Le Daim, film français « de genre » de Quentin Dupieux, 2019. Avec Jean Dujardin et Adèle Haenel.
Thèmes
Absurde, narcissisme.
La seule lecture du début de l’intrigue suffit à attester que, dans son huitième long-métrage, le réalisateur (qui est aussi scénariste, monteur, etc.) persiste et signe dans sa veine ultra-minimaliste et absurdiste. Pourquoi ? L’on répondra que, justement, l’interrogation est sans réponse, car l’absurde est dénué de sens. Mais cette réponse étant sensée, il y a contradiction performative (ou rétorsion). Il faut donc chercher ailleurs. À l’école de saint Ignace, tentons de « sauver la proposition d’autrui » (Exercices spirituels, n. 22). Je ne vois qu’une réponse : ce film est une métaphore. Mais laquelle ? Je ne vois qu’une hypothèse : rien de ce qui arrive au dehors n’étant possible, il conte une histoire intérieure. La question rebondit et se répète : laquelle ? Cette histoire est celle d’une dérive psychiatrique. Là encore, laquelle ? Une régression à la vie sauvage, ainsi que les photos récurrentes de daim pourraient le suggérer ? Mais, comme Thoreau ou Leopold ont pu le théoriser, une telle vie suppose de se mettre à l’écoute de la nature, docilité à laquelle Georges est totalement inapte. La dépression ? Même si les raisons ne manquent pas, non ! Georges est totalement insensible à la souffrance (celle de l’autre, mais aussi la sienne propre). Le délire mégalomaniaque ? Sans doute. Mais surtout, un narcissisme bientôt sociopathique. Cet homme sans autre (ni femme, ni enfant, ni ami, ni collègue, et surtout sans empathie), est aussi sans loi (il ment, vole, transgresse et bientôt, il tuera). Surtout, il est sans moi (tout est dit dans les paroles de Joe Dassin entendues dès l’ouverture : « Et si tu n’existais pas / Dis-moi comment j’existerais / Je pourrais faire semblant d’être moi / Mais je ne serais pas vrai »), parce qu’il n’est qu’ego (lui-même identifié à son fétiche).
Pascal Ide
Habillé d’une veste en velours (le détail est d’importance !), Georges (Jean Dujardin) quitte sa femme (à moins que ce ne soit elle qui le quitte), son travail et bientôt son téléphone portable, roule dans sa vieille Audi sur l’autoroute, en écoutant Si tu n’existais pas de Joe Dassin sur l’autoradio, s’arrête dans une station-service, se regarde dans le miroir des toilettes, décide de se débarrasser de cette veste en cherchant, sans succès, à la faire passer par la lunette des W.C. qui, néanmoins bouchées, déborderont. Il continue sa route, étrangement libéré. Après une nuit passée dans sa voiture, il rencontre Monsieur B. (Albert Delpy) qui lui cède, contre la modique somme de 7 250 euros, un blouson à franges, 100 % daim, de surcroît trop petit, et lui offre, en prime, un vieux caméscope numérique.
Se sentant un autre homme dans son nouveau look, Georges s’installe pour au minimum un mois dans la chambre minable d’un hôtel minable du village de Bedous dans les Pyrénées-Atlantiques. Seul dans sa chambre, il filme sa peau de bête qui, un jour, lui répond, et va jusqu’à lui confier : « Mon rêve le plus cher, Georges, c’est d’être le seul blouson au monde ». Il ne tarde pas à faire connaissance avec Denise (Adèle Haenel), la serveuse d’un bar aussi peu fréquenté que Georges est peu fréquentable. Quand, après avoir volé un livre sur le cinéma, il lui apprend qu’il est cinéaste, elle lui révèle qu’elle désire être monteuse. Sans un sou (sa femme a bloqué sa carte bancaire après l’achat démesuré) et sans aucune compétence cinématographique, Georges l’embauche. Denise qui, sans avenir dans son métier de barmaid, accepte, est-elle dupe ? Jusqu’où « M. Daim » s’enfoncera-t-il dans sa folie et l’entraînera-t-il ?