Notre-Dame brûle, biopic franco-italien réalisé et écrit par Jean-Jacques Annaud, 2022. Avec Chloé Chevallier, Samuel Labarthe, Jean-Paul Bordes, Mikaël Chirinian.
Thèmes
Providence divine, espérance, salut.
Jean-Jacques Annaud a réalisé le tour de force – qui est d’abord une œuvre d’art – de transformer une histoire vraie dont chacun connaît la fin heureuse, en un drame puissant et émouvant. Tout simplement en montrant que l’intrigue fut encore beaucoup plus dramatique que l’on n’imagine, que l’issue humaine fut beaucoup plus intrépide que l’on ne pense et que le sauvetage de Notre-Dame fut beaucoup plus théo-logique que l’on ne saura jamais.
Le cinéaste et scénariste a fait bien davantage qu’un reportage scrupuleux et minuté presque en temps réel, ou un documentaire enrichi d’images d’archives de provenance internationale. Il a fait bien davantage qu’émettre des hypothèses (le pigeon picorant des fils électriques, le mégot non éteint) ou laisser ouverte la porte aux différentes possibilités interprétatives (y compris celle de l’attentat islamiste). Inversement, il aurait pu construire une fiction qui, selon la formule consacrée, « se serait inspirée de faits réels ». Pour être opposées, ces deux attitudes présentent le commun inconvénient de maintenir une distance trompeuse avec l’événement. Annaud a laissé parler son intuition artistique créatrice qui ne peut pas ne pas être celle d’un cœur empathique. C’est ainsi qu’il a épousé le désarroi du monde entier face à la possible disparition du plus beau joyau gothique. C’est également ainsi que, non croyant, il a intussusceptionné (Marcel Jousse) l’importance décisive de la prière. De même, celui qui a adapté de manière tendancieuse Le Nom de la rose (1986) ou le sulfureux Amant (1992) a saisi que, si le trésor était la cathédrale, le trésor des trésors était la couronne d’épine, donc le Sauveur. Comme il l’a confié, le soir même, il eut l’intuition que la réalité vécue était infiniment plus poignante que la plus saisissante des fictions. En effet, la pire mais la plus vraisemblable des catastrophes (l’effondrement de Notre-Dame, voire l’incendie de toute l’île de la Cité) s’est transformée dans le plus invraisemblable des sauvetages qui s’est avérée être le plus beau cadeau du c(C)iel. Cette intuition qui allait bientôt devenir une intention nous vaut l’exergue du film : « Ce qui semble faux est vrai ».
Pendant les 110 minutes du film, nous demeurons collés à nos fauteuils, frappés de stupeur par la puissance et la violence de cet ennemi qu’est le feu. Nous sommes comme écrasés d’impuissance par l’accumulation la plus tragique des obstacles et, pire, des erreurs : du plus physique (le plomb, tout le toit de plomb, qui, se liquéfiant, troue les tuyaux d’arrosage) au plus psychologique (le stress intense qui, selon un processus bien connu des neurosciences, transforme la mémoire du régisseur général du patrimoine de la cathédrale, Laurent Prades [Mikaël Chirinian] en tableau blanc et lui fait perdre le code d’ouverture du coffre), du plus archaïque (les sept cent clés dont une seule donne accès à la couronne d’épines !) au plus contemporain (l’ultramoderne Colossus qui s’avère finalement inopérant), du plus individuel (l’accumulation comique des accidents de vélib) au plus collectif (les embouteillages monstres).
À juste titre, Annaud ne s’attarde pas aux causes. Au nom de la logique prospective de l’action, comme au nom du primat de l’efficacité curative. Nul antimentalisme dans ce parti pris : ce qui retarde l’action n’est pas la réflexion, mais l’interprétation. Voilà pourquoi le général écarte les seules hypothèses liées à la porosité des vieilles pierres : « Le feu ou l’eau ? »
Les suspenses se succèdent, se multiplient, voire se bousculent et même se chevauchent. À peine une tension se résout-elle qu’un nouvel enjeu se présente : où se trouve le foyer ? les touristes et fidèles seront-ils sauvés sans être blessés ? les pompiers sauveront-ils la couronne d’épines ? n’ayant mis en sûreté que le fac-similé, arriveront-ils à temps pour épargner la vraie ? le régisseur arrivera-t-il à temps ? le trésor échappera-t-il aux ravages de l’incendie ? la Vierge au pilier subira-t-elle le sort de tout ce qui l’entoure ? tous les pompiers qui se sont engagés pourront-ils revenir sain et sauf alors que la porte s’est refermée derrière eux ? enfin, la tour du beffroi nord ne s’effondrera-t-elle pas ? Dans un passage très impressionnant, nous voyons un moment les vigiles du feu (comme disent les Italiens) avancer pas à pas dans une obscurité tellement dense qu’aucune lampe ne peut la percer : quand la ténèbre devient fumée, elle interdit et chasse toute lumière.
