Le BGG – Le Bon Gros Géant
Film fantastique américain de Steven Spielberg, 2016. D’après le livre éponyme de Roald Dahl. Avec Mark Rylance et Ruby Barnhill.
Thème
L’amitié, de la lâcheté au courage, du narcissisme au don de soi.
« Le magicien Spielberg est de retour », disait une critique mise en avant sur l’affiche française du film. Cette magie qui joue avec nos émotions. Ces émotions qui véhiculent des valeurs. Ici, en lien avec deux thèmes clés de l’œuvre du réalisateur américain : la paternité – surtout si elle est blessée (par exemple, dans Attrape-moi si tu peux) – et l’amitié – surtout si elle est improbable (par exemple, dans E.T.).
D’emblée, le film nous fait plonger dans l’âme de Sophie et nous en fait ressentir la tristesse, opposant le monde joyeux, vibrionnant de lumière et de présence d’un pub anglais, à la sombre atmosphère, suintante de solitude de l’orphelinat qui le jouxte. L’héroïne insomniaque compense en se lisant-disant des histoires la nuit et en se construisant un univers aux règles sécurisantes. Règles qu’elle s’applique à elle (« Ne pas regarder derrière le rideau ») et aux autres (elle gendarme les soiffards dans la rue). Jusqu’au jour où elle transgresse les premières, tout en continuant à imposer les secondes.
Dans un premier temps, l’amitié avec le BGG va lui apporter la sécurité dont elle a besoin. Son attachement sera réel et même profond. Et la confiance proportionnelle à cette profondeur nous vaut l’une des plus belles scènes du film. « Je sais que tu es là », dit la petite fille, debout sur le rebord de la fenêtre qui domine de haut le pavé, pour forcer le BGG à se révéler. « Je vais sauter ». Si la scène fameuse du « saut dans la foi » (comment ne pas y penser ?), deuxième épreuve finale du troisième Indiana Jones (La dernière croisade), mettait aussi en scène la foi et la symbolisait excellemment par un saut, celle-là ne s’adressait à personne et celui-ci s’accomplissait dans une crainte proche de la terreur. Ici, au contraire, l’acte de confiance est posé résolument et dans la joie à l’égard d’une personne aimée. La caméra zoomera avec justesse sur les mains paternelles entre lesquels Sophie remet sa vie (cf. Jn 10,28-29).
Mais, si confiant soit-il, l’attachement de Sophie est encore mesuré par son bien à elle. Tout bascule quand, lors de l’invasion des méchants géants, elle se réfugie dans la pièce où le BGG conserve intacts les souvenirs de son ami, le petit garçon. Elle qui fut abandonnée, compâtit alors à la souffrance du géant et mesure aussi la grandeur du don de soi qu’il est en train d’accomplir en la sauvant et laissant sa maison saccagée.
Dès lors, se décentrant d’elle-même, Sophie cesse d’être une petite fille un tantinet capricieuse et apeurée. Elle parle avec gentillesse et bonté au BGG ; elle le complimente même pour sa manière de parler originale à la limite de l’incompréhensibilité. Beaucoup plus que cela, en s’ouvrant à l’autre, en l’acceptant et en l’aimant pour lui-même, elle découvre ce qui va devenir la finalité de leur amitié naissante. En effet, une amitié authentique, loin de replier les amis sur eux-mêmes, les propulse vers un bien commun qui les dépasse, tout en les comblant : « Aimer, c’est regarder dans la même direction » (Saint-Exupéry). Or, par une coïncidence hautement significative, c’est dans cette chambre qui est le lieu même où s’accomplit cette conversion de l’égocentrisme vers l’altruisme, au moment même où les géants menacent Sophie et son ami le Bon Gros Géant, que naît l’intuition créatrice de leur future et folle mission : aller parler à la reine d’Angleterre (Penelope Wilton : le spectateur est heureux de retrouver cette excellente actrice qu’il a pu apprécier tout au long des six saisons de Dowton Abbey, dans le rôle de Mrs Crawley). Par cette empathie nouvelle qui lui fait comprendre le BGG de l’intérieur, Sophie trouve aussi les mots pour convaincre la Reine : elle comprend que cet impressionnant géant qui devrait pétrifier de peur, c’est lui qui est paralysé par la crainte ; voire, lui qui est passé maître dans l’art du camouflage, est si bien caché dans les jardins de Buckingham Palace, qu’il pourrait faire échouer tout le plan. Alors, qu’elle est émouvante la scène où la reine d’Angleterre finit par croire le discours incroyable de cette courageuse petite fille ! Cette émotion qui nous avait soulevé au terme du Pont des espions naît du couronnement de tous les efforts enfin reconnus de Sophie et de son amie.
