Mission impossible : Fallout, espionnage américain de Christopher McQuarrie, 2018. Inspiré de la série télévisée éponyme. Avec Tom Cruise, Henry Cavill, Simon Pegg, Ving Rhames, Rebecca Ferguson, Michelle Monaghan, Vanessa Kirby, Angela Bassett, Sean Harris, Alec Baldwin.
Thèmes
Mission.
La franchise des Mission Impossible est souvent comparée à celle des James Bond, la permanence-performance du héros en plus. C’est souligner à juste titre la continuité : non seulement celle du film d’espionnage d’envergure terrestre, mais le film d’une équipe fidèle et gagnante – l’IMF (Impossible Missions Force) –, avec son Q (Luther) et son M (Hunley). Mais ce n’est pas assez dire la rupture ou plutôt la nouveauté : James Bond, c’est mission invisible ! Ou plutôt, ils se caractérisent par le passage de l’invisible au visible. Non seulement les romans font entrer le lecteur – et bientôt les films le spectateur – dans la vie privée de la plus secrète et la plus enviée (?) des professions qui, par essence, rime avec dissimulation, mais ils élargissent spectaculairement son champ d’action de problèmes internationaux ponctuels à une scène mondiale et totale : toujours l’enjeu s’identifie à la victoire contre un Robur le conquérant, prochain maître du monde.
Tout en assumant cet héritage (notamment l’invisibilité redoublée par son statut hors-la-loi), la série Mission Impossible lui ajoute une note propre qui s’inscrit dans son titre : le passage de l’impossible au possible, c’est-à-dire à l’effectif. Ce n’est pas le moindre mérite de ce sixième opus, plutôt brillamment réussi, que de déployer avec rigueur ce thème. Au moins quintuple est l’impossibilité de la mission.
- Le premier défi à relever est technique, non sans flirter avec l’esthétique (en latin, ars recouvre autant les techniques de l’utile que les arts du beau).
La série télévisée – je parle de la première série en 7 saisons comptabilisant 171 épisodes (1966-1973) plus que de la seconde, intitulée Mission impossible, 20 ans après en 2 saisons comptant 35 épisodes (1988-1990) – construit sa réputation, nullement usurpée, sur ces montages aussi soigneux qu’astucieux par lesquels l’équipe des FMI, avec des moyens ultrasophistiqués pour l’époque, dupe souvent des régimes dictatoriaux au préalable infiltrés, conduisant le traître à se trahir lui-même. C’est à cet impossible devenu réalité que rend hommage la scène initiale où Nils Debruuk est manipulé.
Se fondant sur le même principe de la manipulation psychologique versus la violence physique, les différents films de la franchise déploient cette inventivité toute arrimée au simulacre, mais à une toute autre échelle. Ainsi, dans toute la première partie du film, c’est rien moins que Paris qui devient le théâtre d’un jouissif jeu de dupes dont font les frais le spectateur, avec sa complicité, et le méchant, sans la sienne.
De ce point de vue, on relèvera un déplacement vers la sobriété, dans la droite ligne du premier opus qui se déroulait en grande partie à Prague : au lieu de démultiplier à l’in(dé)fini les décors, le réalisateur, qui est aussi scénariste et coproducteur, s’est concentré sur trois lieux principaux, Paris, Londres et le Cachemire (même si le lieu du combat final ressemble furieusement au Preikestolen norvégien). Ce qui autorise une stylistique et une rythmique, donc une esthétique, voire une dramatique.
C’est ainsi que l’histoire gradue le décor parisien, le corps londonien, pour accéder au corps-à-corps cachemirien. La ville-lumière brille de tous ses feux dans des courses qui font se succéder rues et monuments selon un ordre aussi invraisemblable qu’aimable. Dans un Londres tout aussi idéalisé, Ethan se dépouille de sa voiture et de sa moto pour ne plus faire appel qu’aux seules ressources physiques de sa rapidité et de sa persévérance, afin de poursuivre Walker – via un marqueur GPS et l’aide comicotechnique de Benji – dans une course effrénée où il saute par-dessus les rues et traverse la Tamise sur un pont. Enfin, c’est seulement au Cachemire qu’Ethan s’affronte au méchant dans un combat inégal dont la durée est proportionnelle à la malice de l’adversaire.
De même, les poursuites spectaculaires vont en s’exhaussant : du maillage souterrain, sub-urbain (le réseau d’égoûts) et urbain, de la capitale française, en passant par le réseau surélevé des toits de la métropole anglaise, elles s’achèvent dans le ciel de la région surnommée le Toit du monde.
