Le pape François : un homme de parole
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Pays:
Italien, suisse, allemand, français
Année:
2018
Thème (s):
Compassion, Conversion, Parole
Durée:
1 heures 36 minutes
Évaluation:
Excellent
Directeur:
Wim Wenders
Acteurs:
Pape François, Recep Tayyip Erdogan, John Kerry, Angela Merkel, Barack Obama, Shimon Peres, Vladimir Putin, Donald J. Trump, Wim Wenders
Age minimum:
Tout public

 

 

Le Pape François : Un homme de parole (Papst Franziskus. Mann seines Wortes), documentaire produit, co-écrit et réalisé par Wim Wenders, 2018. Avec… le pape François. Mais aussi Recep Tayyip Erdogan, John Kerry, Angela Merkel, Barack Obama, Shimon Peres, Vladimir Putin, Donald J. Trump, Wim Wenders.

Thèmes

Parole, conversion, compassion.

Levons d’emblée les objections. Ennuyeux ? Bien sûr, nous entendons beaucoup de paroles, mais l’action ne manque pas, le rythme est nerveux, le tempo varié et, surtout, l’émotion est au rendez-vous.

Prosélyte ? Bien entendu, Wenders qui ne s’est pas contenté de réaliser, mais a produit et scénarisé le film est porté par une intention et, plus encore, par une intuition. Mais, s’il s’agit d’un film à thème, il ne s’agit pas d’un film à thèse. De fait, les commentaires en voix off sont rares et sobres ; plus encore, le cinéaste n’a émis qu’une seule opinion – toute personnelle, que nul ne se sent contraint à partager –, à laquelle il tient, puisque, après l’avoir coupée au montage, il l’a finalement rétablie, à savoir que le pape actuel a plus fait pour changer l’Église que tous les autres. Nous y reviendrons.

Cet homme de parole qu’est le pape ne porte un message que parce que celle-ci modèle sa personnalité pour tendre à s’identifier à sa personne.

1) Un message

Wenders énonce d’emblée son message et il y revient en inclusion ; entre les deux, il le rappellera régulièrement : en osant prendre, pour la première fois de l’histoire, le nom de François, le pape actuel épouse celui qui a épousé Dame Pauvreté.

Autrement dit, le centre du message du 266e successeur de Pierre est celui du Poverello : pauvreté authentiquement vécue (par exemple, dans son mode d’existence au Vatican) ; pauvreté exhortée pour l’Église et notamment les clercs (« Nous devons tous devenir un peu plus pauvres ») ; pauvreté (ou plutôt misère) dénoncée partout dans le monde chez ceux qui sont les victimes de la violence et de l’égoïsme des nantis indifférents (« Le monde d’aujourd’hui est un monde sourd »), c’est-à-dire de nous-mêmes (« La pauvreté est un cri »).

Ainsi donc, le cinéaste harmonise autant ce que dit que ce que vit le pape argentin autour du thème de la pauvreté. À l’image de son nouveau saint patron, François englobe même la création dans une bouleversante affirmation selon laquelle le plus pauvre des plus pauvres des plus pauvres (le sous-titrage n’honore pas l’affirmation) est… la Terre, « notre sœur-mère la Terre » – dont la souffrance est soulignée par les photos choc projetées sur la façade même de la basilique Saint-Pierre de Rome. On ne sera pas étonné que la sensibilité écologiste du réalisateur allemand s’attarde longuement sur l’encyclique Laudato sì consacrée à la sauvegarde de la maison commune (24 mai 2015).