Si, au moins au début, la technique a plutôt brillé par son absence et ses multiples défaillances, même les prouesses d’outils ultra-performants et très ajustés n’auraient pourtant pas suffi à sauver la cathédrale. Aussi le film rend-il un hommage appuyé aux vertus humaines, plus encore, à la splendide harmonie des quatre cardinales : la noble bravoure de soldats du feu qui partent dans une mission excessivement risquée où leur vie était assurément en danger et le résultat nullement assuré ; la tempérance des responsables qui, avec sang-froid et patience, maîtrisent leur colère et jamais ne tempêtent dans ces insupportables accumulations de difficultés ou devant l’amnésie du gardien des clés ; l’authentique prudence des chefs qui sont assez souples pour remettre en question leurs principes d’action (par exemple : « On ne risque une vie que pour sauver d’autres vies »), assez écoutants pour laisser toute sa place à l’avis d’un simple sous-officier émettre audacieusement une hypothèse inouïe, assez clairvoyants pour discerner dans l’urgence et l’incertitude le possible et l’impossible, assez responsables pour encourager l’initiative et l’accompagner ; la puissance efficace et paradoxalement systémique de ce principe hiérarchique qu’est l’obéissance, cette forme supérieure de justice.
Mais ne se joue-t-il pas ici plus qu’un sauvetage, à savoir un salut ? C’est ce que le film affirme par touches légères, mais de la manière la plus limpide. Loin de séparer les niveaux d’intervention et de se contenter de montrer, comme une curiosité, la réalité de la piété populaire, le réalisateur va jusqu’à la tresser étroitement avec la rigueur technique et la vigueur éthique. Cette manière non didactique d’épouser les mœurs habituelles de la Providence divine nous vaut ce qui constitue, selon moi, l’image la plus bouleversante du film : le pompier qui a eu l’inspiration du sauvetage et fait partie de l’escouade héroïque, arrive sur le toit de Notre-Dame et, contre toute attente et toute logique d’action, s’arrête brusquement. Saisi, il entend la prière chantée de la foule massée sur les bords de Seine. Le veilleur du feu comprend alors qu’il est porté mystérieusement par une autre vigilance : Notre Dame veille sur Notre-Dame. Si le sauvetage-salut est monté dans l’eau des lances à incendie ou dans l’escalade valeureuse des pompiers, il s’est aussi élevé vers le Ciel par l’imploration incandescente et la supplication incessante des spectateurs devenus intercesseurs pleins de ferveur.
En montrant Notre-Dame pleurer par la grâce d’une goutte d’eau transformée en larme et s’attardant sur son visage meurtri, Jean-Jacques Annaud ne fait pas qu’exprimer la tristesse interdite de la destruction massive et bientôt l’intense émotion de sa sauvegarde, il comprend, là encore empathiquement et symboliquement, par transfert métaphorique autant que métonymique, que la Vierge au pilier personnifie la cathédrale, et que celle-ci est comme une personne, l’actrice principale du film. Ainsi se justifie l’acte épique et héroïque qui l’a sauvée. Si le principe selon lequel « seule une vie vaut d’être sauvée par une vie » est éthiquement vrai, le principe selon lequel des pierres, quand elles cristallisent l’œuvre et la dévotion des hommes vaut d’être sauvée jusqu’à mettre sa vie en danger, est spirituellement tout aussi véridique.
Certains trouveront trop ingénu ou trop appuyé le rôle accordé à la prière de la petite fille (Chloé Chevallier). Assurément, elle ne saurait biffer toutes les actions, physique, éthique, spirituelle, des différents acteurs du drame. Mais il se dit ici quelque chose d’une loi qui structure toute la création : celle du point de bascule (tipping point). Dans un système sensible aux conditions initiales, une petite cause peut engendrer les plus grands effets.Cette règle vaut pour la destruction (en quelques dizaines de minutes, une cigarette, un court-circuit peuvent ravager une forêt de sapins millénaires et détruire une cathédrale). Elle se vérifie encore davantage pour le bien. Et cette loi de l’excessus est celle de l’amour, si bien mise en valeur par l’Apôtre : « Là où la faute abonde, la grâce surabonde » (Rm 5,20).
Bien sûr, l’on regrettera telle ou telle imprécision (il paraît qu’il n’y avait pas de nids d’oiseau dans la charpente de Notre-Dame), tel ou tel parti pris (pourquoi avoir minimisé l’héroïsme du général Gallet ?), tel ou tel choix (pourquoi ne pas avoir montré l’archevêque de Paris et mis en avant la mairesse ? pourquoi ne pas avoir montré le sauvetage de l’une ou l’autre des reliques ? pourquoi ne pas avoir montré la croix d’or qui a continué à briller dans la ténèbre ?). Mais nous sommes des créatures exilées dans l’imparfait et la finitude.
Au sortir du film, longtemps je suis demeuré saisi par ces images bouleversantes et étreint par une émotion intense. Plus longtemps encore, la gratitude a élargi mon cœur pour le travail du cinéaste : décidément, la réalité déborde la fiction, en amont comme en aval. Mais ce qui m’a le plus durablement saisi fut l’espérance : ce 15 avril 2019, la cathédrale Notre-Dame aurait dû disparaître ; si elle fut sauvé, c’est qu’une autre Dame, qui est notre mère et, par la bouche de Marcel Van, a dit son amour d’élection pour la France, a intercédée pour nous et ne cesse de le faire en ces temps si incertains.
Oui, Notre-Dame brûle, mais d’un feu qui n’est pas que matériel, d’un feu spirituel qui diffuse sans consumer, qui réchauffe sans détruire, qui rayonne sans aveugler.
Pascal Ide
15 avril 2019, la cathédrale Notre Dame de Paris subissait le plus important sinistre de son histoire. Le long métrage de Jean-Jacques Annaud, reconstitue heure par heure l’invraisemblable réalité des évènements du 15 avril 2019 lorsque la cathédrale subissait le plus important sinistre de son histoire. Et comment des femmes et des hommes vont mettre leurs vies en péril dans un sauvetage rocambolesque et héroïque.