Plus profondément, nous passons de l’apparence tout en artefact de la réception, étouffante et nocturne, au Grand Palais, par une visite éclair en plein jour de la Tate Modern, ensemble britannique de quatre musées qui conjuguent le plus construit au plus reçu, à la nature solaire et sauvage qui sert de réservoir hydrique au tiers de l’espèce humaine.
Trois types d’humanité, enfin : le bobo aristocratique autant que décadent de la méga-teuf parisienne ; la fourmilière laborieuse de la mégapole ; la population indienne, simple, pauvre et infiniment vulnérable (à la maladie comme aux agressions), emblématique des nouvelles fractures sociales.
Or, cette évolution toute symbolique des lieux devient la scène d’une dramatisation croissante.
- En effet, l’autre impossibilité qui caractérise autant la série télévisée que la série filmique est d’ordre politique. L’on sait que le travail de l’espion consiste à être envoyé dans un pays potentiellement menaçant en vue de le surveiller, voire, le cas échéant, d’y intervenir. Ici, comme et plus que dans les précédents épisodes, ce sont les pays mandataires qui, eux-mêmes en conflit, rendent la mission plus périlleuse, voire vouée à l’échec. C’est ainsi que le film multiplie jusqu’à la confusion (en tout cas pour moi !) les partenaires en présence : le Syndicat, les Apôtres et Debruuk, assurément du côté des « méchants » ; John Lark, ce joker qui peut prendre toutes les figures, et la Veuve blanche, en zone médiane ; la CIA, en sa directrice Erica Sloane et en son agent August Walker, Alan Hunley en tant que ministre lui aussi américain supervisant les FMI, enfin, Ilsa Faust (Rebecca Ferguson), agente britannique autrefois infiltrée dans le Syndicat, tous théoriquement du côté des « bons ». Pas moins de neuf personnes physiques ou morales, sans compter Hunt et son équipe !
Bien entendu, brouiller les frontières et multiplier les appartenances relèvent de la logique tortueuse de l’intrigue d’espionnage et fait le fond de ses coups de théâtre. Mais je souligne ici autre chose : une mission, jusque dans son sens étymologique, n’est possible que parce qu’il y a un envoyeur et un envoyé. Or, les puissances mandataires s’opposent, se liquéfient jusqu’à symboliquement être liquidées dans la personne emblématique d’Hunley. Rendant encore plus impossible la mission.
- Mais aujourd’hui, le politique est trop disqualifié pour devenir la source première et, plus encore, unique, d’une tension dramatique. Le conflit doit devenir éthique et la mission devenir impossible en descendant dans les tréfonds du cœur humain, très ou trop humain. La scène nationale ou internationale est trop lointaine, trop anonymisée, pour susciter l’émotion forte qui mobilise le spectateur – encore que le mien a battu lorsqu’il a vu la coupole de la Basilique Saint-Pierre éventrée et l’esplanade du temple, à Jérusalem, devenue la proie des flammes, sans être indifférent à ce que la Mecque soit touchée. Quoi qu’il en soit, il s’agit de personnaliser le conflit pour le rendre sensible au cœur.
De fait, à l’instar des autres films, dès le début, Ethan se retrouve pris, plus, broyé, dans un dilemme cruel : opter entre le salut immédiat et perceptible du coéquipier et ami de toujours, Luther, et le salut plus lointain et plus invisible du monde. Or, s’il fait le choix que ses supérieurs et la sagesse pratique commandent, celui du plus grand bien, en abattant Luther, aussitôt après, submergé par l’empathie autant que par la culpabilité, il en oublie la mission, manifestant ainsi où son cœur a toujours habité. Ses responsables ne manqueront pas de le lui rappeler usque ad nauseam : entre sauver son équipe et sauver le monde, Ethan a fait le mauvais choix. Quoi qu’il en soit du discernement éthique, pour un contemporain qui fait primer le critère subjectif et affectif, la mission devient impossible.
Un bref rappel. Ce nouveau dilemme, éthique, ne fait sens que depuis une vingtaine d’années. La césure s’opère de la manière la plus consciente et la plus intentionnelle en un dense dialogue intervenant dans un autre film d’espionnage (GoldenEye, Martin Campbell, 1995). Lors de la scène finale, entre James Bond (Pierce Brosnan) et son ami Alec Trevelyan (006) devenu Janus, l’ennemi (Sean Bean). En mauvaise posture, le traître l’interpelle : « Alors, James, pour l’Angleterre ? – Non, pour moi ! », cette dernière parole s’accompagnant d’un meurtre qui n’est qu’un assassinat par vengeance. Ici se joue le renversement inquiétant où le bien propre et proche se substitue désormais au bien commun et lointain – le tout souligné par les multiples déplacements iconoclastes qui ont fait le succès de la 17e franchise de James Bond et la relance de la série en souffrance : par exemple, les accusations de phallocratisme, proférées par la figure nouvellement féminine de M, le chef du MI6 (Judi Dench).