Mais, plus pauvre encore que la pauvreté subie des pauvres est celle, consentie et infiniment plus dramatique, des pécheurs. Wim Wenders ne pouvait manquer de rappeler le scandale des abus que le pape souligne par des paroles fortes et sans équivoque en invoquant « la tolérance zéro » – même si l’on aurait aimé qu’il rappelle que la formule était de son prédécesseur Benoît XVI. On ne s’étonnera pas non plus que, non sans quelque complaisance, le réalisateur joue du contraste entre les réactions des évêques et cardinaux entendant le pape les exhorter dans un discours fameux sur les « quinze maladies » de la Curie (le 22 décembre 2014) qu’il a confirmées l’année suivante (le 21 décembre 2015), et l’enthousiasme débordant des foules philippines, africaines, sud-américaines, ou l’émotion des populations opprimées touchées au cœur par ses paroles de compassion. Il serait toutefois erroné de dialectiser l’Église de la base et l’Église hiérarchique. Assurément, il y a un double discours du pape François, mais point de double langage. Mais ne fait-il pas qu’imiter « l’exemple » (Jn 13,15) de Jésus qui, le premier, adopta ce double discours, d’une part, de grande exigence vis-à-vis des Pharisiens et des Docteurs de la Loi qui étaient le mieux préparés à l’accueillir, dont il espérait tant et qui, malheureusement, en grande partie, l’ont rejeté, et d’autre part de grande compassion pour les pauvres de cœur et souvent de condition ?

Le pape François n’est pas le premier à dénoncer nos multiples hypocrisies ni à proposer des solutions. Mais il est en revanche le premier à les souligner avec autant d’insistance et d’endurance. Et donc à déranger. Tel est par exemple le cas lorsqu’il affirme que nous sommes tous responsables de la pollution. Longtemps, en sortant du cinéma, nous sentirons peser sur nous ce regard qui, sans juger, plonge dans le nôtre et interroge notre conscience. Si nous fuyons le jugement de notre conscience, il nous sera plus difficile de fuir son regard (« L’œil était dans la tombe… »). La mission du pape est sans compromission, car elle dénonce toutes nos démissions. Pour la première fois de l’histoire, un pape inquiète notre tranquillité douillette et nous fait sortir de notre zone de confort de manière itérative. Voire, François n’a nulle gêne à humblement appauvrir son discours en le rendant répétitif, afin que nos cœurs transforment cette inquiétude affective en compassion effective. En effet, il connaît les défenses que nous avons mises en place : il sait que, après nous être sentis bousculés, nous finissons par nous justifier, détourner notre regard et oublier, voire oublier d’avoir oublié, bref que nous nous arrangeons avec notre conscience morale. Le mécanisme d’occultation est bien connu de la psychologie : il s’appelle la fuite. Mais ici, il n’a plus rien de psychologique, il est éthique, donc volontaire, donc coupable. Si les précédents pontifes romains ont souligné nos fautes par commission (en pensées, en paroles et en actions), François insiste sur nos péchés par omission.

2) Une personnalité

Le message sculpte le messager. François est une personnalité au double sens du terme, tempérament et célébrité. On le ressent en direct dans son interview, on le pressent indirectement dans les voyages.

Dans l’entrevue accordée au cinéaste allemand, le pape exprime en effet ses convictions avec force. Mais, au-delà de la pertinence du contenu, le spectateur sera sans doute frappé par la puissance limpide de la voix, l’intensité de sa présence, la rectitude du regard, bref, par l’engagement de toute sa personne. À plusieurs reprises, le visage agrandi remplit le cadre, non point parce que le cameraman zoomerait, mais parce que le corps de François s’avance jusqu’à vouloir entrer en contact avec le spectateur. Les propos fusent et font mouche ; mais, loin d’être artificiellement ciselés du dehors, ils tirent leur forme du dedans : la vérité pleine de bonté et de justice qui jaillit du trop plein du cœur se solidifie ou plutôt se cristallise dans la forme adéquate.

Cette énergie s’éprouve aussi dans les discours prononcés lors des rencontres, notamment lorsqu’il quitte son papier, improvise. Dès lors, l’on comprend que l’écrit n’est qu’une médiation, l’essentiel réside dans cette intimité livrée et la parole donnée. Wim Wenders a su recueillir ces moments où le cœur affleure sur les lèvres, où la passion transfigure le visage de compassion.

