Le Bonheur des uns…, comédie française de Daniel Cohen, 2020. Adapté de la pièce de théâtre du réalisateur, L’Île flottante. Avec Bérénice Bejo, Vincent Cassel, Florence Foresti et François Damiens.
Thèmes
Jalousie, joie.
Bien entendu, cette comédie sans prétention ni amibition comporte de nombreuses faiblesses : dans le scénario (le premier quadrille dans le restaurant est aussi interminable et insupportable pour le spectateur que pour le serveur) ou dans la description des personnages qui, secondaires, son bâclés, et, principaux, sont caricaturaux.
Mais si, justement, les caractères des quatre protagonistes étaient plustôt des types, selon la tradition de la comédie à la Molière ou à la Lucky Luke, et si c’était là, plutôt que dans l’action ou la narration d’une évolution, que résidait l’intérêt (mineur) de ce film-pièce de théâtre ? En effet, il brosse le portrait contrasté de deux heureux dont le bonheur rend deux autres malheureux – et, à travers eux, une typologie qui ne laisse pas d’être assez suggestive.
Bien évidemment, les deux personnages qui sont malheureux le sont parce qu’ils sont tristes, et ils sont tristes, parce qu’ils sont jaloux. Rien d’original. L’intérêt réside ici dans la peinture systémique, la relation entretenue avec la personne qui cause le chagrin envieux : chacun des jaloux sous-estime Léa avant que ne survienne son basculement dans la célébrité, voire la mésestiment. En effet, pour survivre, le jaloux s’entoure de personnes dont le peu d’aura ne les menace pas. Il peut ainsi devenir le soleil de cette fade lune à qui il doit tout son faible rayonnement. Ainsi, l’amie et le mari camouflent leur abyssale haine d’eux-mêmes, soit en maternant Léa, c’est-à-dire en jouant à la Sauveteuse (Karine), soit en la surprotégeant de manière paternaliste (Marc). Voire, si on élargit cette posture surplombante au troisième personnage que le bonheur d’autrui rend malheureux, à savoir l’employeur de Léa, Paul, le film présente le mérite d’illustrer, et ainsi de démasquer, que le mécanisme de compensation dominateur concerne les trois grands lieux de proximité : l’amour, l’amitié, la vie professionnelle (il manque seulement la relation à l’enfant). Ainsi, le jaloux ignore sa jalousie parce qu’il fréquente exclusivement des personnes qui ne lui portent pas ombrage. Mais il suffit que celui qui est inconsciemment jalousé se mette à briller pour que le jaloux s’obombre de tristesse.
Autant les malheureux envieux sont centrés sur eux-mêmes, autant les heureux sont décentrés. Insistons tant un scénario psychologiquement trop peu affiné a transformé Léa en cruche et Francis en benêt : ces personnages sont joyeux non point parce qu’ils sont aveugles aux enjeux et insensibles aux différences, mais parce qu’ils sont donnés : purement et simplement aux autres, pour elle (belle scène d’ouverture dans le magasin où Léa conjugue observation et compassion) ; à sa femme littéralement adorée et à ses multiples passions prétendument artistiques pour lui.
On regrettera seulement que ne soit pas évoquée l’issue hors de cette véritable pathologie qu’est la jalousie chronique. Avant d’être pécheur, le jaloux est presque constamment une personne blessée qui est aveugle sur sa propre valeur. Ce remède est effleuré au terme lorsque Karine gagne de la reconnaissance et donc de l’amour d’elle-même en remportant une médaille au marathon de Paris. Un instant, elle décolle d’elle-même et prend conscience que Léa lui manque. Mais comment reprocher ce manque d’espérance ? Le genre de la comédie typologique a besoin de figer son personnage et donc de fixer ses masques-personnages.
Pascal Ide
Léa (Bérénice Bejo) est vendeuse dans une boutique de prêt-à-porter du centre commercial de Beaugrenelle à Paris. Quand elle n’a pas de clients à conseiller avec doigté et même humanité, elle observe le petit monde qui l’entoure et prend des notes. Elle est d’ailleurs une vendeuse tellement douée que son patron, Paul (Daniel Cohen), rêve de l’embaucher dans un centre plus vaste à la Défense. Léa vit en ménage avec Marc (Vincent Cassel), qui se dédie à son travail de cadre dans une boîte d’aluminium où il rêve d’un poste « dans l’international », tout en craignant que le jeune loup qui vient d’arriver, mais a fait une école de commerce ne lui prenne la place. Un soir, ils dînent avec la meilleure amie et amie d’enfance de Léa, Karine (Florence Foresti) et son mari, Francis (François Damiens), comme ils le font habituellement. Et comme c’est aussi usuel, au moment du dessert, lorsqu’il s’agit de choisir, Léa hésite : île flottante ou café direct ? et épouse les désirs des autres. Son indécision est telle que tout le monde la chambre, Marc le premier. C’est alors que, pour se défendre, elle annonce, contre toute attente, qu’elle écrit un livre. Personne ne l’en croit capable. Mais quand elle va publier chez Gallimard un véritable best-seller, qui va caracoler en tête des ventes, bien des jeux vont se manifester, bien des liens que l’on croyait solides vont se fragiliser…