Le pont des espions
Biopic d’espionnage américain de Steven SPIELBERG, 2015.
Thème principal
Courage
Thèmes secondaires
Justice, Héros
Le millésime Spielberg 2015 est un bon cru ! Nous retrouvons le cinéaste des humanistes et émouvants (qui alternent avec les films de SF), le réalisateur de la ligne scénariste claire, le narrateur qui n’ennuie jamais même lorsqu’il ralentit exagérément le rythme (saluons les coscénaristes de talent, les frères Coen), le reconstructeur d’univers et d’ambiance, ici Berlin au moment de l’édification du mur.
Est-ce un grand Spielberg ? On regrettera bien sûr la première absence, remarquée, de John Williams (le musicien adulé et souvent inspiré de tous les films), les effets trop appuyés au terme, quelques incohérences (par exemple – attention, spoiler ! – le décalage entre le départ pour l’Allemagne de l’Est qui ressemble à un quasi-divorce entre le héros, James B. Donovan (Tom Hanks), et l’accueil si chaleureux de Mary, sa femme (Amy Ryan), à son retour).
Mais ne boudons pas notre plaisir, très réel, ressenti en regardant Le pont des espions. Arrêtons-nous sur deux images qui, n’en déplaise à Deleuze, sont d’abord des image-émotions, avant d’être des image-motions (-mouvement et -temps).
La première, sur le pont Glienicke, qui relie Berlin Ouest à Postdam, où s’effectue l’échange des espions. William Fischer / Rudolf Abel (Mark Rylance, admirable de sobre retenue), l’espion soviétique, salue celui qu’il appelle « mon ami » de « homme debout », cet homme juste, prudent et courageux, à qui il doit sinon la liberté, du moins le retour dans son pays : Donovan. De fait, lorsque l’agent Gamber annonce à l’avocat qui attend un petit déjeuner américain bien mérité, que la liberté du deuxième prisonnier, Francis Gary Powers, est menacée, il se lève aussitôt et retourne, au péril de sa liberté, en Allemagne de l’Est. Oui, cet homme du droit et cet homme droit est un homme debout ! Or, bien avant, aux États-Unis, alors qu’il s’étonne de ce que son avocat ne lui ait jamais demandé s’il était coupable, donc est resté dans une réserve très respectueuse, lui permettant d’éviter de mentir, Abel lui a alors raconté une anecdote : son père lui a appris à observer et reconnaître ce qu’est un homme qui n’a en rien fléchi au moment de l’épreuve, un « homme debout ». Cette seule et unique confidence exprime une confiance et un reconnaissance. Mais elle joue aussi un rôle scénaristique de poids : cette histoire passée qui permet de savoir tout le poids dont cet homme tranquille leste l’expression prononcée, non solennité, en russe donne sens à l’histoire présente. Un gingle qui résume le message du film. Merci, Spielberg, de nous rappeler, ce qu’oublient tant de films qui troquent l’histoire contre le spectaculaire – oui, je vise le si décevant Spectre… Le pont des espions avec son anti-James Bond, versus Le naufrage de l’espion ! –, qu’un bon scénario n’est pas une succession de scènes choc, mais prépare ses effets, donc n’hésite pas à faire usage de la répétition, pour mieux manifester les subtiles modifications : ce mot « un homme debout » annonce assez pour mettre en attente, en tension, en attention ; il cache assez pour que la survenue soit une advenue, un événement, un avènement. Et nous voyons ainsi se lever l’honnête homme, si cher aux Américains, ce Mister Smith, célébré par Frank Capra dans un film éponyme inoubliable. Et nous retrouvons dans la scène finale, encore plus émouvante, cet homme de la rue, simple avocat d’assurances, qui ignore les ressources de vérité, de justice et d’amour présentes en lui, et que des circonstances exceptionnelles vont réveiller et révéler. Ce héros, latent en chacun, que les événements rendent patent. Les événements, mais aussi la liberté. Oui, j’ai pleuré lorsque, enfin,
Amy, les enfants et le tout-venant (dans le métro), reconnaissent, aux deux sens du terme, leur mari, père et concitoyen. L’honneur, disaient les Grecs et les Romains, couronnent la vertu. Et quelle vertu : celle d’un homme qui a pu sacrifier ses biens les plus chers et les plus légitimes (comme sa réputation) pour sauver un homme, deux hommes, et bientôt beaucoup plus (Donovan obtiendra au total la libération de pas moins de 9 703 personnes). Cela pour l’un des plus grands biens : non seulement le respect de tout homme, y compris d’un espion, mais le lien entre les hommes, d’un mot symbolique : le pont…
Pascal Ide
James Donovan, un avocat de Brooklyn se retrouve plongé au cœur de la guerre froide lorsque la CIA l’envoie accomplir une mission presque impossible : négocier la libération du pilote d’un avion espion américain U-2 qui a été capturé.