Nerve
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Thème (s):
Violence
Date de sortie:
24 aout 2016
Durée:
1 heures 37 minutes
Directeur:
Ariel Schulman, Henry Joost
Acteurs:
Emma Roberts, Dave Franco, Emily Meade...

Nerve

Thriller américain de Ariel Schulman et Henry Joost, 2016. D’après le roman américain de Jeanne Ryan., Addict. Avec Emma Roberts, Dave Franco et Emily Meade.

Thèmes

Voyeurisme, rivalité mimétique, société d’hyperconsommation, numérique.

Un énième film sur et pour ados déjantés, accros au numérique ? Un croisement de The game (en moins curatif) et de Neon demon (en moins dépressif). Oui, mais pas que…

Ce nouveau jeu, Nerve, structure la sphère ado (l’on insiste pour nous dire que l’héroïne n’a pas encore 18 ans) en deux catégories : les joueurs (players) et les voyeurs (watchers). Mais la motivation, des exhibitionnistes et des voyeuristes, est loin de s’arrêter au seul jeu. Les plus clairement affichées sont l’appât du gain, le goût du risque (« vivre à l’adrénaline ») et la fragile reconnaissance (« J’ai des millions de followers sur Instagram », clame Sydney). Bref, Nerve flatte les anti-valeurs aussi narcissiques qu’hédonistes de la société marchande et ultralibérale de l’hyperconsommation.

Plus subtilement, tout ce monde se dope à son insu des mécanismes de la mimésis : l’imitation (Vee reconnaîtra imiter Sydney ; en fait, elle imite déjà son frère), la rivalité (qui arrivera tôt ou tard), et plus. Et si Vee, encore pure de la tentation Nerve, l’une des rares résistantes avec son petit ami Tommy, se laisse tenter, puis happer, c’est uniquement pour cette même raison : Sydney la met au défi. La mimésis étant amplifiée par le monde réticulaire des teenagers pour qui se débrancher, c’est être exclu et mourir.

L’habile scénario déploie avec rigueur les conséquences d’un jeu de société, voire du jeu qu’est la société. Ce sont autant de mises en abîme de valeurs de plus en plus profondes : l’amour romantique naissant (bafoué par le baiser à un total inconnu), l’intégrité du corps (menacée par un tatouage, au thème inconnu gravé par un talent incertain), la vie (déniée une première fois sous contrôle, lors de la folle course contre la mort à moto, une deuxième fois hors de contrôle, en se lançant dans le vide et sous les hurlements des autres), l’amitié (celle de Sydney et de Tommy, détruite sans vergogne) et surtout, enfin, la conscience morale (en fait constamment mise à mal par les transgressions qui s’étagent jusqu’à la mise à mort publique). Le défi final qui, du dehors, paraît si peu vraisemblable (comment tous ces spectateurs pourraient-ils en arriver à voter pour la mort de l’un des leurs ?), est historiquement attesté par les jeux romains du cirque. Hunger games and co l’ont bien compris qui font de cet affrontement final des deux héros aimés qui ne garderont la vie qu’en ôtant celle de l’autre, l’apex de l’histoire et le défi suprême.

Ajoutons toutefois que le film ne convainc plus lorsqu’il ajoute cette improbable société secrète composée de méchants joueurs (Ty est trop apparent pour être un véritable méchant) et de méchants voyeurs qui tous deux se nourrissant du darknet, et sombre dans le manichéisme en inventant un contre-réseau encore plus omnipotent et omniscient, pour les combattre. Il quitte la fable morale pour redevenir un banal film d’aventures spectaculaires.

Quoi qu’il en soit, ce monde n’est montré que pour être critiqué, voire pour montrer comment le déconstruire.

D’abord, en révélant que le choix à la Matrice (pilule rouge, pilule bleue, ici jouer ou regarder), n’est qu’un faux choix qui masque une aliénation conduisant à ce que le film appelle la troisième possibilité, prisonnier : si les quelques rares joueurs sont des prisonniers actifs, allant jusqu’à mettre leur vie et celle du rival en jeu, les voyeurs, eux, sont tous des prisonniers passifs, c’est-à-dire des voyeuristes qui, au nom de la dépendance commandant toujours plus de stimuli pour toujours moins de plaisir, les condamnent à vouloir assister à une mise à mort. C’est ainsi qu’inexorablement, inéluctablement, s’achève la logique si finement décrite par René Girard : après la rivalité et la crise mimétique, la seule issue résolutoire est le sacrifice du bouc émissaire.

Ensuite, en dénonçant la démission massive des adultes sensés protéger les adolescents de leurs excès : ce policier lui-même connecté qui se dit impuissant à prévenir le mal puisqu’il n’y a aucun délit ; plus, des hommes, je veux dire des pères (il est tellement évident que la mère de Vee est seule qu’aucune allusion n’est faite à son père ; d’ailleurs, c’est son frère qui lui sert de modèle inspirateur) ; les parents que leurs adolescents suradaptés prennent en charge. En effet, en injectant de l’argent dans son compte en banque, Vee se parentalise pour cette mère débordée qui n’a pas fait le deuil de son fils aîné. Et, pour nous dire qu’il s’agit d’une quasi-norme, il nous est expliqué sans originalité que Ian est animé par les mêmes motifs.

Le film propose deux issues. La première, patente, est le réveil de la conscience morale. Pour ce faire, Vee, avec grand courage et grande lucidité, prononce la parole qui dénonce le monde des voyeuristes et délite ainsi la foule meurtrière et anonyme. Mais pour combien de temps ? Concrètement, combien de temps attendrons-nous Nerve II ?

La seconde, plus cachée, est le don de soi. De celui qui, bien que trahi et humilié, cherchera à sauver Vee : Tommy. Tel est le véritable héros de cette histoire folle de ces adolescents affolés – qui tend un miroir à notre société narcissique jusqu’à l’homicide, hédoniste jusqu’à l’addiction, hyperconnectée jusqu’à ne plus avoir d’existence que numérique.

Ces deux issues posent aux spectateurs la vraie question : se connecter ou se déconnecter ? Mais peut-on sortir d’un jeu dont, selon le titre du roman d’où est tiré le film, le gamer ne peut qu’être addict…

Pascal Ide

Nerve est un jeu qui diffuse en direct sur Internet des défis filmés. Après avoir résisté longtemps, Vénus Delmonico, dite Vee (Emma Roberts), testée-tentée par son amie Sydney Miles (Emily Meade), et en dépit des objurgations de son petit ami, Tommy (Miles Heizer), accepte de relever les challenges. A cette occasion, elle rencontre Ian (Dave Franco) – découvrant par la même occasion que cette rencontre était déjà programmée par la communauté anonyme qui lance ce jeu : les concepteurs ne sont-ils pas trop puissants ? Pourtant, Syd et Ian décident de continuer. Les défis sont de plus en plus risqués. Jusqu’où accepteront-ils d’aller ? D’ailleurs, Syd sait-elle quels sont les vrais défis qui sont lancés à Ian ? Surtout, ne sont-ils pas tous deux manipulés à leur insu, notamment par le biais d’un inquiétant Ty (Machine Gun Kelly ou MGK) ?

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