Les miens, drame français de Roschdy Zem, 2022. Avec Sami Bouajila, Roschdy Zem, Maïwenn.
Thèmes
Famille Vérité.
Le sixième film de Roschdy Zem fait du bien non pas seulement parce qu’il raconte humblement et talentueusement un morceau de la vie intime du réalisateur, ni seulement parce qu’il ose mettre en scène avec pudeur et justesse les fragilités que toute famille traverse ni même parce qu’il ose montrer ce handicap particulier qu’est le syndrome frontal avec son cortège déstabilisant de désinhibitions provoquantes. L’histoire nous bonifie également et d’abord parce qu’elle raconte le changement et la famille.
Tout d’abord, il montre des personnages qui consentent à changer – cette dynamique étant souligné à deux reprises par une discrète musique. En effet, la métamorphose de Moussa est le déclencheur et la parabole des mutations qui vont s’opérer autour de lui. Mais autant sa modification est involontaire, autant celles qui surviennent dans son orbe ne pourront s’accomplir sans une libre, et parfois coûteuse décision. Systémique ne signifie pas systématique. Le signe en est que tous ne se déplaceront pas (c’est ainsi que nous ne verrons pas Amir abandonner son attitude égocentriste et complotiste).
Tel est, bien évidemment, le cas de Ryad qui sort de son égocentrisme inflationnaire et s’ouvre par et pour son frère, notamment dans une scène très symbolique où, s’arrachant à ce micromonde artificiel, confiné et surcontrôlé des plateaux télé, il se retrouve dans cet espace aéré et aérien d’une plage atlantique baignée de lumière et sentant bon les embruns iodés, arpentant avec ce frère trop ignoré des souvenirs partagés.
Il y a aussi, plus discret, le devenir autonome de cette sœur certes généreuse, certes exploitée par un entourage trop heureux de se décharger de ce malade encombrant, mais aussi sauveteuse et donc à l’occasion victimaire. C’est ce qu’attestent ce besoin démesuré de reconnaissance qui éclate dans une colère homérique et, plus encore, cette façon de se payer en prenant-volant les robes de sa mère lors de l’héritage. Or, dans la toute dernière scène, en réponse à la sortie brutale mais vraie de son frère : « Je n’ai pas besoin de toi », elle a cette parole apparemment anodine, mais (pour elle) réellement révolutionnaire : « Je vais enfin pouvoir penser un peu à moi ».
Il n’est pas jusqu’à Moussa qui, peut-être, dans sa maladie, invente ce qui peut guérir, à la fois lui-même – dans son incapacité viscérale à dire « non » et le nom, c’est-à-dire la vérité – et la famille à laquelle il est si inextricablement noué et lié – n’est-il pas frappant que ces deux verbes soient ambivalents, désignant autant la beauté de la relation que son aliénation ? Si le cerveau peut être lésé, le cœur, en attente d’aimer et d’être aimé, même blessé par un amour sans retour (celui de l’épouse marocaine), lui, demeure intouché.
Ensuite et peut-être avant tout, Les miens raconte l’histoire de ce qui permet de dire des autres, sans fusion ni confusion, qu’ils sont « les miens », c’est-à-dire ma famille. Ainsi Roschdy Zem nous parle d’une famille, comme on n’ose plus en montrer, sans avoir besoin de concéder à l’idéologie LGBT, à l’infidélité ou au dévoilement de l’intimité (il était si facile de céder à la tentation de la vulgarité et du comique facile avec le syndrome frontal). Une communuté familiale qui cherche à s’aimer, se réconcilie et festoie. Une famille qui prend le temps de se trouver et se retrouver. Bref, une famille qui se caractérise avant tout par cet esprit de famille, celui qui opère l’unité, sa valeur suprême, de la seule manière qui ne la replie pas sur elle et multiplie les violences : en faisant circuler les dons dans la vérité et la gratuité.
Les miens est encadré par deux déjeuners familiaux en inclusion, le deuxième étant préparé par un cut significatif. Non sans une asymétrie éloquente : le repas final s’achève dans une danse improvisée et contagieuse. Dans le premier repas circulent plaisir, excitation, complicité et affection. Dans le deuxième, le travail de la vérité dans les cœurs transforme le plaisir en joie, l’excitation en fête, la complicité en communion, l’affection en amour.
Pascal Ide
Moussa (Sami Bouajila), père gentil et un employé dévoué, est divorcé et remarié avec une Marocaine qui l’a quitté et ne répond plus à ses appels téléphoniques. Un repas de famille, joyeux et convivial, réunit Moussa, ses trois frères, Ryad (Roschdy Zem), célèbre animateur télé d’une émission consacrée au football, Salah (Rachid Bouchareb) et Adil (Abel Jafri), leur sœur, Samia (Meriem Serbah), les trois enfants de Moussa, ainsi qu’une jeune cousine, la femme de Salah et Emma (Maïwenn), la compagne de Ryad. Pendant le déjeuner, la famille chambre gentiment Ryad pour son égocentrisme, mais il n’entend pas.
Un soir, alors qu’il fête l’anniversaire d’une collègue, Moussa chute et se cogne violemment la tête. Les médecins diagnostiquent un traumatisme crânien. Sa personnalité change alors complètement. L’homme doux devient colérique, se permettant de dire ses quatre vérités à tout un chacun. Il critique vertement Samia qui, si elle est dévouée, est aussi un peu envahissante. Il se brouille avec Nesrine dont il trouve les études au Canada trop onéreuses et irresponsables, et avec Amir qu’il juge accro aux jeux vidéos et égoïste. Il se fâche également avec Salah et son épouse Samia à propos des habits de son épouse marocaine. Et si cette zizanie généralisée préparait un retournement inattendu ?