Materialists, romance américaine écrite et réalisée par Celine Song, 2025. Avec Dakota Johnson, Chris Evans et Pedro Pascal.
Thèmes
Amour, mariage.
Materialists est apparemment la nouvelle romance. En réalité, il s’agit d’un film non pas d’amour romantique, mais sur l’amour romantique. Faut-il le regretter ?
- En apparence, nous sommes plongés en plein mélodrame amoureux. Tous les codes sont respectés.
Les personnages sont séduisants, ils cherchent l’âme-sœur et rêvent d’un grand amour qui rime avec toujours.
De plus, la réalisatrice et scénariste a opté de les incarner par les acteurs qui ont aujourd’hui la faveur du grand public, à commencer par Pedro Pascal. Le casting cinq étoiles n’est pas seulement la condition (pas la garantie) commerciale de la réussite, mais la concession presque obligée au rêve.
Ensuite, les personnages sont réunis pour former un triangle amoureux qui injecte non pas la suspicion d’un ménage à trois, c’est-à-dire la trahison adultérine, mais le suspense (très relatif !) du choix que devra poser l’héroïne. La question n’est plus de savoir si le prince épousera la bergère (Pretty Woman) ou si la high class daignera abaisser son regard sur les troisièmes classes (Titanic), mais si Lucy optera pour son ex-petit ami acteur en herbe sans le sou ou pour le charmant millionnaire qui travaille dans la finance.
De ce point de vue, on ne peut que louer la scène narrativement et filmiquement très efficace de la double rencontre quasi synchrone des deux amours, le nouveau et l’ancien, le tout sur fond de mariage. Non sans humour, tandis que Lucy exprime sa décision inédite de boisson, les deux verres atterrissent instantanément sur la table. Certes, sont ainsi introduits les deux rivaux potentiels. Mais surtout, symboliquement, leur différence est finement signifiée : le « vieux » nouveau qui, riche de sa potentielle capacité à tout dominer, ignore tout de la belle à conquérir, et le nouvel « ancien » qui en sait tout, mais est d’abord un donateur riche actuellement de ses dons (le spectateur voit le don avant le donateur qu’il symbolise).
Nous venons de le dire, la scène se déroule lors d’un mariage qui devient non plus métaphorique, mais métonymique de l’intrigue. La profession de Lucy la bien nommée la prédispose en effet à vérifier le proverbe selon lequel le cordonnier est le moins bien coordonné : l’experte absolue à marier tout le monde devient l’inexperte tout aussi radicale à s’appliquer à elle-même son propre art. Ce paradoxe, qui allège le drame sentimental pour le transformer en comédie, est le ressort (facile, avouons-le) de nombreux succès bon-enfant, outre-atlantiques (comme Hitch, expert en séduction d’Andy Tennant, 2005) autant que français (comme L’arnacœur de Pascal Chaumeil, 2010).
Enfin, le film peut être vu, au ras de son histoire, limpidement posée, linéairement exposée et fidèlement reposée (résolue) : Lucy épousera-t-elle John ou Harry, le pauvre ou le riche, l’ancien ou le nouveau, le plus jeune ou le plus âgé, le plus risqué ou le plus sécure ? Gageons que le public, plutôt jeune et féminin, discutera ferme à la sortie sur les chances respectives des deux prétendants. Et ajoutons que, de ce point de vue, le film n’a malheureusement ni surpris ni épris. Si Lucy prend tous les risques, la cinéaste n’en a pris aucun…
- Mais, justement, Materialists ne raconte pas une histoire d’amour romantique, il parle de lui.
Jamais romance n’a autant causé, je veux dire, n’a autant mis en avant la parole versus le corps, l’explication versus l’action, les épanchements versus les rebondissements. Certes, comment regretter la discrétion des images ? Même le méchant Mark, qui d’ailleurs montre la voie, est réduit à une pure voix. La possibilité même d’une tromperie est résolument écartée. Et la jalousie entre les rivaux est à ce point transparente qu’elle immunise contre la violence, même seulement langagière.
En effet, l’originalité du film vient de ce qu’il est résolument actuel et donc concède tout à l’objection rédhibitoire opposée à l’amour-passion. Il cède d’ailleurs aussi tout au féminisme ambiant, puisque c’est la femme qui calcule en cherchant un homme immensément riche, alors que les deux hommes aveuglés sont les seuls à croire au grand amour.
