Méandre, science-fiction horrifique français écrit et réalisé par Mathieu Turi, 2020. Avec Gaia Weiss et Peter Franzén.
Thèmes
Culpabilité, salut.
Ce film à tout petit budget (2,6 millions d’euros) n’est pas un grand film, mais ne saurait se réduire à être un plagiat, tout en posant une question de fond.
Enfermant comme Oxygène (Alexandre Aja, 2021), intelligent comme Cube (Vincenzo Natali, 1997), psychologisant comme Seven (David Fincher, 1995), moralisant comme Saw (James Wan, 2004), Méandre croise leurs originalités, plus qu’il n’en cumule le « génie ». Il demeure qu’il est heureusement structuré en trois parties à peu près égales reposant sur deux coups de théâtre. Le premier explique le comment de l’arrivée de Lisa dans le labyrinthe : là où l’on s’attendrait à une machination particulièrement tordue du serial killer, l’on découvre avec surprise que tous deux sont les victimes d’extra-terrestres. Le second explique le pourquoi de cette épreuve et, par là même occasion, celui du titre : le parcours extérieur d’obstacles que doit franchir victorieusement l’héroïne pour sortir et s’en sortir s’avère aussi et d’abord être un itinéraire torturant et tortueux de la perdition (la défenestration de sa petite fille due à sa négligence), à la rédemption (accoucher d’une nouvelle vie selon une métaphore amniotique transparente). Tout en conjurant les fausses solutions : refouler l’événement traumatique, ce qui l’a conduite à la dépression (le début la montre, perdue, abattue, loin de tout repère humain et géographique), réparer en se faisant payer infiniment le mal, effacer l’événement en revenant avant la perte.
Mais c’est là que le bât blesse. Le problème posé par ce film ne tient pas d’abord au mélange mal assumé des genres : il commence comme un thriller (fuir un sociopathe), continue comme une science-fiction et s’achève comme un film fantastique (Lisa a ressuscité plusieurs fois et, après un coûteux purgatoire, arrive dans un paradis où elle retrouve sa fille qui l’attend). Il réside dans sa représentation du salut implicitement héritée d’une certaine vulgate hollywoodienne : seule la traversée de la souffrance la plus intolérable rachètera du mal le plus condamnable. Autrement dit, la violence subie et subie contre soi jusqu’à l’extrême semble seule à même d’effacer la violence accomplie contre l’autre jusqu’à l’extrême.
Prenons l’exemple d’un film-culte, Phone Game (Joel Schumacher, 2003). Ce huis clos lui aussi claustrophobe centré sur un pécheur (Stu Shepard est adultère), met en scène un simulacre de confessionnal (la cabine publique), la nécessité d’un aveu public, donc extrêmement humiliant (face à la foule en général, face à son épouse et sa maîtresse en particulier) et un vengeur omnipotent, omniscient et surviolent.
Cette sotériologie est indirectement calquée sur la psychologie : de même que l’âme de Lisa est rongée par la honte et amputée par la culpabilité jusqu’à en devenir suicidaire, de même son corps devra-t-il être rongé par l’acide, déchiré par les barbelés et mutilé (dans sa capacité d’avancer) avant de mourir plusieurs fois.
Mais elle est plus profondément engendrée par la situation paradoxale dans laquelle l’homme contemporain s’est placé. Cette réduction psychologisante – maximisée dans la série nauséabonde des Saw – est le fruit vénéneux d’un athéisme ou, pire, d’une défiguration satanique de Dieu. Lorsque l’homme répète à la suite de Nietzsche, « Dieu est mort [1] », il croit un moment qu’il est libéré de ce Surmoi accusateur et qu’il accède enfin à une vie totalement affranchie de tout tabou. « Si Dieu est mort, tout est permis », disait Sartre [2] à la suite d’un personnage de Dostoïevski [3]. En réalité, l’être humain se réveille plus coupable que jamais, mais sans personne à accuser ni personne pour le racheter. Il ne lui reste plus qu’une solution : retourner la culpabilité contre lui-même, jusqu’à en mourir. Ne pouvant plus s’excuser (en reprochant à Dieu), il ne peut plus qu’accuser et s’accuser. Si Dieu est mort, tout est permis, jusqu’à faire mourir l’homme. Il vaut la peine de lire la suite du passage de Sartre : « C’est là le point de départ de l’existentialisme. En effet, tout est permis si Dieu n’existe pas, et par conséquent l’homme est délaissé, parce qu’il ne trouve ni en lui, ni hors de lui une possibilité de s’accrocher. Il ne trouve d’abord pas d’excuses ».
C’est du péché que l’homme commet mais aussi de la peine qu’il s’inflige quand il croit que le Ciel est vide, que le Christ nous a délivrés. Il nous sauve de la mauvaise conscience destructrice, tout autant que de la fausse bonne conscience déresponsabilisante, pour nous introduire dans la contrition sincère de notre péché et plus encore la confession émerveillée du Père « riche en miséricorde » (Ép 2,4).
Pascal Ide
[1] « Nous sommes tous ses meurtriers !… Dieu est mort ! Dieu est mort ! » (Frédéric Nietzsche, Le Gai savoir, aphorisme 125, trad. Alexandre Vialatte, coll. « Idées » n° 50, Paris, Gallimard, 1964, p. 137 : Le Gai Savoir, in Œuvres philosophiques complètes. V. Fragments posthumes (été 1881-été 1882), trad. Pierre Klossowki, Paris, Gallimard, 1982, n. 125, p. 150).
[2] « Dostoïevski avait écrit : ‘Si Dieu n’existait pas, tout serait permis’ » (Jean-Paul Sartre, L’existentialisme est un humanisme, coll. « Folio essais », Paris, Gallimard, 1996, p. 39)
[3] « Pour Ivan, il n’y a pas de Dieu. […] Alors, tout est permis » (Fédor Dostoïevski, Les Frères Karamazov, trad. Henri Mongault, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », Paris, Gallimard, 1952, p. 621).
Lisa (Gaia Weiss), une jeune femme apparemment déprimée est prise en auto-stop, Adam (Peter Franzén). Alors qu’ils sympathisent, elle découvre que le conducteur est un tueur en série en cavale. Cut. Lisa se réveille dans une cage métallique, un bracelet lumineux au poignet. L’une des parois s’ouvre sur un tube. Malgré sa claustrophobie, elle s’introduit dans le long couloir qui se referme aussitôt derrière elle. Une seule solution : avancer. D’autant que, elle va bientôt le découvrir, c’est la seule manière de ne pas succomber à des pièges mortels de plus en plus périlleux. Comment en sortir ? Et pourquoi se trouve-t-elle là ? Sa présence est-elle en lien avec la situation initiale qui l’accablait ?