Mais vous êtes fous, biopic dramatique français coécrit et réalisé par Audrey Diwan, 2019. Inspirée de l’histoire d’une femme que la réalisatrice a rencontrée sur le banc d’un parc [1]. Avec Pio Marmaï et Céline Sallette.
[1] Audrey Diwan résume ainsi l’histoire qu’elle entend : « Elle me raconte qu’elle a eu une vie ‘normale’, un mari présent qui s’occupait beaucoup de leurs deux enfants. Et puis un jour, la révélation, qui explose comme une bombe : il est en fait sous le coup d’une addiction violente et a contaminé le reste de sa famille. Personne ne comprenait comment ceci avait pu avoir lieu. » Soupçonné d’avoir voulu drogué ses enfants, le mari est incarcéré ; plus encore, soupçonnée d’être complice, la mère se voit enlever ses filles.
Thèmes
Addiction, amour fou, espérance, vérité, guérison
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Dans ce premier film, la réalisatrice qui est aussi coscénariste, conte avec sobriété, mais intensité, la découverte presque tragique d’une grave dépendance et sa sortie, tout aussi dramatique.
Le film étonne par sa discrétion. L’on s’attend au psychodrame lors de la découverte du secret gardé depuis des années, aux aveux dans les larmes, aux pardons multipliés, aux touchantes promesses de renoncement. Mais tout est suggéré, notamment grâce au jeu tout en expressivité et pourtant sobriété, de Pio Marmaï et Céline Sallette. La culpabilité terrassante de Roman est exprimée par un silence accablé, son amour opiniâtre par les longues stations au bistrot, son admiration-adoration par le bouleversant aveu à sa « grande femme », l’angoisse presque paranoïaque de Camille par sa course éperdue à travers Paris, la tendre complicité de la famille qui a symboliquement déménagé par un long et amoureux échange de regards, etc. Hormis la scène dramatiquement nécessaire où Roman reconnaît sa responsabilité devant Camille, le scénario a systématiquement offusqué tous les autres aveux, à la police, à l’avocat, au médecin. On regrettera seulement que la belle discrétion appliquée à la parole ne l’ait aussi été aux gestes de l’amour. Ici aussi suggérer vaut mieux que dévoiler.
Multiples sont les bénéfices de cette pudeur inhabituelle : convertir notre volonté de savoir, qui n’est souvent que voyeurisme ; nous faire goûter du dedans la démarche non jugeante de Camille ; ne pas ajouter de la peine (celle de l’humiliation) à la peine (celle de la culpabilité).
Le spectateur est saisi d’un autre étonnement : comment un drogué aussi profondément atteint que Roman s’en sort-il sans l’aide ni d’un psychothérapeute ni d’un groupe narcotiques anonymes ? Passe-t-il d’une drogue dure, la cocaïne, à une drogue douce, l’amour ? Le parallèle, qui a été suggéré, est facile. Surtout, il ne rend pas compte de la réalité : assurément, cet homme sans famille, sans amante et sans ami, ne semble avoir qu’une seule attache, totale, la femme de sa vie ; mais cet amour a commencé bien avant la prise de drogue. Pourtant, cette comparaison ouvre une piste qui mérite d’être suivie.
Le premier pilier de la guérison réside dans la vérité. Certes, Roman et Camille s’accommodent de quelques mensonges vis-à-vis de l’extérieur, soit pour protéger leurs filles, soit, plus encore, pour protéger leur couple que tous, même les plus proches, menacent et minent. Mais, au-dedans, ils ne concèdent rien au doute ou au soupçon – même quand toutes les apparences s’accumulent contre l’accusé. Dès l’aveu, Camille soumet son compagnon à un interrogatoire qui serait violemment inquisiteur s’il n’était dicté par l’amour des siens. Plus encore, Roman s’adonnera à cette recherche de la vérité, voire la suscitera en évoquant à maître Mangin (Valérie Donzelli), leur avocate, la possibilité d’une contre-expertise, puis en se soumettant à son enquête ultra-minutieuse jusqu’à l’apparence de suspicion sur ses mœurs. Dans une exigence de transparence à l’égard des autres et de cohérence avec soi, il poursuivra les prises de sang, au-delà de ce que demande la justice. La réalisatrice se souvenant qu’elle est journaliste et auteur de romans, cette quête du vrai prendra même la forme d’une enquête tenace et l’intrigue celle d’un film policier : comment donc tous les membres d’une famille peuvent-ils se trouver physiquement imprégnés par la drogue que consomme un seul d’entre eux ?
