L’Heure de la sortie, thriller français coécrit et réalisé par Sébastien Marnier, 2018. Adapté du roman éponyme de Christophe Dufossé, 2002. Avec Laurent Lafitte, Luàna Bajrami, Pascal Greggory.
Thèmes
Narcissisme, orgueil.
En sortant, le spectateur met quelques temps à se dire que ce film perturbant est d’abord, lui, perturbé.
Dès la première scène, alors que tous les autres élèves sont saisis d’horreur, nous voyons les six jeunes se pencher, insensibles et presque curieux, vers la silhouette immobile et désarticulée de leur professeur. Cette anesthésie culminera, au terme, lors de la scène de remise des diplômes en fin d’année quand les plus brillants manifesteront une indifférence proportionnelle à leur réussite, et lors de la mise en scène théâtralisée de leur suicide collectif…
Entre les deux, le tableau clinique ne fera que s’enrichir, toujours plus évident, toujours plus alarmant : les provocations et manipulations répétées des EIP à l’égard de leur professeur (« Pourquoi êtes-vous encore suppléant à quarante ans ? » ; « Serez-vous à la hauteur ? ») ; l’autoconviction arrêtée de leur supériorité ; le mépris affiché de l’autre (« Monsieur Hoffman, vous n’oublierez pas de ramasser votre cigarette ; un mégot met presque deux ans à se décomposer ») ; la transgression systématique de la loi qui traduit l’assurance que, étant supérieurs aux autres, ils sont supérieurs à la loi qui les régit ; l’insensibilité face au suicide ; etc.
Les symptômes patents du narcissisme s’aggravent de ceux de la perversion, c’est-à-dire de la fascination pour le mal et de la jouissance à faire souffrir l’autre : celle-ci apparaît avec une particulière netteté chez Appoline, la très inquiétante pythie du groupe, et dans les séquences rituelles d’humiliation infligée à ses membres les plus fragiles.
Or, le film s’arrête aux signes sans en affronter les causes.
Tout d’abord, jamais le diagnostic psychiatrique de narcissisme doublé de perversion ne sera posé. Jamais les mots qui libèrent des maux ne seront prononcés. Le spectateur en restera à de vagues avis, d’autant plus troubles qu’ils sont mêlés d’admiration, sur des adolescents trop lucides et trop précoces.
Surtout jamais n’est dénoncée la véritable responsable : la surbrillante Appoline qui exerce une emprise hypnotique et entraîne tout le groupe dans son vénéneux sillage et baillonne tous les autres.
Le passage par un constat sociologique pointe une cause malheureusement plausible : la démission des adultes. En effet, entre absence totale des parents, professeurs adolescents plongés dans leur problème de célibat séducteur, et un directeur obsédé par la seule réussite de cette classe presque eugéniquement présélectionnée – au fait, pourquoi explicitement pointer un établissement catholique, même si l’on se réjouit que, lorsqu’il sauve les enfants, Pierre lève un moment les yeux vers le ciel dans une muette prière de gratitude ? –, que sont les adultes devenus ?
Mais les analyses psychosociologiques ne disent pas tout. Il convient de convoquer une lecture éthique. Le lecteur finit pas oublier que non seulement les surdoués ont poussé leur professeur titulaire de français au suicide, mais qu’ils s’apprêtent à récidiver avec le suppléant. Autrement dit, leur responsabilité morale est engagée.
il faut ici se référer à la dernière scène, non sans y entendre l’écho de la première. Avec une rare cohérence et une puissante sobriété, le film dit tout dans son alpha et son oméga. Pierre prend la main d’Appoline. Le soleil caniculaire qui fascina et affola le trop fragile titulaire est devenu le soleil de la centrale nucléaire en train d’exploser, promettant un Tchernobyl français. Qu’il soit ou non sous emprise, le professeur est devenu l’élève de ses élèves, et concède tout à leur cynisme post-apocalyptique.
L’omniprésence du Triangle dramatique de Karpman confirme ce diagnostic éthique. Certes, Pierre résiste à entrer dans la posture Victimaire. Mais c’est pour devenir le Sauveteur qui, les larmes aux yeux, bouleversé de compassion, se félicite d’avoir arraché à une mort atroce ces élèves en chute libre, au lieu de s’en faire le juste juge, en prévenant la police. Les élèves ont réussi au-delà de tout espoir : mieux que le suicide du suppléant, son retournement.
