Le grand jeu (Molly’s Game), biopic américano-chinois d’Aaron Sorkin, sorti en 2018. Il s’inspire de la vie de Molly Bloom. Avec Jessica Chastain, Kevin Costner, Idris Elba.
Thèmes
Réussite, échec, liberté, salut.
Les Américains aiment les figures de battants, surtout, aujourd’hui, si ce sont des battantes et, plus encore, surtout quand elles réussissent et qu’elles sont réelles. En ce moment, deux films en présentent des exemples : Wonder et Le grand jeu. À vrai dire, des exemples bien différents.
De prime abord, je résiste à la recherche infinie de soi qui conduit Molly Bloom. Certes, sa motivation n’a pas l’arrogance méprisante de Dean Keith ou la perversion du joueur X (« Je n’aime pas jouer, mais j’aime détruire des vies »). Mais je suis consterné de ce que ses immenses talents et sa puissante volonté soient enrôlés pour les bénéfices de son seul ego. Voire, je récuse et j’accuse cette compulsion qui rime avec addiction et conduit l’héroïne à la captation et non à l’oblation, à asservir autrui au lieu de le servir, et à s’autodétruire (dans l’alcool, les médicaments, les nuits blanches) plus qu’à construire.
Toutefois, le spectateur s’attache peu à peu à cette gagnante, d’autant que l’on suit sur le long cours. Comment ne pas être touché, voire dynamisé par la persévérance de la toute jeune Molly, les lèvres bleues qui, malgré l’autorisation de ce père si intransigeant d’arrêter, repart pour une nouvelle descente, puis de la femme qui, à l’image de ce qu’elle fit lors de sa première course de ski, toujours se relève, même après une chute catastrophique ? Nous nous surprenons même à vouloir croire à cette psychothérapie expresse en trois minutes, trois questions et 0 dollar, qui, au moment de la plus profonde détresse, lui fait toucher les trois vérités décisives de sa vie – vérifiant la loi énoncée par Hölderlin selon laquelle où le danger croît, croît aussi le salut : c’est lorsqu’on atteint le point le plus bas dans la chute (qui est plus qu’une descente) qu’on ne peut plus que remonter – si la liberté le décide.
Mais, plus que cette puissance infinie de rebondissement qui fait encore partie de sa ressource de gagnante, ce que j’admire est, tout au contraire, sa capacité de s’arrêter en plein élan-allant : qu’elle ne profite pas de sa beauté pour séduire, de son savoir pour avoir (l’autre), de l’injustice pour se venger amèrement. S’arrachant à la logique du gain à tout prix, elle résiste à la tentation, pourtant universelle en son milieu, de l’improbité, du mensonge ou de la complicité silencieuse, et ose se déclarer coupable (au point que le juge salue son admirable courage avec grand fairplay). Dès lors, la figure de la battante mérite d’être saluée non point parce que, grâce à une pirouette finale, elle finit par jouer tout le monde, mais, tout à l’inverse, parce qu’elle est capable de faire son autocritique. Elle recycle toute son énergie pour contrer son élan mortifère et enrôle tout son talent au service de l’autre et de la vérité.
Alors que Wonder ne connaît de limite qu’extérieure (le handicap), Le grand jeu, lui, l’intériorise et accède à une véritable rédemption.
Pascal Ide
Molly Bloom (Jessica Chastain) est une jeune skieuse et ancien espoir olympique. Elle est poussée par son père, Larry (Kevin Costner), qui exige l’excellence de la part de ses trois enfants. Après une chute, Molly échoue aux qualifications en ski acrobatique pour l’équipe olympique et décide de s’offrir une année sabbatique à Los Angeles en 2003. Elle y vit grâce à de petits boulots, notamment serveuse de cocktails dans un bar. Elle décroche en parallèle un emploi d’assistante pour un patron tyrannique, Dean Keith (Jeremy Strong), qui, cependant, lui fait découvrir le monde des tournois de poker de haut niveau. En côtoyant des stars de cinéma, des chanteurs, des patrons de grandes entreprises qui aiment jouer gros, Molly va rapidement s’intégrer et acquérir la réputation d’être la « reine du poker ». Jusqu’au jour où elle monte ses propres soirées et affronte ses anciens partenaires, notamment le surdoué joueur X (Michael Cera). Mais, après huit années, le FBI commence à enquêter sur elle. Elle fait alors appel à un avocat aussi cher que talentueux, Charlie Jaffey (Idris Elba). Mais cela suffira-t-il à établir son innocence ? Au fait, est-elle innocente ?