Les plus belles années d’une vie
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Pays:
Français
Thème (s):
Amour, Fidélité, Mort
Date de sortie:
22 mai 2019
Durée:
1 heures 30 minutes
Évaluation:
***
Directeur:
Claude Lelouche
Acteurs:
Jean-Louis Trintignant, Anouk Aimée, Marianne Denicourt
Age minimum:
Adolescents et adultes

 

 

Les plus belles années d’une vie, drame français de Claude Lelouch, 2019. Avec Anouk Aimée, Jean-Louis Trintignant, Antoine Sire, Marianne Denicourt.

Thèmes

Amour, mort, fidélité.

Un artiste authentique – et cela est aussi vrai de ces « créateurs » de concepts que sont les authentiques philosophes et théologiens – ne cherche jamais au fond et avec endurance qu’une seule chose. Ainsi le sculpteur roumain Brâncuși a-t-il quêté dans tout son art la forme idéale et le cinéaste américain Stanley Kubrick n’a cessé de mettre la violence en image-mouvement.

Très explicitement, très goulument, si je puis dire, Claude Lelouch a médité toute sa vie sur le mystère de l’homme et de la femme, mieux, sur le fragile et merveilleux mystère de leur communion : « Il est plus facile de séduire mille femmes, que de séduire mille fois la même », dit un moment Jean-Louis. Et, en se répétant sans se répéter, le cinéaste octogénaire avance d’un pas en montrant ce que devient un grand amour 52 ans après la fulgurante rencontre. Cinéma nostalgique, comme on va le répétant, ou cinéma utopique, au sens le plus étymologique, qui est le plus heureux ?

 

Les deux veufs inconsolables Anne et Jean-Louis, se sont tendrement et passionnément aimés, déchirés et de nouveau rapprochés. Les flashbacks introduisent sans vergogne non seulement des passages entiers du film toujours le plus fameux de Lelouch, mais aussi les morceaux de bravoure les plus fameux (oui : « Chabadabada ! »).

Puis, nous apprenons pourquoi il se sont séparés. Infidélité d’un côté (« Il n’était pas seulement coureur d’automobiles ») ; indignité de l’autre (« Je n’ai pas été à la hauteur. J’étais très menteur à l’époque »). Mais aussi fatalisme du côté d’Anne (« On n’est pas resté ensemble, parce que c’était trop parfait. Cela m’a fait peur ») et pessimisme du côté de Jean-Louis (« Toutes les histoires se finissent mal, sauf au cinéma »).

Surtout, nous découvrons que jamais ils ne se sont oubliés. Merveille non pas de la mémoire, mais du temps. Tout en s’éloignant de la rencontre initiale, l’événement demeure présent, voire de plus en plus intensément présent. Parce que, avec la durée et, plus encore, la répétition intériorisante, se produit un tri qui est l’autre nom de la hiérarchie des souvenirs et de l’accès purifié à l’essentiel. Alors, le commencement, c’est-à-dire le point de départ, se transforme en origine, c’est-à-dire en source et fondement. L’attestent deux séries de faits incomparables autant qu’irréfutables.

Jean-Louis que la démence condamne progressivement à l’enfermement dans le passé, ne cesse de parler d’Anne : « J’ai toujours adoré les femmes. Surtout l’une d’entre elles à qui vous ressemblez ». Nouvelle tentative de séduire cette belle vieille femme inconnue ? Que nenni. Plus que les mots qui, chez un professionnel du mensonge peuvent encore leurrer, les signes : le vieillard conserve soigneusement sur lui une photo qu’il montre à Anne et que nous ne verrons pas – pour mieux nous laisser choisir entre les images passées qui tourbillonnent –. Plus que les signes conscients, l’inconscient : les rêves de Jean-Louis auxquels, là, nous avons le privilège d’accéder, sont toujours plus remplis de la présence bien-aimée. Voire, plus que ces indices multiples, le sentiment bouleversant qui monte dans le cœur d’Anne : « Je n’avais jamais imaginé qu’un homme pouvait m’aimer autant ».

Autant l’amour de Jean-Louis est concret, autant celui d’Anne semble discret. Pourtant, une fois la stupeur et la peur surmontées, la promptitude de la réponse au fils, la joie ressentie, le désir exprès et exprimé de revenir rapidement ne sont pas d’abord le fait d’un généreux altruisme pour un ancien amour en stress et en détresse, mais autant d’attestations que ce feu nouveau est en réalité un feu dormant qu’il suffisait d’attiser. D’autant que tout, dans la vie présente d’Anne, semblait la combler.

 

Mais, hors l’évasion ponctuelle à laquelle rêve Jean-Louis, quel avenir envisager entre les deux anciens amants ? Sont-ils et, nous avec eux, sommes-nous, voués à ce sentiment complexe, à la fois délicieux et douloureux, de la nostalgie ? Reconnaissons-le, notre cœur s’étreint et se grise quand, au volant avec Jean-Louis amoureux, nous traversons tout Paris, depuis la Porte Maillot, en passant devant l’Arc de Triomphe, en descendant l’avenue des Champs-Élysées, en accélérant vers l’Opéra-Garnier, en enfilant la rue de la Chaussée d’Antin vers l’église de la Trinité, en remontant la rue Pigalle, pour enfin nous arrêter devant la basilique du Sacré-Cœur – selon ses longs plans séquences vertigineux et addictifs au volant d’une voiture qu’affectionne tant Lelouch, et ses aficionados. L’amour de la Belle et l’intensité d’un bonheur imprenable se trouvent comme enchassés dans le double écrin, spatial, d’un Paris, endormi et quasi-désert en ce samedi auroral, qui se laisse caresser autant que pénétrer par cette course folle et passionnée, et temporel, d’une époque à jamais révolue, qui, sans les multiples surveillances et asservissements actuels, permettaient à l’amour-fou d’aimer follement, à 200 km/h.

