Le Deuxième Acte, comédie noire française écrite et réalisée par Quentin Dupieux, 2024. Avec Léa Seydoux, Vincent Lindon, Louis Garrel. A fait l’ouverture de la 77e édition du Festival de Cannes.
Thèmes
Cinéma, ironie.
Encensé majoritairement par la critique, le dernier Dupieux fait plus que l’interroger.
- Certains saluent la prousse technique (Le deuxième acte pourrait entrer dans le Livre des records qui est venu sur place homologuer le plus long travelling de l’histoire du cinéma, en l’occurrence un trajet arrière de 650 mètres) et artistique (comment les acteurs ont-ils appris appris un si long texte, à moins qu’un prompteur ne soit caché ?), l’unité scénaristique (centrée sur ces multiples plans-séquences mis en abyme) malgré les multiples twists (le premier étant la découverte que la scène filmée est en fait une scène dans un film ; le dernier étant que le suicide de l’homme joué par l’acteur préfigure l’autolyse de l’acteur qui joue cet homme) qui sont souvent des double-fond (deux exemples : Guillaume, l’acteur homophobe, s’avère être homosexuel ; le comédien habillé comme un quidam dans le film, est vêtu comme un acteur dans la vie), les parodies réjouissantes des acteurs par eux-mêmes (Vincent Lindon fait part de ses engagements politiques sous mode décomplexé et défoulé en plein tournage) ou par autrui (quelqu’un parle des tics du même acteur – tics qui sont apparus au divorce de sa mère), le bashing lui aussi caustique des multiples instances invisibles qui permettent au film d’exister (depuis les agents indifférents à leurs acteurs, si bien mis en scène dans la série Dix pour cent, jusqu’au producteur qui s’avère être une intelligence artificielle aussi indifférente que toute-puissante), les multiples remises en question actuelles du métier (du militantisme anti-patriarcal à la vanité d’un art miné par la déréliction éthique du monde), etc.
- Mais ce foisonnement divergent d’idées inédites finit-il par converger vers un scénario et un film ? En fait, si l’on adopte comme grille de lecture les quatre sens de l’Écriture analogiquement appliquée [1], l’on observera que la déconstruction opère sans limite.
Les observateurs l’ont souvent noté : le vidéaste peine à raconter des histoires qui se terminent. Plus encore, en brouillant les frontières entre réel et fiction, il dissout tout sens littéral (la trame narrative),
Il poursuit sa vitriolisation avec le sens allégorique, au point, par exemple, d’imaginer une dernière scène où, comme au terme de Men in black I (Barry Sonnenfeld, 1997), mais l’énergie en moins, notre planète ou notre univers s’avère être une boule de billard dont les extra-cosmiques, qui sont peut-être des dieux, se jouent.
La dissolution dans le mauvais infini du non-sens devient désagrégation morale, en réduisant les relations entre acteurs à des joutes d’égos, celles avec les producteurs à de l’indifférence, celles avec les agents à de la cupidité, bref, en dénonçant l’universelle instrumentalisation morale.
Enfin, le jeu de massacre s’étend jusqu’au sens anagogique. quelle jouissance Dupieux trouve-t-il à montrer la vanité du septième art sans aussi célébrer avec gratitude sa capacité à nous faire rêver, mieux, à alimenter notre espérance ?
Pour employer les catégories si justes de Pascal, le cinéma se condamne lui-même quand il s’attarde sur la misère de l’homme, sans aussi en montrer quelque grandeur.
Pascal Ide
[1] Cf. Pascal Ide, « Pourquoi aimons-nous les séries télévisées ? Une exégèse selon les quatre sens de l’Écriture », Nouvelle revue théologique, 142 (2020) n° 3, p. 437-455.
David (Louis Garrel) et Willy (Raphaël Quenard), deux amis, marchent sur une route de campagne. David, habitué aux conquêtes féminines, voudrait que Willy séduise Florence – dans la vie, Florence Drucker – (Léa Seydoux), une jeune femme follement amoureuse de lui qui le harcèle. Lorsque Willy, dans le cours de la conversation, tient des propos homophobes, David lui rappelle qu’ils sont filmés. Le spectateur découvre alors qu’il se trouve dans un film. Il reçoit alors un appel de Florence.
Florence se trouve dans une voiture avec son père, Guillaume – dans la vie, Guillaume Tardieu – (Vincent Lindon). Elle obtient de David qu’il accepte de rencontrer celui-ci. Dès qu’elle a raccroché, Guillaume déclare qu’il abandonne et sort de la voiture. Ils marchent le long d’une route de campagne et Guillaume explique qu’il ne peut plus jouer la comédie alors que le monde va mal. Florence, elle, croit toujours à son travail d’actrice. Soudain Guillaume reçoit un appel l’informant qu’il est retenu pour le prochain film du grand réalisateur américain Paul Thomas Anderson. Il retrouve alors la foi en son métier et accepte de poursuivre la scène dans laquelle il accepte de rencontrer l’homme dont sa fille est amoureuse.
Tous quatre se retrouvent dans un café-restaurant isolé au milieu de nulle part et dénommé Le Deuxième Acte. Tantôt ils jouent la scène où Florence présente son père à David et Willy, tantôt ils cessent de jouer et parlent de leur métier. Guillaume s’emporte contre Willy qui s’est moqué de lui et lui frappe la tête contre la table. Florence amène Willy aux toilettes pour éponger son sang ; il tente de l’embrasser et Florence l’accuse de tentative de harcèlement.
Un serveur vient les servir, mais figurant extrêmement stressé nommé Stéphane (Manuel Guillot), il ne parvient pas à verser le vin sans le renverser. David, jaloux du succès de Guillaume, appelle en secret son agent pour qu’elle fasse en sorte qu’il soit, lui, choisi pour le film d’Anderson. Revenant dans la salle, il explique à deux figurantes du film que celui-ci est écrit et réalisé par une intelligence artificielle. Humilié par son incapacité à verser le vin, Stéphane se réfugie dans sa voiture où il se tire une balle dans la tête. Les acteurs sortent et examinent le cadavre. Un personnage numérique sur un écran de PC ordonne : « Coupez ! ». On découvre alors que la mort du figurant faisait elle-même partie du film. L’intelligence artificielle complimente les acteurs, tout en déclarant que leur avis personnel sur le film n’a aucune importance. Elle indique à Stéphane que, ayant pris beaucoup de poids depuis le moment où il a été auditionné pour le rôle, il devra rembourser des frais d’effets spéciaux nécessaires pour amincir sa silhouette à l’écran.
La journée de tournage étant terminée, Guillaume et Willy partent d’un côté ; on apprend que ces derniers sont en couple. David et Florence partent de l’autre et échangent des idées sur la réalité et la fiction. Stéphane revient chez lui, s’enferme dans une voiture et commence à mettre une arme dans sa bouche.