Mother !, thriller fantastique américain de Darren Aronofsky, 2017. Avec Jennifer Lawrence, Javier Bardem, Ed Harris et Michelle Pfeiffer.
Thèmes
Personnalité narcissique.
Le huis-clos étouffant, boursoufflé, grandguignolesque de Darren Aronofsky clive la critique (les admirateurs fanatiques qui crient au génie face à la polysémie inépuisable du film ; les contempteurs farouches qui hurlent à l’imposture ; sans parler des schizoïdes qui sauvent la première partie et conspuent la seconde). Plus encore, il suscite de multiples interprétations : des plus évidentes (une métaphore des affres de la création artistique, notamment comparée à un accouchement, ou une parabole de l’impossible amour, la chronique annoncée d’une fusion amoureuse qui se termine en fission douloureuse, voire mortelle) aux plus torturées (par exemple, un symbole de la souffrance de la Terre-Mère ou une critique à peine dissimulée de l’administration Trump).
Pour ma part, je demeure très mitigé à l’égard du cinéaste qui, d’un côté, m’a enthousiasmé par son Requiem for a Dream (une des meilleures déconstructions du mirage de la drogue) ou son Noé (cf. http://pascalide.fr/critique/noe/ ) et, de l’autre, m’a révulsé par son complaisant Black Sawn (où il déconstruit avec une jouissance perverse la pureté de Natalie Portman, en brouillant la triple frontière constitutive de l’humain : hétérosexualité et homosexualité, vie et mort, raison et folie). Je me permettrais d’ajouter deux interprétations à toutes celles que j’ai lues.
La première est suggérée par le titre lui-même : la maison devient la métaphore (autant que la métonymie) d’une matrice où bat le cœur d’un enfant à naître. Dès lors, la caméra constamment subjective jusqu’à l’autisme chercherait à faire entrer dans les remaniements psychiques intenses, à la limite du psychiatrique, qu’un certain nombre de femmes vivent lors de leur grossesse (cf.« Remaniements psychiques chez la femme lors de sa grossesse », http://pascalide.fr/un-remaniement-psychique-chez-la-femme-lors-de-la-grossesse/ ). Or, l’hypersensibilité et l’enfermement de Mère semblent la prédisposer à cette fragilisation psychique.
Mais la relecture qui emporte le plus mon adhésion et fait converger bien des étrangetés du scénario me semble être la suivante : Aronofsky donne à voir, du point de vue de la victime, ce qu’est la manipulation grand format d’une personnalité narcissique, voire perverse. Tous les symptômes sont présents sans exception : l’égocentrisme, l’absence totale d’écoute, de prise en compte du ressenti de l’autre et de compassion efficace à l’égard de sa femme pourtant de plus en plus évidemment déboussolée, le besoin compulsif de reconnaissance, le passage à la victimisation quand son scénario risque d’être éventé, la manipulation, la division de l’entourage, etc. Et même si la personnalité de Lui se présente sous sa forme la plus trompeuse, celle de la séduction et de la vulnérabilité victimaire, sa violence (jamais physique, à peine verbale, toute concentrée dans l’omission : l’absence absolue d’écoute d’autrui) se révèle tôt ou tard. Il suffit d’attendre pour qu’elle éclate. En l’occurrence, lorsqu’il se place en face de sa femme pour lui enlever son bébé : soudain, le visage tantôt amène, tantôt attristé, se transforme en un effroyable masque de dureté et de haine intransigeantes. L’on songe à la patience infinie de l’araignée qui sait que, tôt ou tard, le moucheron cessera de s’agiter.
Mais bien plus passionnante que cette description cent fois mise en scène, est l’option de la filmer au plus près du manipulé. En effet, pas de personnalité narcissique sans une victime à vampiriser. Mais aussi sans un victimaire qui supporte l’insupportable, qui concède l’inconcédable. Tout le long de Mother !, le spectateur se retient de crier : « Get out ! » et s’inquiète de ce que l’héroïne accepte, laissant toujours plus entamés son intégrité, son intimité, son respect d’elle-même. Mais l’empathie permet de comprendre cet aveuglement : aveuglement non pas de l’amour (qui, par essence, est lucide), mais de l’admiration sans limite de l’artiste adoré. Son cri final explique beaucoup : « Tu ne m’aimais pas. Tu aimais mon amour pour toi. J’ai tout donné ». Oui, tout donné, au détriment de son identité et même de sa survie. Il manquait à Mère un amour, décisif : le juste amour de soi et la confiance en soi qui, présents, protègent des personnalités narcissiques et, absents, font le lit de toutes les manipulations.
Une image qui fait inclusion et dont le sens n’apparaît qu’à la dernière image, constitue une parabole éloquente de la personnalité narcissique : Lui extrait de Mère, mourante, mais toujours aimante, son cœur et, le pressant dans sa main, le métamorphose en un diamant. La personnalité narcissique est un vampire qui se nourrit du cœur (de l’amour idolâtre) de ses victimes pour la seule satisfaction de son œuvre (toujours recommencée, exigeant toujours plus d’immolations), le transforme non pas en sang vivifiant, c’est-à-dire en retour d’amour plein de gratitude, mais en ce cristal certes brillant et inspirant, mais aussi glacial que coupant.
Pascal Ide
Première scène : dans une pièce en flammes, une femme au visage épouvanté, brûle. Scène suivante : un homme, Lui (Javier Bardem), dépose délicatement un énorme diamant sur un support. Troisième scène : la maison ravagée et calcinée, se répare toute seule, comme si l’on tournait un film à l’envers. Enfin, une histoire linéaire s’ouvre. Une jeune femme, Mère (Jennifer Lawrence), qui s’avère être la même que celle de la première image, se réveille dans son lit et appelle, inquiète, « bébé ». Elle cherche partout et tombe sur son mari, Lui, qui s’avère être celui qu’elle appelait. Ils vivent seuls dans une magnifique demeure isolée en pleine campagne. Alors que Lui est un poète en panne d’inspiration, elle dépense toute son énergie à retaper la maison pièce par pièce. Leur vie est tranquille, seulement troublée par l’attitude souvent absente de Lui, et les fréquents vertiges que Mère calme par des médicaments ainsi que sa perception extra-sensorielle d’un cœur qui bat à l’intérieur des murs de sa maison.
Un soir, un orthopédiste (Ed Harris) vient frapper à leur porte. Le mari lui propose aussitôt de passer la nuit chez eux sans demander l’avis de Mère, s’étonnant du généreux accueil de cet étranger. Elle découvre peu à peu que, sur le point de mourir, le médecin est venu parce qu’il est un admirateur inconditionnel de l’œuvre de Lui. Les choses se compliquent lorsque le lendemain, sa femme (Michelle Pfeiffer) arrive et que Lui propose qu’elle demeure aussi dans leur grande maison. Or, la femme se révèle intrusive et méprisante pour Mère. Alors qu’elle s’en alarme auprès de son mari, celui-ci minimise les faits et lui explique combien les nouveaux venus stimulent sa créativité artistique. Mais nous ne sommes qu’au début des perturbations extérieures. Jusqu’où vont-elles se développer ? Quand est-ce que Mère réagira ? Et que veut lui dire cette maison qui semble vivante ?