Ne pouvant toutefois renoncer à sa mission de sauver l’humanité, qui relève de l’ADN du genre, tout le film s’acharnera à montrer – mission décidément impossible – la compatibilité, plus, la convergence du privé et du public. À chaque pas, Ethan Hunt devra sauver autant le coéquipier ou la personne innocente que la planète. Et comment le Français ne se réjouira-t-il pas, voire ne s’émouvra-t-il pas de la scène où Tom Cruise sauvera la femme policier hexagonale (Alix Bénézech), conjuguant la plus formidable efficacité avec la plus touchante des compassions dans un craquant « Je soüis désooléi… » ?
D’ailleurs, la découverte – pas totalement surprenante – que le méchant s’avère être Walker au prénom prémédité participe de cette même logique de personnalisation-privatisation qui fait de l’éthique le critère prévalant sur le politique.
- Le dilemme éthique est encore davantage dramatisé par un conflit, lui aussi moral, mais encore plus interne à Ethan. L’enjeu, ici, n’est plus la camaraderie devenue amitié avec les compagnons de toujours (redisons-le, Luther est présent depuis le premier épisode), mais l’amour même de sa vie, Julia (Michelle Monaghan), l’ancienne femme d’Ethan : comment ne pas voler (au sens le plus propre du terme) à son secours ? Toutefois la dialectique n’est pas le dilemme cornélien du devoir et de la passion, puisque le méchant et la Belle sont réunis dans un même lieu, donc que le salut du monde converge avec celui de son ex-épouse. Il réside dans un dilemme amoureux. Je dis bien amoureux.
Si James Bond descend délibérément la voie esthétique (au sens kierkegaardien) de l’éros et donc du désir polygame, Ethan (dont le nom qui commence comme éthos réjouirait un lacanien), lui, gravit le chemin éthique de la philia (amitié) aimante. Et, pour le manifester par contraste, le scénario introduit le personnage trouble et double, fascinant et violent, glacial et glaçant, de la Veuve blanche. Veuve, cet éros pour Ethan dont elle prend et exprime l’initiative, ne survit qu’à être mélangé à Thanatos et ne se dévoile jamais mieux que lors du combat meurtrier au Grand Palais ; blanche, elle est aussi froide à refroidir que polaire en affaires. Exit, donc, pour la franchise M.I. (et tant mieux pour la morale !), la libido sans autrui ni lendemain, sans apprêt et sans après, des Bond (je résiste à la tentation du calembour…).
Dès lors, la mission impossible, « si toutefois vous l’acceptez », sera, pour un Ethan forcément monogame, de choisir entre deux amours : l’amour de toujours pour Julian et, depuis qu’elle est réapparue, l’amour de tous les jours pour Ilsa. Le premier est vertueusement relevé par l’altruisme humanitaire dans les peuplades perdues du Cachemire, alors que le second est romantiquement magnifié dans le cadre édénisé du jardin des Tuileries. N’est-il pas impossible d’opter entre ces deux valeurs fondamentales, la fidélité et l’intensité (d’amour) ?
- Paradoxalement, et c’est l’une des plus belles trouvailles d’un scénario riche en humanité, qui, il est vrai, demande à être déchiffrée, l’introduction d’une cinquième mission impossible permet de lever la difficulté en l’opacifiant momentanément.
La cinquième crise, encore plus radicale, remonte en-deçà de l’éthique, jusqu’à l’identité d’Ethan et pourrait être qualifiée d’ontologique. En effet, la question demeurée innommée et encore plus irrésolue, est la suivante : si Ethan aime et aime fidèlement, pourquoi a-t-il abandonné son épouse ? Il n’y va pas de circonstances malheureuses, tant il est habitué à conjurer le hasard. Il y va encore moins d’une difficulté à la défendre, tant il excelle à jouer les mâles protecteurs. Mais il y va d’une question fondamentale qui inclut le nom même de mission.