Et puisque nous parlons du pôle éthique, osons poser la question qui dérange : qu’est-ce qui interdit de faire de ces haut potentiels les responsables de l’attentat sur les centrales nucléaires, par exemple par drône interposé – ce qu’attesterait leur fascination finale dénuée de tout étonnement – ? Leur suicide collectif ayant raté, ils opteraient ainsi pour un homicide autrement plus commun et efficace, accélérant l’autodestruction programmée de l’humanité. Loin de constater la catastrophe écologique, le groupe la précipiterait. Lénine ne justifia-t-il pas l’extrême violence communiste comme un coup de pouce donné à l’histoire qui ne pouvait pas ne pas obéir à la logique dialectique dévoilée par Karl Marx ?
Mais l’explication ultime provient encore de plus haut. Plus redoutable que la maladie psychiatrique ou que la faute éthique est la cécité spirituelle. Il y a du stoïcisme chez ces éco-warriors qui font de l’ataraxie et du consentement à la fatalité leur idéal. Mais le stoïcisme, surtout lorsqu’il prétend imposer son idéal aristocratique par la violence, est une tentation orgueilleuse. De même le désespoir de ces jeunes prétendument si lucides (« Nous sommes sûrs de ne pas avoir de choix. Nous sommes peut-être trop lucides ») est en réalité l’une des formes les plus avérées et les plus torpides de l’orgueil : le refus d’entendre un autre avis, donc de se recevoir et d’être sauvé. Les Pères du désert l’avaient noté : en son fond, l’acédie ou désespérance spirituelle est l’une des figures les plus redoutables de la superbe.
Assurément, comment ne pas se réjouir que le monde adolescent prenne de plus en plus à cœur la question écologique. Mais l’on sait aussi comme il est poreux à la vulgate collapsologique, inquiète autant qu’inquiétante, qui est devenue virale sur les réseaux. Quand on sait combien le jeune procède par imitation, quel bien ce film malsain peut-il faire ? Comment ne pas demeurer atterré devant le manque de jugement critique des critiques ? Les chiffres sont pourtant clairs : l’année dernière, un Français sur 5 a souffert d’un trouble psychiatrique, soit plus de 12 millions de nos concitoyens (et un tiers pendant toute sa vie) ; 90 % se déclenchent pendant l’adolescence. Or, parmi les cinq grandes catégories de troubles, on compte les conduites suicidaires.
Le film Le village des damnés (Wolf Rilla, 1960), référence constante et obligée, était autrement conséquent, qui, au diagnostic d’orgueil assassin côté élèves, répondait par un traitement radical : l’humble don sacrificiel côté adulte.
Pascal Ide
Une lumière blanche, de plus en plus intense. Troublé, un professeur observe par la fenêtre ouverte de sa classe, puis tourne son regard vers les nuques suantes de ses élèves en train d’écrire. Il prend silencieusement une chaise, monte… et disparaît dans le vide. Choc. Sidération des élèves, puis, hurlements.
Pierre Hoffman (Laurent Lafitte) arrive dans le prestigieux collège catholique de Saint Joseph comme suppléant du professeur de français qui vient de se suicider en plein cours. Michel (Pascal Greggory), le proviseur, lui fait avant tout comprendre que ses élèves sont des EIP. Pardon ? « Enfants intellectuellement précoces ». Quand il rentre dans la classe de 3e-1, Pierre décèle aussitôt méfiance, mépris et violence, en particulier chez les deux délégués de classe, Appoline (Luàna Bajrami) et Dimitri (Victor Bonnel). Lorsqu’il constate l’inquiétante et glaciale insensibilité de cette classe pilote, son arrogance à son égard comme à l’égard du reste de l’école, la présence de marques de coups sur le visage d’un des élèves, l’enseignant doute de plus en plus que cette hostilité sourde et cette violence rampante aient pour seule origine la disparition traumatisante du titulaire. Quel secret cachent donc ces surdoués qui le savent un peu trop ?