Les raisons plaidant contre ce grand amour sont connues. Elles sont résumées à plusieurs reprises avec une terrifiante lucidité par celle qui les a intériorisées. C’est ainsi que Lucy se dévalorise face à ses multiples rivales, plus jeunes, plus belles, plus riches, plus douces. Surtout, elle annonce la couleur : « Le couple vieillira, ne s’aimera plus, ne fera plus l’amour, se disputera, se culpabilisera de s’être disputé face aux enfants, divorcera, etc. » Bref, tout ce qui, autrefois, était tu pour ne pas tuer le rêve est aujourd’hui formulé de manière anticipée pour éviter la souffrance de l’illusion. De sorte que l’histoire peut être vue autant comme une thérapie de couple que comme un auto-diagnostic de l’actuel désengagement matrimonial. Sans cynisme. Mais sans espérance.
- Pourtant, ne nous arrêtons pas là. En parlant beaucoup, et peut-être trop d’amour, Materialists sème, chemin faisant, quelques vérités heureuses qui rendent heureux. Récoltons-en quelques-unes.
La problématique, voire le dilemme est limpide : d’un côté, le calcul pseudo-amoureux, autrement dit, non seulement l’amour réduit à la raison, mais une raison réduite à son régime pragmatique, utilitariste et matérialiste (d’où le titre du film) ; de l’autre, ce petit truc en plus, de magique, de féerique, de romantique, même si cela fait toc. Comment donc ne pas se réjouir de la critique des approches marchandes de l’amour en réseau et des critères de choix qui sont d’une rare futilité ?
Par ailleurs, la concession à l’amour passionnel n’est que la lecture la plus superficielle. En effet, Lucy dont son agence vend l’idéal d’un amour éternel, optera pour l’amour le plus ancien. De son côté, John lui offre, par le témoignage d’un passé rigoureusement fidèle au premier amour, la garantie d’un avenir tout aussi monogame. Adore mérite décidément son nom, car, rappelons-le, l’amour romantique n’est que le recyclage immanentisé, donc idolâtrique, de l’amour total dû à Dieu. Né de la réaction orthogonale à une autre adulation d’une autre déesse humaine, la Raison, portée sur les autels au siècle dit des Lumières, le siècle romantique qui lui a succédé n’a fait que transférer notre native soif d’infini à l’autre capacité de l’homme, l’affectivité.
Certes, Lucy plaide avec passion en faveur d’un inquiétant fixisme autocentré quand elle met en avant son ombre sans nulle intention de revenir vers la lumière (« Prenez-moi comme je suis avec tous mes défauts »). Mais une telle affirmation n’est-elle pas d’abord une demande voilée d’amour inconditionnel qui est le point de départ de toute évolution ? Il est d’ailleurs révélateur que, dans sa confession pessimiste à l’égard du romantic love, elle laisse échapper tous les maux de sa boîte anti-romantique, mais garde au fond le don le plus important, « la petite fille » espérance (elpis).
De plus, John montre que, si polémique soit-il, il est capable de chercher le bien de celle qu’il aime. La scène finale ne multiplie-t-elle pas les signes de son changement qui sont autant d’attestations de son décentrement de lui-même ?
Cueillons une dernière trouvaille : heureux rythme du long-métrage qui se refuse de finir ingénument lorsque le couple de John et Lucy se retrouve au milieu des multiples couples qui s’enivrent de leur amour comme de leur danse ! Cette concession à une happy end trop vite conclue n’aurait-elle pas nié que « le cœur de l’homme est compliqué et malade » (Jr 17,9) ? Les légitimes résistances de John (qui, de nouveau, formule tout haut ce que le spectateur sceptique d’aujourd’hui se dit tout bas) serviront de matière à ce qui constituera la dernière partie. Ainsi, pour faire avancer l’intrigue et conclure non à la séparation, mais à l’union, une nouvelle figure de l’amour devra s’ébaucher. Et c’est cette dernière qui a entraîné notre adhésion au film.
Certes, celui-ci semble tout concéder au fantasme et donc à l’illusion du sentiment amoureuse : la passion sans raison, l’intensité momentanée sans mesure qui semble être la promesse d’un avenir sans fin. En réalité, il ébauche ce qu’est la véritable philia au-delà de la l’érôs-thanatos. Philia qui n’est jamais sans emprunter à l’agapè (entendu comme amour désintéressé) qui l’inspire et à laquelle elle aspire : en voulant le bien gratuitement décentré de soi jusqu’à la perte (sans immolation) de soi. Bref, un passage de l’amour-passion et donc passif (« Je reste avec toi parce que je me sens bien avec toi ») à l’amour actif (« Je reste avec toi parce que je veux ton bien à toi »).