Mais, et c’est l’un des grands mérites de ce film qui joint la nouveauté de son contenu à celle de son existence, la nostalgie de l’amour passé laisse place à l’inouï d’un nouvel amour. Le titre doit être interprété par la citation de Victor Hugo placée en exergue : « Les plus belles années d’une vie sont celles qu’on n’a pas encore vécues ». Redisons-le : la mémoire est destinée à être transformée en mémorial et le passé à être dépassé ; la répétition n’est pas réitération, mais préparation à l’innovation. En effet, de manière imprévisible, naît un amour non pas nouveau (il a toujours été là), mais nouvellement configuré.

D’un côté, Jean-Louis sort de ses regrets amers (« La mort, c’est l’impôt de la vie » ; « Des clowns tristes pour nous faire mourir de rire »), pour accéder à la sérénité tant désirée : « Il a rajeuni de vingt ans ». De l’autre, Anne sort elle aussi du regret sans ressentiment d’un sentiment inachevé : enfin, elle se donne le droit de croire au bonheur.

S’aiment-ils ? Jean-Louis le séducteur qui profite de ce que sa mémoire lui joue des tours pour jouer avec son entourage, n’est sans doute pas si amnésique d’Anne qu’il semble le montrer. Dans sa non-reconnaissance apparente de l’aimée se dit une autre reconnaissance : à sa fidélité et à sa présence. Et le droit à un nouveau départ. Jean-Louis demande si profondément pardon et Anne l’accueille si profondément, qu’aussitôt jaillit cette merveilleuse proposition qui vaut engagement : « Puisqu’on n’a pas réussi à vivre ensemble, on pourrait mourir ensemble ? »

Mais, parfois, l’amour est trop grand pour pouvoir être enserré dans nos pauvres mots. C’est donc la métaphore – portée par la magie du cinéma, ici constamment célébrée – qui se chargera de dire cet amour à la fois même et neuf qui rassemble et rajeunit : sur la plage de Dauville, un homme et une femme, Françoise et Antoine, leurs enfants, de surcroît joués par les enfants d’alors (Souad Amidou et Antoine Sire), conjuguent leurs mains complices, les chiens en domino expriment expansivement leur passion mutuelle, le tout sur fond de noces génésiaques entre ciel et terre, entre sable et mer.

 

Un homme et une femme, la Palme d’or 1966 méritée d’un surdoué qui en était à la fois réalisateur, coscénariste, producteur et directeur de la photographie, et double Oscar (du meilleur film étranger en 1967 et du meilleur scénario original) exprimait concrètement jusque dans son titre l’universel le plus banal et pourtant le plus précieux de la vie : l’amour de l’homme et de la femme.

Après une première suite (Un homme et une femme : Vingt ans déjà, 1986), Les plus belles années d’une vie (pourquoi, en soulignant qu’il s’agit de son 49e film, Lelouch n’a-t-il pas attendu la belle symbolique du 50e ? Tel son héroïne, peine-t-il encore à croire que l’amour soit pour toujours ?) reprend ce thème intemporel pour lui ouvrir l’éternité. Lorsque les personnes qui ont vécu une expérience de mort imminente voient passer leur vie en accéléré, seuls reviennent les souvenirs les plus saillants : les pardons (encore) à donner ; les amours (déjà) donnés.

Pascal Ide

Anne Gauthier (Anouk Aimée) raconte à la caméra, c’est-à-dire à un spectateur qui ne peut l’ignorer sa rencontre avec Jean-Louis Duroc (Jean-Louis Trintignant), il y a 52 ans. Depuis, elle s’est mariée, est devenue scripte dans le cinéma, a eu une fille, Françoise (Souad Amidou), est complice de sa petite-fille. Ah, j’oubliais, elle conduit toujours sa deux-chevaux.

Dans une belle maison de retraite, L’orgueil, l’ancien pilote de course a beau être chouchouté par une responsable qui accepte ses taquineries licencieuses (Marianne Denicourt) et entouré de l’affection de sa fille Elena (Monica Bellucci) et, plus encore, de son fils Antoine (Antoine Sire), il s’isole et dépérit. Avec l’accord de l’équipe médicale, Antoine, triste et inquiet, part à la recherche d’Anne : il la retrouve, lui dit que son père n’a qu’un souvenir vivace, elle, et lui demande de venir lui rendre visite : « Ça s’est mal terminé, argumente l’heureuse mère et grand-mère. – Il y a prescription, non ? ».

Anne accepte. Elle s’installe sur le banc, à distance de Jean-Louis intrigué. Il ne sait pas qui est cette inconnue. Pourtant, il trouve qu’elle ressemble beaucoup à une femme qu’il a beaucoup aimée. Alors qu’il commence à partager ses souvenirs à cette étrangère si attentive, finira-t-il par la reconnaître ? Mais, attiré par sa voix, son regard, sa façon de passer la main dans les cheveux, ne l’a-t-il pas déjà, à son insu, dévisagée ?

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