Et nous arrivons à la scène finale, à nouveau très émouvante, où se réalise enfin le « magirêve » de Sophie. Il est si profondément enfoui, la frustration de la petite fille est tellement douloureuse, que le BGG devra le lui révéler : avoir une famille ! Comment ne pas partager sa joie de se sentir inconditionnellement aimée par une maman souriante et enveloppante, la domestique de la Reine, Mary (Rebecca Hall). Alors que de loin veille la figure amicale, mais aussi tutélaire du BGG. C’est ici que le savoir-faire de Spielberg donne son meilleur : sa caméra ralentit, caresse avec pudeur personnages et objets, cueille un sourire enchanté et un reflet enchanteur ; une nouvelle fois, elle transforme tout le travail intime de métamorphose et toute la réussite encore secrète en une reconnaissance enfin visible – le tout accompagné par le complice fidèle parmi les fidèles, la musique souvent inspirée du compositeur John Williams.
Le BGG aussi accomplit un chemin intérieur. S’il est bon et serviable, au point d’avoir transformé sa maison en une bibliothèque où sont archivés tous les rêves des enfants, il refuse de voir que sa mission consiste non seulement à faire le bien, mais aussi à combattre le mal qui lui est contraire : les géants anthropophages qui, sans intérieur, dorment symboliquement dehors, doivent aussi être exclus du pays des hommes de terre. Pour cela, il devra apprendre à ne plus supporter l’insupportable comme l’irruption destructrice du Buveur de sang, sans remords ni conscience. Et, pour combattre son adversaire au dehors, il lui faudra d’abord lutter contre son ennemi intérieur : la faiblesse et la lâcheté. Le BGG ne pouvait trouver seul la ressource pour changer. Il la découvre en accueillant cette petite fille pas comme les autres, en écoutant ses paroles de vie (« Bas-toi ! »). De même qu’elle va transformer le souvenir nostalgiquement tourné vers le passé (la photo de la reine d’Angleterre) en mission activement tournée vers l’avenir, de même elle va l’aider à transformer ses craintes en courage, le conduisant à l’inimaginable : affronter au plus près les géants sanguinaires. Et, auparavant, oser s’adresser à la reine d’Angleterre. Ce qui nous vaut la scène réjouissante du petit déjeuner (rappelons à celui qui s’offusquerait de la présence envahissante des questions de nourriture, que, dans l’univers de l’enfant, elle constitue la première source de plaisir – avec, ici, les plaisanteries qui suivent la direction inversée des bulles).
Le Nouvel Observateur affirmait tout de go que le BGG « est le plus mauvais film de Steven Spielberg », Libération qu’il « dégouline de bons sentiments » et Le Monde, que Steven Spielberg substitue « au travail poétique sur les mots qui fait la beauté du livre », « une imagerie laide ». Certes, tout n’est pas parfait dans le dernier opus de Spielberg. C’est ainsi que nous devons attendre près de la moitié du film avant que l’intrigue se noue. Celui qui nous avait habitué à un récit beaucoup plus construit menace de troquer le récit contre le seul spectacle, au nom des effets spéciaux époustouflants (il est vrai qu’il est secondé par un maître, le chef décorateur Rick Carter, qui a officié sur Avatar)..Mais l’on peut partiellement sauver cette option narrative en disant qu’un appariement aussi disparate requerrait un long apprivoisement avant que l’amitié n’ouvre sur plus grand qu’elle une mission rien moins qu’universelle, le salut d’enfants du monde entier. Donc, ne boudons pas notre plaisir, d’autant qu’il est partagé par les petits et les grands. Le BGG se rattrape largement à partir de la scène du saut dans la confiance et dilate, affectivement et affectueusement notre âme, en nous faisant ressentir qu’en nous, le BGC (le bon gros cœur) ne demande qu’à être aimé (inconditionnellement), aimer (d’amitié) et se donner (dans une mission qui le dépasse).
Pascal Ide
Sophie (Ruby Barnhill), petite fille de dix ans, vit dans un orphelinat, en plein Londres. Seule et solitaire, elle se raconte des histoires. Jusqu’au jour où elle surprend une ombre gigantesque : un géant, qui accomplit des choses mystérieuses dans les chambres des enfants, celui qu’elle finira par appeler le BGG (Mark Rylance). Sa présence dévoilée, celui-ci n’a pas d’autre solution que d’enlever Sophie chez lui, au Pays des Géants. Celui-ci est fréquenté par des géants comme le Buveur de sang (Bill Hader) et l’Avaleur de chair fraîche (Jemaine Clement), aussi cruels que leur nom l’indique, mais encore plus sots que cruels. Sophie aurait de bonnes raisons de s’inquiéter ; mais le BGG n’est pas seulement deux fois plus petit que les autres – ce qui lui laisse tout de même plus de sept mètres de haut ! –, il est végétarien, grand amateur de schnockombres et de frambouille. Surtout, lorsqu’il décide de révéler son secret à Sophie en l’emmenant au Pays des Rêves, elle va découvrir que c’est un homme bon qui met ses grandes oreilles et son odorat très fin au service de sa mission : recueillir les bons rêves, enfermer les cauchemars et envoyer les premiers aux enfants qui dorment. Peu à peu, entre ces deux solitaires, le géant magicien et la petite orpheline, une improbable amitié tisse et se grandit. Jusqu’au jour où une question aiguë viendra troubler leur quiète relation : comment s’opposer aux autres géants qui écument l’Angleterre et le monde, volent les enfants et les dévorent ?