Le film d’amour est mort pour ressusciter. Vive le film d’amour !
Pascal Ide
Lucy Mason (Dakota Johnson), une actrice ratée devenue entremetteuse à succès, travaille chez Adore, une agence new-yorkaise. Elle a déjà formé des couples qui ont abouti à neuf mariages. Bien que volontairement célibataire, elle maintient qu’elle ne fréquentera et n’épousera qu’un homme riche, très riche. Lors du mariage de son dernier partenaire, elle est approchée par le financier Harry Castillo (Pedro Pascal), le frère du marié, qui exprime son intérêt pour elle. Lucy le repousse, lui suggérant plutôt de devenir client d’Adore. Lors de la même cérémonie, elle retrouve de manière inattendue son ex-petit ami John Finch (Chris Evans), traiteur et acteur. Ils se remémorent leur ancienne relation, rompue pour des raisons financières.
Harry persiste à courtiser Lucy, l’emmenant dans des restaurants chics. Elle doute d’abord de son intérêt, persuadée qu’il pourrait se tourner vers des femmes plus jeunes et beaucoup mieux qu’elle, mais il la rassure en affirmant qu’il respecte sa vision et qu’il est attiré par sa valeur. Leur relation devient bientôt officielle, et l’optimisme retrouvé de Lucy se traduit par une réussite professionnelle, ce qui l’amène à mettre Sophie (Zoë Winters), une cliente de longue date, en relation avec un autre client nommé Mark P. (John Magaro). Elle et Harry assistent à la représentation théâtrale de John, où ce dernier, visiblement consterné de les voir ensemble, interroge Lucy en privé sur leur relation.
La confiance professionnelle de Lucy est ébranlée lorsque Violet (Marin Ireland), sa patronne, l’informe que Mark a agressé Sophie et que celle-ci poursuit Adore en justice. Bien que Violet promette d’assumer les conséquences juridiques et conseille à Lucy d’éviter de lui parler, Lucy la suit et s’excuse personnellement auprès de Sophie, qui l’accuse d’avoir manqué de discernement en précipitant le mariage et met fin à leur amitié débutante.
Sous-louant temporairement son appartement pour un voyage prévu en Islande avec Harry, Lucy découvre une bague de fiançailles dans ses bagages. Plus tard dans la soirée, elle apprend qu’Harry a subi une opération d’allongement des jambes pour grandir. Convaincu que l’intervention a amélioré sa vie, mais frustré que Lucy l’apprenne, il lui demande si cela change ses sentiments pour lui. Bien qu’elle réponde par la négative, elle avoue ne pas l’aimer sincèrement et met fin à leur relation à l’amiable.
N’ayant nulle part où loger, elle emménage chez John, et tous deux voyagent dans le nord de l’État avec l’argent qu’il a gagné grâce à sa pièce. Lors d’un mariage, ils s’invitent ensemble et Lucy embrasse John. Lorsque celui-ci se demande s’ils vont se remettre ensemble, Lucy exprime son incertitude, évoquant ses valeurs conflictuelles. John avoue l’avoir toujours aimée et envisager un avenir ensemble, tandis que Lucy admet que sa quête de richesse a autrefois éclipsé leur amour.
Lucy reçoit alors un appel paniqué de Sophie, qui lui signale que Mark est devant son appartement et que la police refuse d’intervenir. Lucy et John se précipitent à son secours, constatant que Mark a déjà pris la fuite. Lucy aide Sophie à déposer une ordonnance restrictive, et les deux se réconcilient. Avant de se séparer, John lance un appel sincère à Lucy pour qu’elle ravive leur relation, promettant également de travailler plus dur pour la soutenir. Lucy accepte.
Quelque temps plus tard, Sophie commence à fréquenter un nouveau partenaire d’Adore ; Harry est également devenu client. Violet offre à Lucy une promotion pour diriger le bureau d’Adore à New York. Lucy révèle qu’elle avait l’intention de démissionner, mais considère l’offre à contrecœur. Lors d’un déjeuner décontracté à Central Park, John la demande en mariage, et Lucy accepte d’un baiser. Le générique montre plusieurs couples, dont Lucy et John, recevant des certificats de mariage au bureau du greffier de la ville.