un côté, et la victime innocente de l’autre. Certes, en complexifiant le schéma, notamment en ternarisant les protagonistes (États-Unis d’Amérique, Israël, Palestine), le film a heureusement montré que le terrorisme qui est sans excuse n’est pas sans cause. Il demeure que, dans ce schéma systémique qui interdit avec raison la systématisation, Mason, lui, en sort encore indemne. Bien entendu, il ne s’agit pas d’affirmer qu’il serait responsable de la violence subie, mais il s’agit d’interroger la possible conversion de ce mal subi en un mal agi. Celui qui est touché au plus sensible de son psychisme peut-il demeurer in-tact au plus intime de son cœur ?
Et telle est l’autre voie, plus rare et plus féconde, que Brad Anderson a explorée : en soulignant une forme plus subtile de vengeance – non plus l’agression du Punisher, mais la fuite – et en braquant le projecteur sur une victime plus inattendue – non plus l’époux, mais l’ami de l’époux. Apparemment désarmé, Skiles est réellement violent : en se refusant à revenir au Liban et à garder le contact avec son meilleur ami, il l’a emmuré dans sa culpabilité. Au nom de la raison personnelle la plus compréhensible (ne pas s’ouvrir à son passé traumatique, pour ne pas souffrir), il s’est en fait dérobé à l’autre (ne pas s’ouvrir à l’ami pour le faire souffrir). En descendant dans l’un des mécanismes les plus méconnus de l’inimitié vindicative, le scénario montre donc que l’indifférence n’est pas un stade intermédiaire entre l’amitié et la haine, mais celle-ci sous sa forme glacée. Autrement dit, un cœur humain ne peut qu’être ouvert ou fermé. En refusant de revoir Cal, Mason a donc exercé la plus torpide des revanches et la plus vénéneuse des punitions : l’exclusion. Ainsi, Skiles a règlé le problème de sa relation avec l’autre, à la manière dont il a résolu la relation à lui-même : le déni – fuite de l’autre pour celle-là et fuite dans l’alcool pour celle-ci – avec son coût exhorbitant – destruction de l’ami pour la première, autodestruction pour la seconde.
Une seule issue, à double échappement. Tout d’abord, non plus fuir et faire payer, mais affronter. Là réside peut-être la raison d’un choix au fond inexpliqué : le retour au Liban. En effet, Mason ignore encore que son ex-ami et que son presque fils adoptif sont impliqués ; surtout, la somme d’argent proposée constitue une motivation dérisoire quand on sait la profondeur de la souffrance insupportable engendrée par le stress post-traumatique induit par le deuil brutal d’un proche doublé d’une attaque terroriste.
Ensuite, renouer ce lien que, excusable, mais responsable, Mason a brisé. Alors s’éclaire une autre tache aveugle : pourquoi et comment passe-t-il d’un repli si total sur soi à une donation si absolue de soi ? En risquant sa vie pour sauver Cal, il offre la sienne afin de racheter celle de son ami. En effet, il avait doublement ôté l’existence à Cal, restant sauve la liberté de ce dernier – : une première fois, en le clouant dans ce si périlleux Liban ; une deuxième fois, en détruisant ce grand lien qui rend vivant, l’amitié. Mais, par ce don qui vaut demande de pardon, l’anti-héros devenu héros voit fleurir en lui des ressources que les premières scènes avaient égrenées : compétences vertueuses de tête – depuis la souplesse diplomatique non dénuée de convictions à l’intelligence synthétique d’une situation complexe – et de cœur – depuis le courage (alors que toute la foule, prise de panique, s’enfuit, il remonte à contre-courant s’affronter aux terroristes) jusqu’à la générosité (il propose de troquer sa vie contre celle de son épouse).
Ainsi, le don de Mason annule sa dette, sa générosité répare la culpabilité. Et, juste avant une scène finale où le drapeau américain claque (certes trop apparemment et trop longuement) au vent, les deux amis qui se sont enfin retrouvés se disent à eux-mêmes autant qu’à l’autre que le sang de l’amitié peut à nouveau circuler en eux et l’esprit (le souffle, le hau) de l’amour à nouveau vibrer entre eux.
Pascal Ide
Beyrouth,
1972. Avant que la guerre du Liban n’éclate, un diplomate américain, Mason Skiles (Jon Hamm), organise une réception, en présence de sa femme Nadia et de leur futur enfant adopté, Karim Abu Rajal, un orphelin libanais de 13 ans. Mais le cocktail est perturbé par l’arrivée de son meilleur ami et agent de la CIA, Cal Riley (Mark Pellegrino), qui lui donne des nouvelles inquiétantes à propos de Karim. Quelques secondes plus tard, des terroristes font irruption, enlèvent Karim, massacrent une partie des convives et, à la suite d’une manœuvre bien intentionnée, mais imprudente de Cal, tuent la femme de Mason.
- Devenu alcoolique, Mason n’est plus jamais retourné au Liban et vit à Boston, comme médiateur de conflits au sein des entreprises. Sandy Crowder (Rosamund Pike), agent de la CIA, contacte Mason Skiles pour qu’il retourne à Beyrouth, en vue d’une mystérieuse mission de médiation. En arrivant dans un Liban ravagé par la guerre, l’ex-diplomate apprend que Cal Riley a été kidnappé par des terroristes, que ce sont eux qui demandent à traiter avec lui et que leur chef est Karim lui-même (Idir Chender) qui veut échanger Cal contre la libération de son frère Rafik (Mohamed Attougui), un dangereux assassin. Avec l’aide de Sandy, de moins en moins dupe, Mason découvre qu’en fait, chaque force en présence – le Tsahal, l’OLP, le gouvernement américain – cherche à servir ses propres intérêts. À qui faire confiance ? Et surtout, comment porter secours à l’homme qui, certes involontairement, a conduit à la mort de sa femme bien-aimée ?