Roman ne peut avancer sous la lumière crue de la vérité et sur le rude chemin de la désintoxication sans être porté, plus, enveloppé par un climat d’espérance inconditionnelle. Assurément, il la reçoit de Camille qui, même torturée par l’angoisse, déchirée par l’éloignement de leurs deux filles, jamais, ne cherchera à l’analyser, le conseiller ou le moraliser. Mais, lâché par sa « belle-famille » et notamment par Paul déclarant que, pour lui, désormais, Roman est symboliquement « mort », celui-ci a besoin d’entendre une autre voix. Dans une scène émouvante, j’oserais dire, il s’agenouille intérieurement devant son avocate et ose lui demander si elle lui fait confiance. Avec grande délicatesse, presque avec tendresse, elle laisse s’écouler un moment pour lui répondre et, dans un élan, elle prononce la parole qui exprime tout dans sa simplicité : « Oui ».
Mais, avant tout, ce qui, littéralement, sauve Roman dans et de cette descente infernale qu’est la drogue, est l’amour fidèle et inconditionnel, sans retard et sans restriction, de sa compagne. Camille repousse les tentations, des plus proches, celles qui proviennent de ses parents, aux plus extérieures, celles qui proviennent de la justice, des plus grossières, celles d’un père qui ne l’a jamais accueilli, aux plus subtiles, celles qui lui suggèrent de choisir entre amour parental et amour conjugal. Plus encore, elle sait exprimer à Roman dans un brûlant échange de regards qu’il compte pour elle, plus que tout au monde.
Comment ne pas reconnaître dans ce trépied de la guérison – vérité, espérance, amour – une sécularisation des trois vertus théologales ? Pour la dernière, n’en serait-il pas une immanentisation ? L’amour de Camille pour Roman n’est-il pas serviable et patient ? Il ne juge jamais, ne le rejette jamais, ne choisit jamais, mais supporte tout, pardonne tout, espère tout. Tout en se donnant le temps et le droit de la sidération et de la colère, Camille met sa joie dans la vérité et la fidélité. Quand il est nourri par la vérité et l’espérance, l’amour fou n’est-il pas l’autre nom de l’agapè ?
Merci à Audrey Diwan d’avoir osé montrer, contre une tendance très présente dans le système juridique français, voire dans une certaine approche psychologique moralisante, que l’on ne doit pas sacrifier l’amour « conjugal » à l’amour parental, le bien des « époux » au bien des enfants. Et ainsi de contribuer à une nécessaire et bienfaisante redéfinition du mariage et de la famille à partir non pas seulement ni d’abord de la filiation, mais de l’amour de l’homme et de la femme.
Pascal Ide
Roman (Pio Marmaï) est un dentiste apprécié de ses patients. Il aime énormément ses deux filles, Bianca la cadette (Lola Rosa Lavielle) et Lucie la benjamine (Karen-Ann Zajtelbach), pour lesquelles il module son emploi du temps, afin de les aider à faire leurs devoirs, leur préparer un dîner qui n’est pas à base de surgelés, leur faire prendre leur bain et les coucher. Mais il est encore plus fou de sa compagne, Camille (Céline Sallette), qui rentre tard de son travail en entreprise. Cette famille bourgeoise parisienne coule des jours paisibles et heureux, entrecoupés de moments de fête où Roman charme sa belle en chantant le tube de Benny B qui a donné le titre au film, tout en préparant des cocktails derrière le bar.
Un soir, un homme sonne à la porte. En absence de la mère, Roman le présente à ses deux filles comme un coursier du laboratoire. Mais, quelques minutes plus tard, quand on voit le dentiste renifler un rail de poudre, on comprend qu’il s’agit de son dealer. Plus tard, dans la nuit, Bianca est prise de convulsions, mises sur le compte d’une hyperthermie. Mais, après son admission à l’hôpital, la mère est convoquée parce que, ayant observé une mydriase (dilatation de la pupille) chez la fillette, le médecin a effectué des analyses et découvert des traces de cocaïne dans son sang. Camille tombe des nues, s’interroge sur la présence de drogue à l’école. Jusqu’à ce que Roman, encore plus effondré d’avoir ainsi mis la vie de sa fille en danger, lui avoue son addiction, une addiction qui dure depuis des années et est devenue quotidienne.
Mais le pire est à venir. Le cheveu gardant les traces de ce que l’organisme assimile tout au long de leur pousse, des prélèvements capillaires sur Lucie et Camille montrent qu’elles sont, elles aussi, contaminées, et depuis des années. La police soupçonne alors fortement Roman d’avoir volontairement drogué sa fille. Pire encore, Camille est soupçonnée d’être complice de sorte que la brigade des mineurs lui enlève la garde des enfants, heureusement remise à ses parents, Christine (Carole Franck) et Paul (Jean-Marie Winling). Retrouvera-t-elle la garde des enfants ? Le couple et la famille survivront-ils à tant de mensonges destructeurs ? Roman a-t-il réellement empoisonné ses filles bien-aimées et, si ce n’est vraisemblablement pas le cas, comment expliquer que toute la famille se retrouve intoxiquée ?