Nous nous sommes jusqu’ici penchés sur l’adjectif. Attardons-nous désormais sur le substantif, si riche de connotations bibliques. D’un mot, ce que l’Écriture Sainte et, plus encore, le Nouveau Testament nous apprennent, c’est que mon identité, c’est ma mission, mon être, c’est mon agir – au point que, pour comprendre la personne en perspective chrétienne, il faille en quelque sorte inverser l’axiome métaphysique : agere sequitur esse (« l’agir suit l’être »), en esse sequitur agere (« l’être suit l’agir »). Or, sur le fond, la mission d’Ethan consiste, en négatif, à combattre les méchants qui ont dérobé les trois bombes au plutonium et, en positif, à sauver le monde ; or, seul Dieu peut affirmer : « Ton Époux et ton Rédempteur » (Is 54,5), autrement dit unir sans confondre ces deux fonctions-missions. S’il veut donc échapper à la toute-puissance du sauveur-séducteur, notre héros doit séparer l’être sauvé de l’être aimé. Et l’on sait combien la confusion des deux, en endettant irréversiblement la victime, ouvre la porte à toutes les tortures mentales, dans les deux sens, dont la forme la plus anodine est le syndrome de Stockholm. Pour le dire autrement : l’amour et l’amitié sont par essence mutuels, alors que le don du salut, lui, est par essence asymétrique. Voilà pourquoi, et non pas seulement pour des raisons de disponibilité, les super-héros doivent ou se devraient d’être célibataires.
Cette mission définitivement impossible – sauver et aimer (sponsalement et bilatéralement) la Belle – résout alors, d’une pierre deux coups, les deux derniers dilemmes. C’est ce que condense le dernier et superbe échange. Ethan est en proie à son tourment identitaire ou ontologique. Traduit dans le registre symbolique, en l’occurrence spatial, la question : « Quelle est ma mission ? » devient : « Où est ma place ? Quelle est ma place ? » Julia répond avec les mots justes : « Lorsque tu me sauves, tu es à ta place ». Dès lors, Ethan ne peut être apparié à une épouse, mais seulement à une compagne au sens le plus étymologique et le plus empathique du terme : sa place, toute itinérante, voire toute errante, s’oppose à un port d’attache qui serait d’attachement. Autrement dit, il ne peut que se lier, sans se ligoter, à une autre aventurière dont la vie, toujours menacée, est dédiée à la mission : Ilsa.
Mission impossible a rendu possible cette méditation sur la mission. Son impossibilité apparente révèle une difficulté patente. Mais à surmonter sans cesse, sans faiblesse et dans la liesse.
Pascal Ide
Dans la plus pure tradition de la série télévisée, Ethan Hunt (Tom Cruise) reçoit sa nouvelle mission sur une bande magnétique (ici cachée sous la jaquette de l’Odyssée) qui s’auto-détruit cinq secondes après sa description : le « Syndicat », dont le chef, Solomon Lane (Sean Harris), a été arrêté il y a deux ans par Hunt et son équipe, s’est reformé sous la forme d’un groupe terroriste dénommé « Les Apôtres », avec l’aide de Nils Debruuk (Kristoffer Joner), spécialiste norvégien en armes nucléaires. La mission du chef de Mission impossible, « si toutefois il l’accepte », est d’intercepter une livraison de trois bombes portables au plutonium faite aux Apôtres, qui doit se dérouler à Berlin.
Ethan se rend dans la capitale allemande avec Benji (Simon Pegg) et Luther (Ving Rhames), mais ce dernier est pris en otage par les Apôtres. Alors, en voulant le sauver, Hunt oublie de surveiller les bombes dont s’emparent les terroristes. L’image d’après, on découvre par un présentateur télévisé que le Vatican (le pape étant présent), Jérusalem et la Mecque ont été sauvagement détruits. L’équipe qui a capturé Nils Debruuk lui montre ces images et lui-même découvre qu’un manifeste terroriste qu’il a rédigé est diffusé en direct à la télévision. Effondré, Debruuk accepte de donner la clé de déchiffrage d’un téléphone portable appartenant aux Apôtres. L’équipe de Mission Impossible lui montre alors qu’il fut manipulé : tout le reportage est faux, Benji jouant le présentateur.
Les informations contenues dans le téléphone permettent à la CIA de déterminer qu’un certain John Lark, dont personne ne connaît le visage, va rencontrer la « Veuve blanche » (Vanessa Kirby) lors d’une réception au Grand Palais à Paris, afin de conclure la vente du plutonium. Alan Hunley (Alec Baldwin), ministre qui supervise l’organisation « Mission impossible », décide d’envoyer Hunt sans son équipe, car l’échec de Berlin a montré qu’il se laissait influencer par ses sentiments. Mais Erica Sloane (Angela Bassett), directrice de la CIA, survient et décide de lui adjoindre August Walker (Henry Cavill), un agent connu pour ses méthodes brutales.
Qui est ce mystérieux et très inquiétant Lark ? Quelles sont les intentions de la Veuve blanche ? Comment agir librement avec ce Walker ultra-violent ? Mais les questions vont encore se multiplier, lorsqu’Ethan, en combattant le redoutable John Lark, est sauvé par Ilsa Faust (Rebecca Ferguson), agente britannique autrefois infiltrée dans le Syndicat : quel jeu joue-t-elle ? Et quel est donc son lien avec la Veuve blanche ?