Cette énergie volcanique (qui dirait qu’il a 81 ans ?) nous consumerait si elle n’était celle d’une parole qui, provenant d’un cœur ardent, ne désire émouvoir notre cœur et le mouvoir en conversion et en action. De même, elle pourrait nous broyer si nous ne voyions pas qu’elle prend sa source au-delà d’elle, dans les moments de contemplation : cette parole puissante s’excepte de la toute-puissance parce qu’elle est le fruit d’une écoute attentive de Celui qui est la Parole. Enfin, cette lave spirituelle serait insupportable (c’est-à-dire impossible à porter) si elle n’était, non pas tempérée, mais portée par une joie débordante. La force qui se dégage du pape François n’est pas celle de la colère, mais celle de l’allégresse – terme si important qu’il se trouve dans ses deux lettres d’exhortations apostoliques : La joie de l’Évangile (Evangelii gaudium, du 24 novembre 2013) et La joie de l’amour (Amoris laetitia, du 19 mars 2016), sans parler de la récente lettre Réjouissez-vous et exultez (Gaudete et exsultate, du 19 mars 2018) sur la sainteté dans le monde actuel ». Il nous révèlera d’ailleurs au terme qu’une des sources de sa joie réside dans l’humour – humour qui allège la gravité du propos et qu’il demande quotidiennement par la prière de saint Thomas More : « Seigneur, donne-moi une bonne digestion, et aussi de quoi digérer ».

3) Une personne

Notre Occident, considérablement et presque exclusivement influencé par le logos grec, a souvent identifié la parole à l’information ; il aurait tout avantage à s’aboucher à son autre source, biblique, pour qui le dabar est aussi et d’abord puissance de transformation. En effet, autant le logos grec signifie discours ou raison, autant le dabar hébraïque signifie parole ou action. Chez François convergent les deux significations.

Dès le début du film, la question d’une petit fille nous rappelle que le pape a choisi de vivre dans un petit appartement de Sainte Marthe, entouré par d’autres prêtres et évêques. On découvre, non sans un sourire, la petite berline, perdue entre les imposantes limousines traversant la ville de New York. Surtout, le montage met en vibration permanente paroles du pape et mises en pratique : son exhortation répétée aux prêtres à écouter est aussitôt suivie d’une rencontre où il se penche au chevet de malades, recueillant précieusement ce qu’ils lui confient en un souffle ; les invitations à transformer l’amour en caresse ouvrent sur des passages bouleversants où il pose sa main sur la tête des malades et caresse les visages ; les appels au dialogue sont illustrées par des rencontres bienveillantes avec des responsables musulmans, juifs, hindous – là encore non sans une amnésie à l’égard de l’initiateur génial des rencontres d’Assise, Jean-Paul II.

Déjà, dans l’unique passage prépontifical retenu par le réalisateur, l’archevêque de Buenos Aires, en 1999, témoigne la même proximité avec son peuple, la même conviction dénudée, le même impact de sa parole faite chair.

La personne comme parole incarnée s’atteste par son impact. Les moments les plus émouvants sont peut-être ceux où sont filmées l’attention intense des détenus, les larmes furtivement écrasées sur les joues tatouées, les émotions non jouées des membres du Congrès. Merci, Wim Wenders d’avoir ainsi capté (sans capturer, car les auditeurs-spectateurs sont le plus souvent photographiés de côté) au plus près ces émotions qui attestent que la parole venue du cœur a rejoint le cœur de celui à qui elle était adressée.

Certains pourront regretter qu’on ne voit pas assez François prier, célébrer la messe, adorer ou égrener son chapelet. De fait, nulle caméra n’est autorisée à entrer dans la chapelle de Sainte Marthe. Surtout Wim Wenders a suggéré une double mise en perspective. La première, à la suite de Giotto et du film sur saint François d’Assise, est l’identification entre saint François et le Christ, la seconde, celle entre le petit pauvre et celui qui a choisi prophétiquement son nom.

 

Cet homme de parole est un homme de la parole, parce qu’il est devenu parole. Le pape s’impose parce qu’il s’expose. Et il ne repose pas, parce qu’il pose l’exigence même dont il vit : l’Évangile.

Pascal Ide

Le film qui se présente comme un documentaire sur le pape François, alterne les extraits les plus significatifs d’une longue interview (pas moins de 4 fois 2 heures) donnée au réalisateur, où il s’adresse directement au spectateur, et, en contrepoint, des extraits de nombreux voyages et prises de parole provenant des archives du Vatican auxquels le cinéaste a eu libre accès.

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