Le prince oublié, comédie fantastique française coécrite et réalisée par Michel Hazanavicius, 2020. Avec Omar Sy, Sarah Gaye, Bérénice Bejo, François Damiens.
Thèmes
Devenir adulte, imagination, éducation, relations père-fille.
Le prince oublié est tellement rempli de bonnes intentions qu’il en perd toute magie – écornant au passage la seule valeur qu’il cherchait pourtant à sauver : les relations père-fille.
Dès les premières scènes, le spectateur comprend que ce papa-gâteau est aux petits soins pour sa fille, qu’il est le contraire même d’un homme pressé indisponible, qu’il consacre toute sa journée pour préparer ses histoires et toute sa soirée pour les raconter, qu’il dévoue tout son monde extérieur (il s’interdit de considérer la jolie voisine autrement que comme une trouble-fête) et intérieur (son cœur, son esprit et son imagination), à celle qui est tout pour lui : sa fille Sofia. Comment ne pas se réjouir de cet apologue de ces fameux aventuriers des temps modernes ? De cette figure d’un homme qui réussit à joindre le pôle féminin de la plus grande proximité enveloppante et le pôle masculin de la Loi (« Tu ne mentiras pas ») ?
Mais comment ne pas s’inquiéter de ce que Djibi soit le seul à évoluer (en consentant à ce que le Prince finisse aux Oubliettes, en s’arrachant au dysfonctionnement majeur que sa femme nomme gentiment : « Il veut sauver l’humanité », en se donnant le droit de quitter son veuvage et en se réconciliant avec sa part sombre, Pritprout), à faire mémoire (en incarnant la leçon de Sofia sur le temps passé), et reconnaître ses torts (en demandant pardon à sa fille sans que celle-ci se sente tenue à la réciproque pour ses multiples transgressions) ?
Mais il y a plus discutable : la conception de l’imaginaire – qui sous-tend implicitement le film. Ce point est d’autant plus dommageable que, clairement, le réalisateur et scénariste louche vers les films de Pixar Animation Studios. Un indice parmi beaucoup : la musique du film est composée par le Canadien Howard Shore, qui fut lauréat de deux Oscars du cinéma (pour le premier et le troisième opus du Seigneur des anneaux). Et les trouvailles ne manquent pas dans ce monde imaginaire entre Quelques minutes après minuit (Juan Antonio Bayona, 2016) et Vice Versa (Pete Docter, 2015).
Mais le titre du film dit tout : le prince doit se faire oublier. Il émarge à la conception naïvement dualiste et pessimiste héritée de la psychanalyse freudo-lacanienne selon laquelle devient adulte celui qui accède au symbolique (entendez la parole et au rationnel) et s’arrache à l’imaginaire. Et même si, la génération suivante, le père devenu grand-père a de nouveau le droit d’endosser le costume du prince en berçant le sommeil de sa petite-fille, il a dû enjamber bien des années et bien des frustrations, et sa fille renoncer à ce monde anti-symbolique, donc diabolisé.
Comment ne pas regretter que le continental n’ait pas retenu la leçon de ses voisins insulaires qui sont beaucoup moins réactifs que lui contre le monde de la fantasy ou de la féerie. Pour le pays de Lewis Carroll, J.R. R. Tolkien, C.S. Lewis ou J.K. Rowling, loin de s’opposer à l’intelligence (sauf à la réduire à la raison opératoire et calculatrice), l’imaginaire est cette même intelligence sous sa forme ardente [1]. L’application concrète autant que pédagogique est que l’adulte unifié est celui qui circule librement et créativement entre monde réel et monde surréel, non point pour s’évader du premier, mais pour se préparer à un troisième monde, le monde surnaturel. La subcréation imaginaire n’est pas un opium qui aide à supporter le monde présent et endormir (au sens propre comme au sens figuré) les petits enfants encore inaptes à affronter cette amère vallée de larmes ; il est ce premier fond mystérieux qui nous apprend la constitution sacramentelle du réel. Autrement dit, la féerie n’est plus l’à côté exténué et déréalisé des choses, mais leur face invisible qui conduit à la Face adorable de leur Créateur.
Dès lors, au lieu d’être oublié, le prince que nous (et nos parents) jouent devient la figure du roi ou de la reine que nous rêvons tous d’être, car nous sommes appelés à le devenir vraiment dans le Royaume des cieux.
Pascal Ide
[1] Cf. Irène Fernandez, Mythe, raison ardente. Imagination et réalité selon C. S. Lewis, Genève, Ad solem, 2005.
Comme tous les soirs, Djibi (Omar Sy), papa veuf, invente une histoire pour endormir Sofia (Keyla Fala), sa fille de huit ans. Cette dernière, en plein rêve, se voit en princesse d’un monde enchanté aux côtés de son prince qui n’est autre que son père combattant le méchant Pritprout (François Damiens). Trois ans plus tard, Sofia (Sarah Gaye) rentre au collège. Alors qu’elle n’a désormais plus besoin d’histoires pour s’endormir et que son attention est centrée sur son « nouveau prince », Max (Néotis Ronzon), Djibi va tenter de redevenir le héros de sa fille. Il espère compter sur l’aide de sa nouvelle voisine, Clotilde (Bérénice Bejo), à moins que celle-ci ne comprenne mieux sa fille que lui…